En mai, Ma Ying-jeou, nouveau Président taiwanais (KMT, pro réunification) semblait l’homme du consensus, incarnant la réconciliation avec Pékin et le maintien de la croissance, mais aussi le garant de la souveraineté de l’île. Dans les relations avec la Chine, Ma promettait d’exclure les solutions extrêmes, indépendance et réunification. Mais un semestre après, les péripéties s’enchaînent tumultueuses, dont la dernière est l’arrestation (11/11) de Chen Shui-bian, son prédécesseur indépendantiste du parti DPP, emmené menotté à la prison de Tucheng, sous le matricule 2630.
L’auteur du scénario théâtral reste dans le flou – mais son inspiration « KMT » ne laisse pas de doute. Ma a pu vouloir avertir le DPP de sa détermination à « aller jusqu’au bout », ou bien donner des gages à la Chine, de son sérieux dans la démarche de réconciliation. Le « coup » peut aussi être parti de barons du KMT, ou de juges farouches partisans de la réunification.
Dans l’affaire, la crise mondiale a joué son rôle. En tranchant dans leurs importations, les USA, protecteurs naturels de Taiwan, ont fait reculer le commerce extérieur de l’île de 8,3%, alors que la Chine est devenue son 1er partenaire commercial (40 à 50% de son PIB). Ce mauvais chiffre, quoique lui laissant encore un excédent commercial mensuel de 3MM$, est un signal d’alarme.
L’incarcération intervient sept jours après le rétablissement de liaisons aériennes normales (108 vols/semaine, vers 21 villes chinoises), postales et touristiques. Des dizaines de milliers de manifestants ne purent empêcher la visite du négociateur chinois Chen Yunlin. Entre ces deux faits, nul hasard possible. 70% de la population croit l’ex-Président coupable de détournement de fonds électoraux et délit d’initié, fraudes qui l’écartent de la vie publique. Ma en profite et fonce! Mais pour autant, la déchéance de Chen Shui-bian ne signifie pas un chèque en blanc à Ma, pour procéder au rapprochement au pas de charge avec la Chine. Du coup, la vieille méfiance refait surface entre la majorité indigène hakka et min nan et la minorité han, rêvant du retour à la «mère patrie».
Face à l’offensive du KMT, le DPP ne peut qu’appeler au «dialogue», par la voix de Tsai Ing-wen, sa nouvelle cheffe, limitée cependant par le besoin de se démarquer de l’héritage de Chen.
Ma tente de rassurer : «seuls les Taiwanais décideront de leur avenir ». Conscient d’avoir tant gagné, Pékin évite de verser de l’huile sur le feu, et interrompt pour l’heure (on peut imaginer, sur demande de Ma) toute mission nouvelle de ses cadres vers l’île. Mais le prochain pas est déjà annoncé : un traité de paix en bonne et due forme. C’est un tournant dans l’histoire, rêve d’indépendance qui s’éloigne. Un peu perdue, la population sait ce qu’elle ne veut pas, mais n’y voit pas encore clair, sur ce qu’elle veut !
Sommaire N° 36