Petit Peuple : Hong Kong – Canine à dollars, et Little Sweetie

48 ans après sa naissance à Hong Kong, Tony Chan se rappelle ses années d’enfant de la balle, ses 11 ans passés (après une scolarité sans relief au collège Matteo Ricci) dans des jobs calamiteux, rat d’hôtel, vendeur à la sauvette, barman ou chasseur de contrats, sans jamais réussir – mais sans jamais non plus désespérer faire fortune.

Son père lui avait légué de vagues leçons de 风水 «fengshui», l’art géomancien de la pluie et du vent, d’infléchir l’avenir par la maîtrise des courants méridiens.

En 1990, un jour de déveine encore plus dur que les autres, il eut l’idée d’écrire un petit opuscule, de le faire éditer à compte d’auteur. Contre toute attente, malgré son titre abscons, Structure de la carte du ciel fit un tabac, eut de nombreuses rééditions, en cette métropole où la modernité n’a jamais enterré la superstition ni la quête langoureuse de son âme chinoise antique. Catapulté maître devin, Tony devint le chouchou de la haute. Il ouvrit son école de fengshui, et sans complexe, se mit à facturer ses consultations 300² au magasin de moins de 333m² – tarif qui lui valut le sobriquet de «Canine à dollars» (bucky tooth). Tony, il est vrai, promettait d’exhausser en 2 semaines les voeux les plus fous.

Il eut parfois des «couacs», tel ce député véreux convaincu d’avoir acheté son siège, venu le voir dans l’espoir d’échapper à la prison. Chan le lui avait promis bien sûr, pour peu qu’il grille chaque soir durant un an 15.000HK$. Trouvant bête de gaspiller tant d’argent, l’élu avait réduit d’un zéro (à 1500HK$) sa dîme, et s’était quand même retrouvé au cachot: s’en plaignant amèrement à «Canine à dollars», ce dernier lui avait fait avouer sa supercherie, et conclu qu’il n’avait donc qu’à s’en prendre à lui-même, d’avoir ainsi tenté de flouer les Dieux !

La même année, arriva pour notre magicien l’autre chance de sa vie. Un des plus riches magnats de l’île, Teddy Wang, PDG de Chinachem (consortium aux secteurs aussi variés que la pharmacie ou l’immobilier) venait de se refaire kidnapper pour la 2de fois de sa vie. Et cette fois, ni le paiement des 34M$ de la rançon, ni le travail de la police ou des détectives n’avait permis de le libérer. Des sources obscures le disent péri, noyé lors d’une traque maritime du hors-bord des kidnappeurs, le corps ne fut pas retrouvé. Aussi, sa femme, Nina avait recruté Tony, rêvant de remonter à lui par radiesthésie.

Il n’y parvint pas. En eût-il été capable, qu’il eût renâclé à la tâche : entre-temps, il avait trouvé mieux à faire. Bientôt, cette milliardaire fantasque et vieillissante, célèbre pour ses tresses, ses minijupes et son improbable surnom de Little Sweetie était tombée sous son charme et ne pouvait se passer de lui, au sofa ou au lit. Il était l’intime de la femme la plus riche d’Asie, pesant (financièrement parlant) 4,2MM$, 5 fois la reine d’Angleterre.

Mais la fortune gagnée d’une main par Nina, la fuyait de l’autre. Dès 2004, elle se découvrit atteinte d’un cancer ovarien que les meilleurs traitements d’Amérique ne purent guérir. Elle décéda en 2007, à 69 ans, à peine 2 ans après avoir reconquis cette fortune dont son beau-père avait failli la déposséder. Depuis 2002, le monde et la famille croyaient que le pactole irait à une fondation chinoise de Chinachem, aux mains du beau-père. Mais coup de théâtre, à peine Little Sweetie enterrée en grandes pompes, Canine à dollars fit son apparition pour sortir du chapeau un testament de 2006, qui, s’il est confirmé, fera de lui le légataire universel !

La famille et même la Chine ne l’entendent pas de cette oreille. Depuis mai en justice, l’ex-beau-père et l’ex-barman se jettent témoins, avocats, graphologues à la tête. Aux dernières nouvelles, le mage perdrait la partie, «son» testament serait un vulgaire faux. Mais le même tribunal avait fait le même verdict sur le testament du mari, lors du procès précédent, avant de se déjuger en cassation…

N’enterrons donc pas trop vite Tony, filou notoire, champion des contre-attaques désespérées et de l’art, tel ce général de l’époque des Tang, de «sortir d’une embuscade pour occire l’adversaire» (半路杀出 个程咬金 bàn lù shā chū gè chéng yǎo jīn).

 

 

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