Au cours de l’existence, un défi arrive, attendant une réponse immédiate qui vous marque pour la vie et sans appel: ce jour-là, il vaut mieux avoir de la chance ! A l’aéroport de Shenzhen, où elle travaillait comme nettoyeuse, la pauvre Li Liang en a clairement manqué ce 9 décembre. Vers 8h du matin elle avait découvert sur un caddie un carton anonyme. Machinalement, elle l’avait posé dans son chariot, imaginant, vu son poids, qu’il contenait une batterie.
A 8:30 à la cantine, elle en avait parlé aux filles de l’équipe. L’une lui avait dit «une batterie -ça m’branche, pour pêcher dans l’étang derrière chez moi… » A 2, elles ouvraient la boite, et s’étonnaient d’y trouver tout autre chose : des 100aines de bagues, bracelets, colliers brillants. Décrétant qu’il s’agissait de pacotille, elles s’étaient partagé le lot « pour leurs enfants ».
On l’aura deviné, déjà le délit était là. Quincaillerie ou pas, elles auraient dû remettre leur trouvaille à la sécurité, et puis déjà, elles se mentaient à elles-mêmes. Car elles le sentaient bien, les 13,6kg du colis étaient d’or pur, 18 carats, pour une valeur de 3M¥!
Comment telle fortune s’était perdue dans ce hall d’aérogare ? A 8h, Wang Tengye, de la bijouterie Jin-long s’était vu refuser l’embarquement : le transporteur n’acceptait plus les bagages au-delà d’une valeur limite. Furieux, car il ne s’-attendait pas à tel «pépin», au lieu de repartir au bureau en référer au chef, Wang avait été se plaindre, plantant là le carton, pour s’en souvenir 10 minutes après, revenir ventre à terre, découvrir son trésor envolé. Mais inexorable, la roue tournait.
A 18h, la collègue de Li revint l’avertir que les bijoux étaient d’or, l’adjurer de rendre sa part. Li l’ignora. A 19h, elle la rappela sur son GSM pour l’avertir que «le feu était proche, à lui griller les sourcils» (火烧眉毛 huǒ shāo méi máo) : elle-même avait rendu son lot aux policiers, qui étaient en route. Mais Liang Li fit encore la sourde oreille: elle «rendrait çà demain ». Quand les limiers débarquèrent, elle mit une demi-heure à rendre le butin, prétendant contre toute raison que le carton ne contenait que «des bouteilles d’eau» -elle affirma ensuite avoir cru qu’ils étaient de vulgaires escrocs.
Pour la police, l’affaire était claire. C’était du vol qualifié, aggravé d’entrave à l’enquête. Inculpée, elle dormait le soir même à l’auberge du peuple !
Cependant durant les longs mois de sa détention, la presse n’avait cessé d’é-voquer l’affaire, qui avait fini par prendre de l’ampleur. Tout le monde sait çà, aucune grande fortune, ici, ne s’est faite sans entorse à la loi. La question universelle était «qu’aurais-je fait, à sa place?». Et Liang Li récoltait bien de la compassion. Début septembre, alors qu’elle commençait à faire figure d’héroïne nationale, Li fut relaxée, assignée à résidence. Elle ne pouvait quitter Shenzhen, avant le verdict. Mais 2 jours après, comme pour renforcer sa popularité pathétique, les médecins lui trouvèrent un cancer de l’utérus. Pour vivre, il lui fallait une opération qu’elle ne pouvait s’offrir que Shangqiu (Henan), sa ville natale, comme titrèrent les journaux. Dès lors, les choses s’arrangèrent. Comme un seul homme, procureur et bijoutier retirèrent leurs plaintes – Liang Li fut relaxée le 22/09, après 9 mois à l’ombre.
La balayeuse avait payé au prix le plus fort ses heures d’égarement. Mais elle a aussi bien de la chance, d’être libérée si vite en ce pays. La proximité du 60. anniversaire du régime a joué en sa faveur -l’Etat avait alors besoin de dégonfler toute tension sociale, et de renforcer son image de générosité.
Et puis un petit fait a pesé lourd: celui d’avoir voulu partager le butin et la responsabilité avec une autre. C’était par manque d’audace. Mais qu’importe : en Chine, l’esprit de groupe, fait pardonner bien des choses !
Sommaire N° 32