Petit Peuple : Dongguan – l’avion chasseur du Président

A Taipei, Liao Darao eut une enfance à la baguette – plutôt à deux baguettes, celles d’une éco-le dictatoriale et d’un père à poigne. Pour seule évasion, à 12 ans, il avait ses BD hebdomadaires traduites de l’américain : dès la 1ère page, magiquement, elles le jetaient dans une guerre aérienne mythique, dans laquelle lui, Darao, était un as de l’US Air Force, semant la terreur parmi les escadrilles du Mikado ou de la Luftwaffe, aux commandes de son P-51 Mustang.

En  1978, à 22 ans, il connut le plus beau jour de sa vie : son baptême de l’air, qui lui révéla l’ivresse de la sustentation. Après telle  émotion, il se jura d’obtenir son brevet de pilote. Volontaire, endurant, il y parvint en 10 ans.

 En 1991, il ouvrit à Dongguan (Canton) son usine, et se mit à inonder les cinq continents de ses poteries bon marché, fauteuils en rotin, et autres papiers peints, bâtissant en peu d’années un  florissant empire de l’article de maison. Ainsi millionnaire, après 20 ans de labeur acharné, Liao était prêt à s’attaquer à un très vieux rêve : construire son Mustang, puis faire le tour de Chine avec.

Il s’en rendit vite compte, son idée transgressait 1000 tabous et exigeait 1000 palabres, surtout avec l’armée, monopole de l’espace aérien : il dut attendre la fin des années ’90 pour installer près de l’usine son héliport privé, doté de balises lumineuses et d’un radar. Il monta le hangar de 200m², commanda aux States des kilos de plans, ouvrages, revues. Liao s’était mis en tête de recréer son chasseur à l’échelle 3:4 pour une envergure de 8,4m et longueur de 6,7m. Après avoir recalculé les cotes, refait les plans, il les fit valider par l’association américaine d’aéronautique.

Tout bien réfléchi, pour contourner l’obstacle de technologies de la seconde guerre mondiale dont le coût astronomique dépassait les moyens d’un simple hobby (les alliages, par exemple), il opta pour l’emploi des techniques plus simples de la 1ère : bois de pin pour la structure, feuille d’aluminium pour le revêtement. Il recruta huit techniciens, y compris l’ingénieur Ma, Taiwanais déjà auteur de 128 avions de tourisme.

Chef du projet, Ma sélectionna et commanda (en double) les pièces, toutes certifiées «aéronautiques»: le moteur chinois (vitesse max. 260km/h), le train rentrant, l’hélice, l’avionique. Au total, il y en avait pour 70.000², cinq fois moins que les salaires de l’atelier : une somme rondelette quand même —mais quand on aime, on ne compte pas! 

Aujourd’hui, rutilant, argenté,  l’avion est prêt, jusqu’au parachute dans sa niche. Il ne reste plus qu’à poser moteur, électronique et tableau de bord – les 1ers essais sont pour décembre.

Inutile de le dire, désormais notre PDG «aime et ne lâche plus» (爱不释手, aì  bú shi shoǔ): il ne quitte plus son bébé des yeux. Chaque matin au bureau, il passe une heure à réviser son test chinois de pilotage -sa licence taiwanaise n’étant pas valable en Chine. Une fois donnée cette apparence de travail, il s’en va guilleret, passer le reste de sa journée à admirer son joujou, au risque de déranger ses hommes dans leur travail.

Et à l’usine, de son idée fixe, que pense-t-on ? Le personnel, la famille, lui pardonnent, comme à l’enfant ses caprices, et comme au père fondateur de leur bien-être à tous. Avec son aîné aux commandes, son cadet au marketing et sa femme à la caisse, la boite n’a plus besoin de lui. La famille se prête au jeu. Son hobby est cher, mais valorisant pour l’image du clan. A tout prendre, il vaut mieux qu’entretenir une danseuse, ou griller sa fortune sur les tapis verts de Macao, le temple du vice à 30 minutes d’hélicoptère.

Surtout, la Chine, pays de jouvence éternelle, ne peut que voir avec sympathie son industriel, après avoir si bien réussi, rester fidèle à ses rêves d’enfant !

 

 

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