Editorial : Le nouveau patriotisme chinois, et l’étranger

«La Chine est mécontente»: depuis décembre 2008, ce best-seller s’est vendu à 500.000 exemplaires, voire des millions, en comptant les versions pirates. Par ces recettes de vente, les cinq auteurs auront trouvé de quoi calmer leur mécontentement. China Daily, qui fait preuve pour l’occasion d’une rare liberté de parole, qualifie les auteurs de « nouveaux gauchistes extrémistes ».

A tout le moins, ce livre propage des thèses anti-étrangères, comme celle d’un «divorce conditionnel» avec l’Ouest, l’Amérique accusée de complot pour «enfoncer la Chine», mais aussi Paris qui lui manque de respect : elle devrait «réduire» les relations avec elle. Dans les émeutes de Lhassa de l’an passé, il voit la preuve d’une «stratégie d’encerclement» des «diables étrangers». La Chine ne devrait plus laisser «les USA kidnapper le monde». L’armée devrait «servir les intérêts fondamentaux du pays» (appel discret à une conquête des îles Spratley ou Diaoyu). Il faut aussi «étouffer les vents décadents», «construire la nation l’épée à la main»: rejeter l’influence de l’Ouest! Et comme aux années noires de la Révolution, nos auteurs taxent de trahison et de défaitisme tous ceux qui ne pensent comme eux et qui réclament la démocratie.

Si le régime n’a pas censuré ce livre, c’est qu’il reflète son aile conservatrice -même s’il le gêne par endroits. Mais son succès est dû au fait qu’il reflète fidèlement les angoisses de la Chine profonde, quand à l’avenir : les déficiences de la santé publique, la pollution, le krach boursier (qui a réduit en cendre des millions de pensions), l’emploi : autant de ratages de l’Etat, que ce dernier -et nos auteurs-occultent en tirant le rideau de l’étranger.

Cependant, l’Occident ne peut être tenu entièrement innocent du malaise chinois. La jeunesse doit apprendre à vivre dans le stress et la concurrence venus de l’Ouest : ses parents ne les connaissaient pas, pas plus que la mélamine ou fraudes boursières. De larges tranches de la société se sentent trahies par les critiques européennes contre leur pays, les manifs anti-chinoises de l’an dernier sur le passage de la torche olympique, dans lesquels elles voient un rejet malveillant d’une Chine qui réussit trop bien.

Une bonne nouvelle cependant : après la sortie du livre cocardier, des voix s’élèvent en Chine pour défendre l’étranger et leurs propres valeurs (cf notre blog du 9/03, « la France aime la Chine, et ne l’aime pas », http://www.leventdelachine.com/blog.php?page=2). Elles accusent les auteurs de jouer les bons apôtres et de s’enrichir sans dépanner la maison Chine. Ainsi, c’est à une étape de croissance de la nation chinoise que l’on assiste : moment tumultueux où tout arrive en même temps, les démocrates et les xénophobes !

NB : Pékin vient de se réconcilier avec la France de N. Sarkozy (cf p.4). Avec le Japon, il s’était réconcilié en 2006, suite à des années de mauvais climat sur fond de visites du 1er ministre Koizumi au sanctuaire de Yasukuni. Or, le 23/04, le cauchemar reprend : la Chine proteste car Taro Aso, le 1er ministre du moment vient de «faire une rechute» en offrant un arbre au même mémorial négationniste. Le même jour, il avertit aussi Barak Obama de dommages aux relations, au cas où il recevrait le Dalai en octobre. Avec la France, le Japon, l’Amérique, la brouille menace tour à tour, comme si le régime avait toujours besoin d’un bouc-émissaire, en partie pour contenter cette opinion qu’il a engendré, et ne contrôle plus.

 

 

 

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