Au lycée n°1 de Yingkou Liaoning), Zuo Ya, étudiante émérite, avait son avenir tout tracé. Son seul souci -bien de son âge- étant la découverte de l’autre sexe. En 2006, le lycée les avait gratifiés d’un cours maladroit où la prof de biologie, s’aidant du cliché d’une femme nue, avait effleuré les rudiments techniques de l’amour, tandis que les gars ne cessaient de glousser et les filles interdites, de s’observer en biais. Puis dès 2007, le cours avait été annulé, renforçant le malaise de Zuo Ya. C’est que sa classe comptait 4 à 5 petits couples, 25% de leur groupe, qui ne cessaient de chuchoter et se faire des oeillades.
Aussi pure que naïve, Zuo Ya n’était en rien jalouse. Mais sa tante, gynécologue, était là pour lui conter l’explosion des avortements dans son hôpital, des fausses couches et grossesses sauvages. Et ses copines disparaissaient du lycée, pour réapparaître vendeuses ou bonnes, leurs coeurs et leurs corps gâchés à jamais ! De ce mal, les parents étaient en partie responsables, avec leur propension à «garder la vérité sous cloche» (讳莫如深 hui mo ru shen), et ignorer les appels à l’aide.
C’est pourquoi en 2007 après son bac, Zuo Ya décida de briser le mur du silence: elle tournerait un film d’éducation sentimentale, qu’elle posterait sur internet !
Tout de suite, elle trouva fa-ce à elle une ville en fièvre, tel un nid de guêpes dérangé d’un coup de pied. Plutôt que d’en parler et faire des vagues, les esprits vieux-jeu préféraient laisser s’envenimer le mal social. Enthousiaste, la frange moderniste défendait le remède imaginé par Zuo Ya. Sans opinion mais pragmatique, la majorité comptait les points: telle sa mère, pas hostile sur le fond, mais qui déplora qu’avec sa maudite lubie de s’occuper des affaires des autres, Zuo Ya ait obtenu un score médiocre au bac, la forçant à redoubler.
D’accord en principe, ses co-pains de classe voulurent bien financer son projet, voire prêter jusqu’à 3 caméras digitales. Mais au grand jamais, ils n’acceptèrent de se porter volontaires comme acteurs : « les parents se fâcheraient », prétexta l’un d’eux, qui craignait en fait, de dévoiler à la caméra son ignorance sur les manières dont le corps exulte.
Zuo Ya tint bon. Elle trouva un ami pour rédiger le scénario -tragique à souhait, mais dépourvu de toute scène torride. Un collège technique lui fournit deux chambres comme décor, et l’aida à convaincre quelques uns de ses apprentis de tenir les rôles : moins maniérés et plus pauvres, ils furent surtout sensibles à l’appât d’un petit cachet.
Surtout, à force d’obstination téléphonique, Zuo Ya sut convaincre un magazine féministe de consacrer un reportage à sa démarche: depuis, les fonds affluent, les techniciens bénévoles aussi – la sortie sur la toile est imminente.
De son aventure, Zuo Ya a beaucoup appris. A vaincre ses peurs, et à aider les adultes à conjurer les leurs. Voyant leur jeunesse refuser cette fausse fatalité qui n’était en fait que lâcheté, les bonnes gens de Yingkou retrouvent leur courage, acceptent de décaper leurs relations de leur chape d’hypocrisie : à défaut d’avoir été les auteurs du changement, ils sont prêts, désormais, à s’en faire les alliés !
Sommaire N° 7