Petit Peuple : Nankin : divorcée sans le savoir

En février dernier, à 47 ans, Mme Zhang Xia, de Nankin, sentit le vent d’un boulet de canon qui aurait pu briser son existence. Son marchand de meubles de mari venait d’abandonner le domicile conjugal. Et quand, pour en avoir le coeur net, elle avait activé son réseau de relations, elle apprenait que Zhao De courait le guilledoux dans les bras d’une fille, et qu’ajoutant l’insulte au crime, il le faisait en tout bien tout honneur, puisqu’il avait divorcé quelques mois plus tôt.

Pour Zhang, la perte était grande, sous tous rapports. Elle perdait la face devant voisins et famille, et comment subvenir désormais à ses besoins et à ceux de leur fils. La perte affective était moins nette: depuis des années, chez eux, l’amour laissait des traces toujours plus faibles. Depuis 12 mois surtout, Zhao disparaissait des journées voire des semaines, déguisées en « mission d’achats » ou en «séminaires avec les clients ».

Zhao était bel et bien en train de feindre la fidélité au foyer, tout en menant une vie de bâton de chaise à peine le pied dehors. Ce qui en chinois se dit « lever dans sa maison l’étendard pourpre, et au portail, celui multicolore de la drague» (屋内红旗不倒, 屋外彩旗飘飘 wū nèi hóng qí bù dăo, wū wài căi qí piāo piāo). Pas dupe, Zhang évitait tout commentaire, afin de ne pas bouleverser leur fils au cours de ses études.

Mais dans son infortune, ce qui choquait le plus Zhang Xia, est que ce divorce était pour elle une «première nouvelle » : personne ne lui avait demandé son consentement, moins encore sa signature. Elle alla d’abord voir le bureau des affaires civiles, qui lui sortit leur dossier, parfaitement en ordre.

Alors, la lumière se fit. En février 2008, quand il avait commencé à découcher, Zhao s’était introduit chez eux et avait volé à Xia sa copie personnelle du certificat de mariage (dont selon la loi, chaque conjoint reçoit une, toutes deux exigées pour la séparation), son permis de résidence et sa carte d’identité. Puis une de ses conquêtes qui ressemblait de loin à Zhang, avait accepté d’accompagner le mari au bureau des divorces pour jouer son rôle. Suite à quoi les ronds de cuir, n’y voyant que du feu, avaient sans broncher brisé le couple. Pire : refusant d’assumer une quelconque faute, ils s’affirmaient dans l’impossibilité de revenir sur leur décision.

Xia attaqua donc en justice non le mari volage mais le bureau des affaires civiles pour faute administrative. La cour couvrit d’abord les cadres, affirmant contre toute évidence que leur incapacité technique à repérer des tricheurs ne pouvait être imputée contre eux.

En mars eut lieu le procès en appel : heureusement pour Zhang Xia, le tribunal tournant casaque admit alors la faute du bureau des affaires civiles. En omettant de vérifier les identités des requérants, malgré une photo évidemment différente, le bureau des affaires civiles s’était rendu complice involontaire d’une usurpation: il se voyait enjoint de rétablir sans délai le mariage, et d’annuler sa décision.

Six mois plus tard, on en est resté là. Zhao n’est pas retourné au domicile -«plutôt mourir», fait-il. Mais Zhang Xia a gagné l’essentiel : la face, et pour le mari, l’obligation d’assumer les torts de l’abandon.

Dans cette affaire frappe la contradiction des verdicts successifs. En exonérant a priori l’administration de toute erreur, le premier poursuivait le principe maoïste d’infaillibilité de l’apparatchik face au citoyen, principe indispensable pour assurer le bonheur des masses. Tandis qu’en condamnant le BAC, le second créait un précédent démocratique lourd de conséquence, affirmant la responsabilité des administrations – l’obligation de réparer leur faute. Cette attitude plus moderne, mieux que de longs discours, démontre la réalité de la réforme irrésistible en cours au sein de la justice au Céleste empire, qui moud certes lentement, mais une farine toujours plus digeste et pure !

 

 

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