Petit Peuple : Yucheng : une loyauté de 835 ans

A 80 ans sonnés, Song Kecheng, originaire de Yucheng (Sichuan) a le sens de la famille. Depuis 60 ans, il remplit la charge, confiée 835 ans plus tôt à son ancêtre : gardien du tombeau de Yu Yunwen, 1er ministre de Chine sous les Song du Sud. Rien, durant toutes ces années n’a pu arracher sa famille à la protection de ce tas de pierres. Ni guerres, ni famines, ni même la révolution n’ont fait plier Song Kecheng et les siens : en pleine nuit, en cachette, ils ont fait leur devoir, mais jamais n’ont abandonné leur garde obstinée du mausolée, jusqu’à la fin des temps.

Aussi à l’aube du Qingming (fête de la lumière pure), à Yucheng, qui tire son nom du défunt légendaire, Song Kecheng s’est levé et après de brèves ablutions s’est mis en chemin, accompagné de Li Zhengnan, son épouse de sept ans sa cadette. Portant dans son panier ses accessoires préparés la veille, il s’est rendu au pied du mont Yuping, au petit monument de 2,3m par 1,80. Devant la stèle, il s’est agenouillé et dans son rocailleux accent sichuanais, a prononcé la formule sacrée, avec la même ferveur émue que ses pères, depuis 835 ans:«Premier ministre, voici venu le Qingming. Laissez-moi balayer votre tombeau», suite à quoi il a passé des heures à gratter soigneusement les blocs, nettoyer mousses et lichens, rafraîchir les inscriptions. Il a déposé ses offrandes de fruits, la coupelle d’alcool blanc, fait brûler la monnaie de l’enfer, avant de repartir avec son épouse, satisfait du devoir accompli.

Pour ce travail, il reçoit de la commune 40¥/mois (non réactualisés depuis 30 ans). Ce maigre salaire compte moins pour lui que l’honneur et la tradition, qui semblent habiter le village et lui faire oublier sa misère quotidienne. Pourtant, la tâche de Kecheng est tout sauf honorifique. Les pilleurs de tombeaux pullulent, enragés par la légende. En 1161, Yu Yuchen aurait sauvé l’empire d’une offensive des Jurchen (Jin), remportant la bataille décisive de Caishi contre des forces très supérieures en nombre (18.000 contre 400.000 soldats). Mais 13 ans après, il aurait été décapité, suite à une calomnie de trahison. Une fois l’erreur réalisée, l’empereur Gao Zong, affligé, l’aurait fait ensevelir en grande pompe avec une nouvelle tête en or massif, dont salivent depuis lors les candidats profanateurs. Dans les années ’70, un équipement primitif de couteaux et de cordes pouvait suffire au père de Kecheng pour défendre le sanctuaire. Mais dès 1984, les alertes répétées imposaient au Bureau de l’antiquité de lui confier un fusil. Les attaques culminèrent entre ’98 et ’99 : en 14 mois, six tentatives furent enregistrées, dont certaines faillirent réussir. Kecheng releva jusqu’à cinq entrées de tunnels autour du mausolée, sur quoi il décida avec Zhengnan de dormir armés sur place. Une nuit de mai 1999, il entendit les pillards arriver, envoya sa femme avertir la milice puis 10 minutes plus tard, tira un coup de fusil en l’air: les malfrats s’enfuirent… dans les bras des vigiles, qui en prirent cinq, calmant ainsi pour quelques temps leurs ardeurs maraudières.

Fier de sa mission peu commune, le vieux gardien a quand même deux soucis. Anodin mais impossible à satisfaire, le premier tient à son ignorance, vu le silence des textes classiques sur ce point, du lien entre son ancêtre Song, et Yu Yunwen. Kecheng suppute que son aïeul était au service du général-premier ministre. L’autre souci concerne l’aîné de ses six enfants. Unique mâ-le, il est l’héritier irremplaçable de la charge. Mais notre jeune homme est d’une autre époque! Il travaille à mi-temps en ville, il s’y plait, et ne veut pas entendre parler d’aller se ré enterrer chez les bouseux, pour les beaux yeux d’un fantôme.

Aussi le risque est réel, que là où huit siècles d’épreuves ont échoué, le XXI. siècle réussisse : à amollir l’homme, lui faire abjurer sa parole. Perdant ainsi pour un bol de soupe, son héritage impérial. Mais le vieux Kecheng ne veut rien savoir. S’il n’a qu’un fils, il fera le job, point/barre : «à qui a la charge, nul moyen de se défiler», dit-il -责有攸归, zé yǒu yōu guī !

 

 

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