Un samedi printanier de 2006, à Changsha (Hunan)«, les jeunes Qian Dawei et Lin Ling prenaient l’air main dans la main au Parc des Travailleurs quand une souillon les aborda : «pardon m’sieu-dames si v’z avez fini vos Coca, pourriez pas m’ donner les boites»? Scène banale, mais qui fit pâlir et chanceler le garçon, tandis que la clocharde tentait de disparaître, mais trop tard : par malheureux hasard, une mère et son fils venaient de buter l’un contre l’autre, au mauvais moment !
Car leur rencontre dynamitait un gros mensonge. Étudiant en 3ème année de physique, Qian ne doutait pas que Xie, sa mère fût une riche cadre de direction dans son usine d’Etat, planque increvable. Aussi, en bon «petit dragon» (enfant unique), il la «tapait» sans scrupule pour payer ses sorties au karaoké, au bar, son shopping, à lui et à Lin Ling, moins fortunée. Or voilà qu’il surprenait sa mère à mendier, et qu’elle s’enfuyait: «ne te sauve pas, maman – n’aies pas honte… Je n’ai qu’une mère… ce qu’en pense ma copine, je m’en f..» !
Laquelle copine, ne faisant ni une ni deux, s’était éclipsée : sur un banc, la mère lui avoua que depuis 13 mois, la boite avait fermé et qu’une fois les chiches indemnités dépensées, à 50 ans sonnés, elle s’était trouvée incapable de retrouver un emploi : cela faisait six mois qu’elle lui cachait sa ruine !
Le rouge aux joues, Dawei se rappela alors comment, huit jours avant, Xie avait hésité deux à trois secondes à lui tendre les 300¥ qu’il réclamait « pour acheter des livres » -en réalité, c’était pour sortir avec Lin Ling. La veille, il avait perdu la face en refusant d’aller passer la soirée en boite avec elle, sans oser avouer que sa bourse était plate…
De retour à sa chambrée, un peu plus tard, Dawei constata que décidément, sa vie venait de prendre un tournant à angle droit: dans le message humide qu’il vit sur sa table, Ling lui annonçait une prise de distance, « le temps de réfléchir ».
Sous ces coups du sort, notre brave potache se retroussa les manches. Il raya les fêtes de son agenda, étudia plus dur, prit des jobs de week-end pour gagner sa vie et soulager sa mère du fardeau financier.
En juin 2007, après les examens finaux (que Dawei avait franchi haut la main), le rectorat organisa sur le campus la traditionnelle remise des diplômes. Après celle-ci, dans la nuit, Dawei rentrait à sa bonne vieille chambrée, quand une voix le héla derrière lui : c’était Lin Ling qui ressurgissait, pour lui avouer toute la vérité sur leur chaotique séparation.
Lors du fameux WE de la sortie ratée, le fait que son ami soit fauché avait mis à Ling la puce à l’oreille. Quelques appels lui avaient permis de découvrir le secret de la mère, et réaliser l’innocent machisme du fils gâté : immédiatement, elle avait orchestré le stratagème de la ballade au parc, pour le confronter à sa réalité. Tant par solidarité entre femmes, que pour mettre un terme à leur vie aux crochets. Et Lin Ling conclut qu’il était remonté très haut dans son estime, ce matin-là au parc, en s’affirmant devant tout le monde comme fils de cette mendiante, et en ne la reniant pas. Si la jeune fille, par la suite, avait préféré prendre ses distances, c’était pour aider Dawei à se recentrer sur ses études – et à résister aux tentations faciles.
Elle le rejoignait, à présent qu’il avait « remonté la pente ». Ce qui, en chinois, se dit 迷途知返 mí tú zhī fǎn, « qui perd la voie, peine à la retrouver ». Un indice, sans doute, que la morale reste vivante en ce pays…
«afin de préserver l’anonymat des héros de cette aventure qui est réelle (comme toutes nos chroniques du « petit peuple »), la ville, les dates et les noms en sont ici fictifs.
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