Petit Peuple : Fuling—la brouette sitchuanaise

Fuling (Sichuan, 200.000 âmes) est une de ces antiques villes au bord du Yangtzé, sertie dans une mosaïque de rizières d’un romantisme saisissant, mais dure à vivre, promesse de misère pour ceux qui les cultive.

Fuling compte trop de garçons : la faute aux parents qui ont comme un seul homme opté pour n’avoir pas de fille, sans soupçonner qu’ils condamnaient leurs fils à une vie sans amour et dans le besoin, faute d’assez de bras pour abattre assez d’ouvrage.

Ce jour de mars 2004, Feng Fusheng, un de ces célibataires par force, ressassait des rêveries dans les ruelles, quand un léger jappement le fit se retourner: battant du toupet, un chiot malingre le suivait sans complexe, tentait d’entrer dans ses bonnes grâces. D’un jet de pierre, l’agriculteur tenta d’abord de le chasser. Mais arrivé à la ferme, le corniaud était toujours à ses basques, obstiné. Feng fut alors ému par cet être plus à plaindre que lui-même, qui prétendait lui confier sa destinée. Il lui servit donc le reste de sa soupe, et l’appela Heixiong (ours noir).

Comme pour lui prouver la justesse de son choix, Heixiong lui dévoila sans tarder ses talents insoupçonnés. Au marché voisin, Feng achetait un sac de charbon de bois, quand le chien aboya, d’un regard si éloquent qu’il comprit tout de suite : il lui posa la lourde poche sur le dos. A sa grande surprise, le roquet supporta la charge sans broncher, tout le long des 5 km jusqu’à la maison.

L’exploit poussa Feng à réfléchir. A partir d’une poussette fichue, il créa une carriole qu’il attela à Ours Noir, et le fit sortir faire ses emplettes en ville.

La réputation du cador magicien grandit alors à rythme exponentiel, et plus encore à l’automne, quand un Feng malade le laissa faire les courses à sa place: complices, boucher, épicier, pharmacien lurent la commande, la déposèrent  dans la nacelle, se payèrent et remirent la monnaie, avant de laisser le commis canin poursuivre…

Avant Ours Noir, le fermier avait déjà un chien – Ah Wang, énorme dogue tibétain, peu futé mais efficace pour garder les brebis… Rendu jaloux par son exemple, Ah Wang réclama sa part de travail, et reçut bientôt son propre pousse-pousse, tandis que leur maître encouragé par cette force tombée du ciel, se lançait dans un vieux rêve jusqu’alors irréalisable : bâtir un nouvel étage, pour y entreposer les balles du coton, germe de sa fortune future.

Inlassables du matin au soir, ses chiens font la navette entre la ferme et la briqueterie. Tandis que le corniaud fort comme un Turc ramène vingt briques, Ah Wang abat des charges de 50kg. Tout Fuling fait le détour pour le plaisir du spectacle des deux chiens attelés, et d’un bavardage avec Feng, entre deux coups de truelle…

Miracle, les belles voisines, émoustillées, se mettent à regarder Feng d’un autre oeil : il devient éligible -grâce à l’art d’un simple bâtard des rues. Tout cela, pour avoir accepté de prendre sa vie comme elle vient. Comme dit le proverbe, « si ton dessin de tigre est raté, fais-en un chien » (画虎不成反类犬hua hu bu cheng, fan lei quan) !

 

 

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