Petit Peuple : A Jiangyou, Perrette et le pot au lait

Bien chinoise dans sa complexité, l’aventure qui suit brasse 1000 thèmes contradictoires, l’ altruisme et la compassion, les ficelles d’une carrière réussie dans la police, la vertu citoyenne, la manipulation de l’opinion.

Au début pourtant, quoi de plus humain ? A Jiangyou près de Beichuan (Sichuan), Jiang Xiaojuan était policière et mère depuis six mois, quand éclata le 12/05 le séisme, dragon de pierre qui explosa à la minute toutes les villes à l’épicentre, laissant des M de sinistrés, des morts et blessés gémissant sous les décombres.

Venant de sevrer son bébé, Xiaojuan avait encore son lait. Dans les heures qui suivirent, on porta au poste neuf nourrissons privés de leur mère : telle la Margoton de la chanson de Georges Brassens, Xiaojuan dégrafa son corsage pour «donner la gougoutte» à ces chatons, puis…  

« un croquant passant à la ronde trouvant le tableau peu commun  s’en alla le dire à tout-l’monde»

– Le «croquant», en l’occurrence, était la TV : l’image fit le tour de la Chine. Six jours plus tard, Xiaojuan débuta une tournée triomphale à travers les provinces, campagne de propagande montée depuis Pékin. La belle laitière était catapultée héroïne nationale, qui prouvait par son existence, celle d’une police «au service du peuple». A chaque ville, Xiaojuan multiplia interviews et plateaux, décrivant en termes véridiques le drame de sa région épinglée comme un insecte au bestiaire du destin.

De retour à Beichuan, elle retrouva 4 de ses 9 bébés et leur offrit les boites de lait maternisé offertes par caisses entières par des citoyens anonymes, entre Shanghai et Pékin. 

Point sotte, notre avenante agente avait fort bien tenu son rôle, durant son périple. A présent venait l’heure de la récompense : son commissariat la proposa au poste de vice-commissaire politique! C’était une ascension fulgurante, en principe inaccessible à une simple îlotière, quand bien même elle eût elle été au terme de sa carrière, ce qui était loin d’être le cas. Quant au motif, « avoir nourri quelques jours des nourrissons», il ne tenait pas la route… Aussi pour se couvrir, comme on fait en pareil cas, les autorités nommèrent une commission. Puis le 11/06, la proposition fut soumise à l’opinion sur internet -méthode de consultation qui permet au prince, après avoir donné de la face à la base, de n’en faire qu’à sa tête.

Ce n’est qu’après la clôture que les critiques fusèrent, de manière feutrée : sur la police, la rue ne se prive pas de cancaner, mais jamais en face – il faut se protéger. « Ne pourrait on pas, demandait l’un, promouvoir les gens sur des états de services plus probants?» L’on soupçonnait cet ascenseur-éclair de mille motifs ultérieurs, et une confusion des genres : pour mériter un poste, être vertueux ne suffisait pas, il fallait aussi de la compétence (德才兼备, de cai jian bei).

Plus insidieuse, une autre voix -sans doute féminine- flûtait : « pendant tes mois à t’occuper des bébés des autres sous les caméras, Jiang Xiaojuan, qu’as-tu fait de ton propre enfant ? »… La fronde montait en puissance… Mais sauf force majeure, une autorité socialiste ne se déjuge pas: Su Yangjian, le patron, a tranché : Xiaojuan occuperait son nouveau fauteuil à l’essai, pour un an. Au commissariat, Jiang gère directement tous les cas impliquant des femmes ou des enfants.

Avec son verdict, le chef de la police Su s’est montré fin psychologue : il a gagné 12 mois de répit, et d’ici là, le séisme, la promotion, sa polémique, tout cela sera loin !

 

 

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