Le problème de Qian Li, brillant jeune médecin de médecine traditionnelle à Jiujiang (Jiangxi) n’était pas sa compétence (indiscutable), mais son goût invétéré de la fraude. Dès 1999, après un an seulement d’exercice, il avait été renvoyé de son hôpital pour avoir palpé le bakchich d’un patron cimentier. Au chômage depuis six mois, il avait été bien heureux par la suite, d’obtenir un job de secrétaire à la clinique privée de maître Jiang Daquan: planche de salut inespérée. Car ce cabinet familial était très coté, par ses quatre siècles d’existence sans interruption, et par ses remèdes secrets miraculeux. Qian aurait pu remercier le ciel, tenter de mériter sa chance… Mais le vice le tenaillait toujours : il n’attendait qu’une occasion pour se sauver, avec dans ses poches, les formules magiques !
Un jour que Jiang Daquan était sorti à la pharmacie, le jeune escroc fouilla les coffres où le maître serrait ses manuscrits. D’un d’eux, il extrait une cassette d’argent. Il y trouva 3 piécettes datant de l’ère Kangxi et ce texte calligraphié au pinceau sur un feuillet volant : «Piqûres d’abeilles, frelons et guêpes. Décoction d’herbe «gōutóu» appliquée en compresse chaude -douleurs et enflures disparaissent en 24h. Attention Danger : à n’utiliser que par l’héritier ! »
Qian réfléchit. A son souvenir, Elymus nutans Griseb, graminée, émettait naturellement une enzyme anti-oxydante qui détruisait le venin en réduisant l’oxygène autour de la piqûre. Ca devait marcher, et cette fois, sa fortune était faite, ou il ne s’appelait pas Qian Li!
Il commença par rappeler le cimentier, l’ancien client qui lui avait valu son peu glorieux renvoi. Ce dernier, ravi, l’invita à dîner chez lui en tête à tête. Au cours du repas, fort arrosé de bière, Qian tira parti du temps où le nabab partait se soulager, pour poser sur sa chaise une punaise enduite de venin d’abeille, reliée à sa chaussure par un fil. A son retour, le patron ne manqua pas de se piquer, se releva en hurlant, donnant à Qian un instant pour écarter le traquenard d’une discrète traction du pied. Dix minutes après, l’hôte commença à se plaindre d’élancements insoutenables, tant la fesse enflait fort : Qian avait mis la dose. Mais justement quelle chance, Qian avait chez lui par le plus grand des hasards le remède miracle. Plus tard, ayant reçu au fondement l’emplâtre salvateur, le riche repartait éperdu de reconnaissance, soulagé de 5000¥ (« tout ce qu’il avait sur lui ») et d’une promesse de le recruter comme son médecin privé…
L’ennui, c’est que deux jours après, le richard était de retour au cabinet, pitoyable, la fesse plus tuméfiée que jamais. Très ennuyé, le jeune docteur n’eut d’autre choix que d’alerter maître Jiang. Ce dernier observa la grosseur, entendit Qian raconter son diagnostic, le soin apporté. Sans commentaire, il prépara son onguent, l’appliqua sur la région enflammée. Après 30 minutes, le malade soulagé rentra chez lui : le maître lui certifiait que cette fois, ses ennuis étaient finis.
Une fois la porte du cabinet fermée, les 2 hommes se regardèrent. Sans crier gare, maître Jiang décocha à l’assistant une gifle à décorner un boeuf, l’avertissant : soit il «corrigeait fondamentalement son penchant au délit » (痛改前非 tòng gǎi qián fēi), soit lui, Jiang prévenait la police. Démasqué, Qian tomba à genoux, avoua son forfait, promit de s’amender.
Alors, le maître se radoucit abattit ses cartes: il l’avait engagé en fait, pour faire de lui son héritier. Aucun de ses fils ne voulait lui succéder dans ce métier vieux jeu. Qian était très doué en médecine, c’était seulement son penchant à la triche dont il fallait le guérir et lui, Jiang, savait le faire : tout, dans l’homme, se soignait, corps et âme. Pour peu qu’il reste dans le droit chemin, Jiang le formerait à prendre sa relève…
Il en fut ainsi. Durant des ans, il lui apprit toutes ses formules, sauf celle des piqûres, qu’il avait tenté de lui chiper. Puis en mars, le vieux eut une attaque. Sachant ses jours comptés, il finit par lui donner le secret. Alors, Qian put sourire de sa propre bêtise, étant passé, le jour de son vol, si près de la solution, sans la voir. Car les trois sapèques faisaient partie de la formule. Plaquées d’un alliage spécial, elles dégageaient dans la décoction un sel prévenant les effets secondaires de la plante. Ainsi, quatre siècles plus tard, le remède fonctionnait encore dans les deux sens : guérissant le malade, piégeant l’apprenti sorcier!
Li Tian, l’embrouilleur virtuel
Programmateurs électroniques, spécialistes du design des jeux en trois dimensions, Li Tian et son amie Liu Fang avaient étudié deux ans en fac à Dalian, puis trois Juseong en Corée du Sud, la Mecque de cet art. Rentrés à Pékin en 2006, ils n’eurent aucun mal à se faire recruter chez Gamefans, une des meilleures maisons pour ce type de logiciels. Après quelques mois, Wang, le patron leur confia le projet de concevoir un jeu de football mettant en scène les stars et les équipes alignées aux JO de Pékin ’08.
Ils se mirent donc au travail. Ils progressaient déjà, quand arriva le 1erincident. Liu trouva un matin le bureau de son ami rangé au carré, d’une propreté atypique. Sur sa console à elle, elle trouva ce message insensé: débauché par les Coréens, il était passé à la concurrence étrangère. Il lui demandait cependant de lui rester fidèle. Le plus bizarre, dans l’affaire fut la réaction du patron Wang : étrangement bonasse, il n’exprimait nul choc, et disait à Liu de continuer, la nommant, elle, chef unique du projet.
Des semaines plus tard, 2d coup de théâtre, tout s’éclaire! Par mail, Li Tian avoue qu’ il est en mission pour le compte de Wang, chargé d’espionner ses Coréens. Aussi, il faut qu’elle l’aide, en le tenant en au courant de lurs propres progrès.
Donc comme avant, Li Tian et Liu Fang échangent tout, et savent ensemble du projet « foot », côté chinois et côté Coréen. Avec l’aide de Li, Liu, chez Gamefans, progresse à double vitesse!
Arrive le 12 juin, jour du salon, Gotha du joystick. Les caméras n’en ont que pour leur jeu de balle sur tapis vert. Vite pourtant chez Gamefans, on sent le coup fourré: ce sont surtout les Coréens qui attirent les foules, avec sur leur stand un Li Tian gominé qui présente un logiciel miroir du leur, et même un peu meilleur: Wang et Liu découvrent que Li Tian a retourné sa veste !
Ayant terminé sa manip, Li Tian nullement gêné s’approche pour s’expliquer : il a trahi pour l’argent, car quitte à espionner, autant le faire pour ceux qui paient le mieux – le décuple, en l’occurrence! Et puis c’est le jeu. Les coups de Jarnac, ce n’est pas fait que pour les jeux sur console -ils viennent de la vie réelle, et maintenant, ils y retournent…
Wang dégoûté s’apprête à battre en retraite quand Liu l’arrête, le regard dur : « un instant, patron, regardez un peu ». Face à l’assistance médusée, elle commence sa propre démonstration, et soudain surprend tout le monde par sa résolution très nette, ses costumes plus réalistes, ses pubs déroulantes en bordure de terrain : ovation, et les acheteurs, en masse, changent d’avis…
Li Tian, éberlué n’y comprend plus rien : « c’est toi qui m’as grugé ? »
Non, répond-elle sans sourire, c’est une phase du logiciel que je viens de développer, et que même le patron ignorait, on l’a mis au point ces derniers jours… Je voulais vous en faire la surprise…
Résultat du match : sur place et en public, Liu Fang a rompu avec Li Tian, lequel s’est aussi retrouvé chassé séance tenante par ses Coréens, n’appréciant ni de perdre le marché, ni de se retrouver au coeur d’une affaire d’espionnage industriel. Un Li Tian effondré réalisait -mais un peu tard- qu’il avait « tissé son cocon pour s’y enfermer » (作茧自缚 zuò jiǎn zì fù) – qu’il avait forgé l’instrument de sa propre disgrâce !
Sommaire N° 25