Petit Peuple : CIXI – CHEN CONTRE CHEN

L’hiver  1994 à Cixi (Zhejiang), le pêcheur Chen Bao rentrait à la maison. Comme chaque soir, il appela sa femme. Mais seuls lui répondirent les sanglots étouffés de Baobao leur fille de huit ans…Une  brève visite des lieux lui confirma le pire : Chen Ying avait disparu !

Chez les voisins, le marin alla aux nouvelles: ni l’ami Weng Hua, ouvrier vivant à 300m, ni personne n’avait rien vu.

Pas un instant Chen ne se douta qu’elle ait pu le quitter: ils étaient heureux tous les trois, même si Ying, par ses silences du soir,donnait parfois signe de mélancolie. Même si sa pêche sur cette mer stérile les tenait juste hors de la misère.

Chen Bao s’accrocha à l’espoir. Quand il entendait parler d’un cadavre féminin inconnu, il fonçait voir à Shanghai, Jiaxing, Jinhua, Ningbo. Chaque fois, il en retournait rassuré (ce n’était pas elle!) et déprimé : où était- elle, que faisait-elle, pourquoi n’écrivait-elle ? Le soir autour du port, avec une lampe de poche, il faisait une ronde: les copains, les femmes, les gosses jasaient sur le pauvre fou qui cherchait toujours sa femme…

Ce n’est qu’en déc.2007 qu’ il fut déniaisé – par Chen Ying elle-même. Son monde de certitudes simples s’écroula alors. Les traits ridés, le teint curieusement pâle, l’infidèle atterrissait d’outre nulle part, pour lui apprendre que ces 14 ans, elle les avait passés chez Weng Hua, l’ami déloyal qui avait secrètement bâti un nid d’amour à l’étage de sa maison,à seule fin de lui barboter sa femme ! Ces 4822 interminables jours, elle les avait passés à cuisiner pour son amant, laver son linge, re-garder la TV, en attendant qu’il vienne la rejoindre dans son lit. Elle ne sortit de la demeure qu’1 fois par mois, de nuit, déguisée dans les habits de Weng.

Pour sa trahison, Weng avait une circonstance atténuante : sa femme schizophrène, et leurs 2 petits enfants, charge au-dessus des forces d’un homme seul.

Mais pour Chen Ying, quelle désolante destinée ! En 14 ans, elle n’eut plus jamais droit au soleil et n’entrevit plus qu’à travers les rideaux son mari, sa fille qui grandissait seule. Même à son mariage, elle ne put se résoudre à assister. « Je voulais crier pour vous appeler, dit-elle à Chen Bao, mais ma bouche restait close». Elle avait troqué une vie d’ennui, pour une autre de réclusion, et le sentiment de faute inexpiable : celle de s’être révélée «云心水性: yun xin shui xing », le coeur comme les nuages et le corps comme l’eau qui fuit -une traînée. Or ce qui brisa la confiance de Chen Bao, fut moins la trahison en soi (moment d’égarement) que l’incapacité à faire demi-tour, pour dissiper le cauchemar.

Mais au fait, se demandera-t-on, pourquoi est-elle rentrée? Pour une raison qu’on devine sordide. Ying avait contracté une infection ovarienne qui non soignée, avait empiré, nécessitant une intervention: pour le suborneur, il était temps d’organiser le «retour à l’envoyeur»!

Digne, voulant se racheter, la pécheresse s’est rendue au bureau des divorces, puis au tribunal, plaider la séparation d’avec un homme qu’elle ne connaissait plus et qu’elle ne méritait plus. Mais le juge l’a déboutée : selon la loi chinoise, en toute circonstance, il appar-tient au mari de subvenir aux besoins de sa femme démunie -après tout, Weng Hua l’ouvrier, toujours affligé de sa fem-me égarée, n’est pas solvable.

Entre Chen et Chen, donc, tout reste à reconstruire, moins par choix que par contrainte. Une seule force, au départ au moins, pourrait les aider à se rabibocher : l’absence d’alternative, et la  question qui les taraude, lancinante et ridicule: «et si 14 ans plus tôt,elle n’était pas partie ? »!

 

 

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