«J0 – des mauvais perdants, une mauvaise gagnante» : tel est le scénario du pire, qui n’arrivera pas, mais en écoutant à Pékin les deux parties, après l’avalanche de victoires chinoises, on sent les tensions. Alors, pourquoi ne pas les étaler, manière d’exorcisme ?
La nuit du 24/08, la clôture des Jeux fut inoubliable: choeurs du «难说再见 nanshuo zaijian» (qu’il est difficile de dire adieu!), arabesques des troupes de ballet au sol et en l’air… Rien ne fut épargné, pour offrir un très beau « finale », sous la baguette du magicien Zhang Yimou.
De ses JO, la Chine tire ses propres médailles : celle de 1ère nation sportive, avec 51 Or (36 aux USA!), celle de l’organisation, avec ses infrastructures somptuaires, son corps de volontaires, sa sécurité sans faille… En tradition olympique, un record de qualité a été atteint, qui ne pourra être dépassé.
Pourtant, les critiques d’avant les Jeux ne sont pas éteintes, tant s’en faut. Sur les droits de l’homme, Pékin a encore resserré sa garde. Ersatz dérisoire de démocratie, les zones de protestation restèrent vides, faute à l’Etat d’avoir permis une seule des 70 demandes soumises : deux femmes retraitées qui réclamaient trop fort le droit de défiler, écopèrent de la menace d’un an de camp, et la dissidente anti-Sida Wang Xiaoqiao, incarcérée depuis janvier, prit en catimini un an de prison ferme.
En Europe et aux USA, on reproche aussi à la Chine une lecture propagandiste du sport, un mode d’emploi étriqué des Jeux: avoir acheté ses médailles d’or (« 3,6M²/pièce », coût moyen, sur la base du budget sportif officiel des JO) pour gagner dans des disciplines inconnues chez elle – beach volley, planche à voile…
Mais ces critiques sont vaines. Pékin aura beau jeu de répondre que ceux qui dénigrent sa victoire, sont les pays riches, 10% de l’humanité. Elle au moins, par ses succès, soutient les espoirs du reste du monde. Or une telle polémique n’est bonne pour personne : mieux vaut gracieusement concéder à Pékin son triomphe — et tirer les leçons de la fête.
La première : depuis ces JO, dorénavant, les échanges Chine/monde, dépassent l’économie, englobent le sport. Pas de la meilleure manière, c’est vrai: le sport chinois reste inféodé au Parti. Mais les temps changent: déjà des athlètes commencent à revendiquer le droit de s’organiser hors du joug de la Commission des sports. Le temps n’est plus loin, où ils voudront rejoindre la fraternité mondiale des stades, l’exigence de clubs, de vocation propre, ces idéaux de Pierre de Coubertin.
Enfin, à éplucher de plus près le palmarès, le grand vainqueur n’est pas Pékin mais l’Union Européenne, avec 87 médailles d’Or : par habitant, avec ses 493M d’âmes, c’est 4,5 fois plus que la Chine, et pour bien moins cher. Ce que ses 27 Etats membres ont investi, est un siècle de promotion des sports de masse, d’un sport géré par les sportifs, en fédérations autonomes aux dirigeants élus. Face à ce constat, la Chine est face à ce dilemme: plus elle s’enrichit, plus la demande s’accroît pour un sport au service des hommes, et non de la machine, et plus s’accroît le coût d’un tel investissement de prestige. Autrement dit : le sport chinois déployé à ces Jeux ne prouve rien, et ne sert à rien—il est au bord de l’anachronisme.
Pour la Chine, quels fruits olympiques ?
Les retombées des JO ne cessent de s’accumuler pour la Chine.
La CCTV, la télévision centrale, en droits de retransmission, a payé 19M$ pour l’exclusivité des droits sur les épreuves, mais en retirera 380M$ : les deux tiers du coût de sa tour à 500M$ (appelée «la culotte», par l’homme de la rue). Pékin se retrouve libre de 200 usines polluantes. Elle hérite du 1er parc sportif mondial, de 4 nouvelles lignes de métro (60km nouveaux), d’autoroutes, et d’innombrables parcs, spontanément adoptés.
Que la technique nationale des fusées à cristaux d’argent ait marché ou non, le ciel des Jeux, quoique capricieux, a été dégagé comme plus depuis longtemps, et le trafic urbain agréable—apprivoisé : la mairie envisage de maintenir à titre pérenne la circulation alternée des véhicules par n° de plaque pair et impair. D’autres lignes de métro sont pour bientôt. Va-t-on vers la réhabilitation du vélo ?
Grâce au symbole de sa 1ère place dans le sport mondial, la population prend une confiance qu’elle n’avait jamais eue. Avec ce moral de battants, on verra dès lors les hommes d’affaires, artistes, sportifs et autres, franchir leurs frontières, se montrer au monde, apprendre, et lui apprendre.
Quant au pouvoir socialiste, il dispose pour quelques mois sans doute, d’une marge de manoeuvre sans précédent pour s’attaquer à de vieux dilemmes, sans risquer la critique : régler le problème du Tibet (cf p.2), réformer la politique de l’énergie (cf p.2), celle de la convertibilité du ¥ (cf p.3). Il risque aussi de renforcer sa répression sur toute dissidence, comme celle du Xinjiang. En même temps le Président Hu Jintao, à Séoul, réitère sa ligne de poursuivre la politique d’ouverture «irréversible». Autrement dit, ses options sont pour l’instant extrêmement larges, et relativement imprédictibles, limitées par le seul souci d’éviter à l’économie, le double frein de la crise des subprimes et du syndrome post-olympique. JO Beijing 2008 – épilogue !
Par cette rubrique, depuis janvier, le VdlC suivait les pulsations cardiaques des Jeux olympiques en pleins préparatifs. Elle va disparaître, mais en point d’orgue, voici quelques sujets qui occupent encore les medias locaux et mondiaux :
ª Les dernières idoles de la jeunesse chinoise sont olympiques.
Li Na bien sûr, la raquette d’argent (tennis), Tian Jia et Wang Jie, l’argent au beach Volley. Chez les hommes, Liu Xiang, le héros du 110m haies déchu, est relayé par Lin “Super” Dan, or en badminton et officier de l’armée. La palme revient à Guo Jingjing, double or de plongeon à Athènes et à Pékin, fine mouche en affaires, recrutée par McDo, Coca Cola, Toshiba, sortant avec Kenneth Kwok, play-boy milliardaire de Hong Kong.
ª Durant les Jeux, la police a su bloquer toute protestation publique, en arrêtant des centaines de pétitionnaires (22 au Liaoning), au moyen de barrières devant tout bureau de pétition, et du repérage au GPS des candidats par leur tel portable. Dix étrangers manifestant pour le Tibet ont été expulsés. Washington se dit “déçue”.
ª Litige résiduel : après quelques jours d’hésitation, le CIO, le Comité international olympique, enregistre la plainte sur cinq médaillées olympiques chinoises accusées d’être sous de l’âge minimal légal de 16 ans. Tout a débuté avec He Kexin, or en gymnastique : un expert US, Mike Walker, présente des documents officiels chinois évoquant un âge de 14 ans en 2008—pièces effacées de la toile chinoise depuis un an. Le ministre a d’abord nié, puis plaidé l’erreur administrative, tout en insistant que l’âge allégué était le bon. Jacques Rogge, Président du CIO, trouve l’affaire “très sérieuse”: une enquête est lancée, où Pékin est priée de fournir d’autres papiers… que le CIO déclare déjà, a priori “satisfaisants”. Le CIO démontrant ainsi sa marge de manoeuvre étroite, face à la puissance invitante.
ª Les Pékinois n’en reviennent pas d’un temps si clair, pour la cérémonie de clôture, alors qu’il pleuvait la veille. Selon le bureau de rectification climatique, quelques heures avant, huit aéronefs ont été lancés contre le front de cumulus du nord, qu’ils inséminèrent de 241 fusées chargées au sel d’argent. D’autres furent tirés depuis le sol, par mortiers. La technique n’est pas d’une efficacité éprouvée—mais le résultat était là.
Sommaire N° 27