Le Vent de la Chine vous propose cette anecdote étrange, aux allures de roman à l’eau de rose -à ceci près qu’elle est authentique. El-le arrive au bon moment, veille de Noël, temps des cadeaux.
Au printemps 1972, Huimin et Yueying ouvriers en usine chimique à Suzhou, tombèrent amoureux, chose bien normale, à leur âge (19 et 18 ans), et en ce royaume célèbre des jardins et des amours…
C’était une erreur pourtant, et pas petite : à l’époque, seul l’amour révolutionnaire était licite, et les idylles ne pouvaient fleurir que sous la serre du socialisme. On se fréquentait, passée la 20aine, après le vote de l’assemblée de l’usine, point. Quant au mariage, c’était pour bien plus tard et sous conditions plus dures encore. Aussi à l’amidonnerie, nos tourtereaux évitaient de se parler et de se regarder (soucieux de ne pas trahir leur secret) : ils roucoulaient en silence -confiants en l’avenir, en un délicieux émoi.
Leur patience devait pourtant s’avérer vaine : En 1974, la fille fut renversée par un camion et il devint bientôt clair que Yuejing, la colonne vertébrale détruite, ne marcherait plus jamais !
Durant ces mois de convalescence, Huimin passa ses jours et ses nuits à l’hôpital, dans son dortoir à son chevet, lui donnant la becquée, s’occupant de ses soins d’hygiène – se substituant aux infirmières rares et débordées. Une fois de retour chez elle, il lui bricola un pupitre pour qu’elle puisse bouquiner allongée, et vint tous les soirs après le travail la voir chez ses parents, dont le soulagement n’avait d’égal que la stupéfaction.
La ville finit par s’émouvoir pour ce beau garçon qui s’étiolait si énergiquement. De la famille, de l’usine, du Parti, 1000 proches lui présentèrent des filles. Yuejing elle-même fit campagne pour qu’il fonde un foyer, fasse sa vie -après tout, elle-même ne pouvait plus lui offrir un héritier. Mais dur comme le diamant, Huimin réagit à la chinoise, lâchant l’accessoire pour tenir sur l’essentiel: il n’épouserait que celle qui partagerait avec lui les soins de sa malade.
C’était une recette gagnante s’il en était, pour faire fuir toutes ses prétendantes : quelle femme accepterait de se mettre du matin au soir, au service de la reine du coeur de son mari? Pourtant six ans plus tard, il s’en trouva une du genre qui savait voir avec le coeur : en 1980, patiente et simple, Minfang écouta leur histoire, rencontra l’invalide, qu’elle trouva souriante et affable. Elle releva le défi, et passa avec Huimin au Bureau des mariages.
Depuis, ils ont vécu 28 ans ensemble, à s’ingénier à rendre la vie de Yueying plus supportable, plaçant l’hiver un brasero sous son lit, un pain de glace aux mois chauds, la massant et lui mitonnant des plats…La paralytique leur rend ce sacrifice par tous ses moyens, notamment en acceptant de ne pas se laisser dépérir, à seule fin de ne pas les décevoir, ou en jouant la 2de mère pour leur fille, jour après jour, et l’éduquant en leur absence. En un mot, Huimin et Minfang se sont faits l’outil de vie de Yueying – mais elle, est devenue le sens de leur existence.
Si cette histoire touche ces jours-ci des millions de lecteurs chinois, c’est parce que Huimin et Minfang forment un exemple tangible de ceux «portant de la braise aux autres quand il neige » (雪中送炭 xǔe zhōng sòng tàn), capables de compassion. Elle annonce aussi que ce sacrifice apporte sa récompense – la félicité loin du confort, l’harmonie hors de l’espoir. Racontée par le « Quotidien du Yangtzé », cette parabole chinoise digne de la Bible s’inscrit en faux contre le principe directeur de la vie des Chinois modernes, le chacun-pour-soi !
Sommaire N° 40