Deux affaires de la semaine nous offrent un regard sur la mutation des rapports entre pouvoir et rue. 20 ans d’enrichissement culturel et matériel ont vu naître 300M d’internautes, qui se rassemblent pour la défense de leurs intérêts, leurs vues, et leurs droits.
[1] Sous prétexte de mettre sa jeunesse à l’abri des tentations des trop nombreux sites pornographiques, le MIIT, (Ministère des Industries et des technologies de l’Information) tutelle de l’internet a commandé aux firmes Jinhui et Dazheng le logiciel Lüba, « barrage vert ». Payé 6MUS$, Lüba est supposé permettre à l’Etat de maintenir dans chaque famille connectée, un index des sites indésirables : Toute machine neuve doit le contenir installé par défaut, au 01/07/2009.
Mais les problèmes arrivent. Solid Oak (US) affirme que les codes-programmes sont les siens, et enjoint tous constructeurs de s’abstenir d’installer sa propriété piratée. Apparaissent aussi des fautes sécuritaires, face aux hackers : du coup, les industriels voient leur adhésion tiédir. Or, les auteurs ne parviennent pas à sortir un « patch » sans défaut. Puis la presse, la toile se mêlent au débat. 1SSW365.org, le site anti-Lüba reçoit des dizaines de milliers d’avis de groupes sociaux qui se sentent visés (homosexuels, chercheurs, intellectuels). Des profs de fac tels Chen Lidan (Renda) objectent à une protection des jeunes qui pénalise deux fois plus d’adultes que d’ados. Xie Xinzhou (Beida) affirme le droit des gens à échanger leurs idées sans interférence. Shen Kui (Beida) s’inquiète de la rationalité d’un monopole accordé à une ou deux firmes pistonnées, au lieu d’offrir à la société une palette de logiciels «recommandés» et en concurrence. Du coup, ce système qui se voulait un service, fait l’unanimité contre lui dès le 1er jour, et sur cette décision contestée, le bras de fer se poursuit.
[2] Serveuse d’une maison de bain à Badong (Hubei), Deng Yuchao, était depuis mai en semi-détention pour avoir poignardé un cadre qui exigeait d’elle des «services spéciaux». 4M de voix se sont trouvées sur internet pour la soutenir : le tribunal l’a libérée (17/6), quoique pour la forme déclarée coupable d’«autodéfense excessive», faute atténuée par une «instabilité mentale». Même ainsi, le tournant est essentiel. Suite à une mobilisation, la sanction -normalement systématique- pour avoir tué un cadre, n’a pas eu lieu. La mobilisation s’est faite sur deux causes très sensibles : la lutte contre l’abus de pouvoir, et la défense de la virginité des jeunes filles.
Sur ce terrain instable, l’Etat (plutôt que le juge local) a préféré faire marche arrière. Plusieurs questions demeurent : faut-il y voir un « ajustement technique au nom de la survie du Parti et de la société harmonieuse »? Ou bien un changement fondamental de perception ? Ce genre de changement est-il réversible? En tout état de cause, dans les deux cas évoqués, la pression de la rue eût été impensable 10 ans en arrière: elle a émergé, en devenant virtuelle!
Sommaire N° 22