Petit Peuple : Chengdu : le PDG prolétaire

Débuter dans la vie comme ouvrier en usine, rien que de bien banal. Trimer de 9 à 18h à 1000 yuans par mois, c’est le sort de millions de jeunes, à la découpe ou au collage, sous les effluves de néoprène qui vous rongent le cerveau, aux estampeuses qui vous broient les phalanges à la moindre inattention. En cette année 2002 à 19 ans, Wu Xifan (c’est son nom) s’effondrait le soir, à peine sa gamelle avalée, à la cantine, parfois si fatigué qu’il ne prenait pas même quelques minutes pour décompresser avec les collègues, à bavarder des incidents du jour : le record de pièces, battu à l’atelier 3, le bras happé à la halle 7…

Ce qui est par contre beaucoup moins commun, est que Xifan était le fils du PDG de ce célèbre et prospère groupe de chaussures de Chengdu. Atypique aussi, le fait que son père l’ait arraché à ses études à l’université du Sichuan, et malgré les apparences, ce choix de Wu senior était bel et bien dicté par l’amour filial.

Le problème de Xifan, c’était sa bosse du commerce, sa rage invétérée du business. En ’98, à l’âge tendre de 15 ans, il vendait déjà son ordinateur au marché d’occasion, et s’en refaisait un autre à partir de pièces de même origine, gagnant ainsi 300 yuans. Cette même année, le soir d’un séisme à Taiwan, il avait deviné que les cartes-mémoires (alors un quasi monopole de l’île nationaliste) manqueraient sous peu. Par anticipation, il avait raflé toutes celles qu’il avait pu trouver en ville, pour amasser 30.000 yuans en quelques jours.

En 2001 en fac, il avait flairé la mine d’or que serait un magasin de chemises, boléros et jupettes en face du conservatoire de musique, avec toutes ces demoiselles musiciennes folles de nippes à la dernière mode. Etudiant- fripier, il gagnait 24000 yuans mensuels. La faculté, insensible à son génie, relevait obtusément ses absences, le menaçant d’exclusion. A la quatrième mise en demeure, pour Wu-père, c’en était trop : « tu voulais réussir à la dure, lui dit-il, et bien on va t’y mettre ! » – et il le colla dans son usine. Obéissant, Xifan accepta tout, même de fermer boutique.

Ce type d’obéissance aveugle, si peu familier en Europe, est de règle en Asie. Elle est acceptée par les ados, car elle traduit un lien fort, une charte de devoirs les uns envers les autres, comme un ascenseur confucéen entre générations. Aussi quand Xifan eut vent de Changjiang, une des meilleures écoles de commerce du pays, son PDG de père promit sans discuter d’allonger les 380.000 yuans de frais de scolarité. Il y mit toutefois une ultime condition : qu’il se trouve quelque part une (autre) place en usine, sans piston ni se prévaloir de sa famille.

Ce que le fils obtint en moins d’une semaine, à Canton. Dans sa nouvelle « boite », Xifan découvrit une entreprise technologiquement bien plus avancée, forte de sa mécanisation et robotisation, mais comme des milliers d’autres établissements du delta, elle accusait un désert d’imagination au niveau du design et du marketing. C’était copie, clone, sans la moindre idée de l’importance de la marque, de l’originalité et de la communication comme garantie d’avenir : sous ses yeux, la crise allait les faucher par centaines.

A 24 ans en 2007, une fois l’année de purgatoire écoulée, Xifan intégra l’école de Changjiang, tout en poursuivant un master de management dans son alma mater. En même temps, il se mettait à réfléchir à un business-plan pour le groupe familial.

C’est ainsi qu’en mars dernier, il a déposé un logo et recruté un designer brésilien pour concevoir des modèles, lignes et collections propres, différentes et qui ne doivent leur existence qu’à la recherche et non au piratage. Quant au père Wu, il est fier de son rejeton qui a su apprendre à s’imposer dans l’épreuve. «Plus l’hiver est froid,  aime-t-il dire à ses amis, plus la fleur du prunier est forte », (梅花香自苦寒来,Méi huā xiāng zì kŭ hán lái.

 !

 

 

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
9 de Votes
Ecrire un commentaire