Les experts se grattent la tête, pour tenter de donner un sens au contretemps au mariage entre China Eastern (CEA) et Singapore Airlines (SIA), deal de reprise d’un quart du chinois par l’étranger, dynamité (8/01) par 78% des actionnaires de China Eastern.
C’est Air China qui joua les trouble-fête. Son ex-boss Li Jiaxiang, promu Président de la maison-mère CNAC (China Nat’l Aviation Corp), rêvait d’un super transporteur de taille mondiale. Déjà détenteur de 12% de China Eastern, le groupe pékinois entraîna les actionnaires dans une fronde, leur promettant 32% de plus que Singapore Airlines (offrant 5HK$ la part).
Air China est motivé par des considérations commerciales. En cas de victoire, il détiendra 50% du marché aérien shanghaïen, en plus de son portefeuille de lignes nationales et internationales. Mais il semble également être tenté de protéger la « grande muraille aérienne » chinoise, même si ses transporteurs perdent de l’argent.
Quel a été le rôle de l’Etat? Force est de constater que la tutelle financière SASAC, qui avait autorisé l’affaire, n’ont pas donné au moment crucial, le signal qui aurait freiné les actionnaires dans leur fronde.
Air China n’a pas perdu de temps pour annoncer qu’il « tiendrait sa promesse sous 15 jours ». Cathay, son allié Hongkongais et l’immémorial rival de Singapore Airlines, pourrait mettre la main à la pâte. Mais Air China parle aussi déjà de règlement partiel en échange d’actifs, afin d’éviter de débourser du cash— moyen où SIA est évidemment imbattable.
Li Fenghua, Président de China Eastern, est le plus fâché de l’échec, et nie à l’avenir toute volonté de travailler avec la rivale pékinoise : pour lui, China Eastern et Air China, sont à égalité de compétence et de performance de marché. L’argent n’est pas tout : seule SIA et non Air China peut aider China Eastern à faire le saut technologique qui lui manque.
Toute cette affaire recèle bien des contradictions.
[1] Soucieuse de saine gestion et de modernité, une Chine officielle a approuvé cette entrée d’un étranger dans une de ses chasses gardées du business. Puis une autre, cocardière, a approuvé le torpillage de l’opération.
[2] Pour ce faire, Air China a dû s’appuyer non sur l’Etat, mais sur les actionnaires de la bourse de Hong Kong—et donc utiliser l’étranger comme instrument de défense protectionniste !
[3] Après coup, un Chinois (China Eastern) repousse les avances du compatriote…
Au demeurant, les actionnaires ont pris le risque que SIA ne retourne pas au tapis vert. Percluse de dettes, China Eastern avait le plus à gagner à l’affaire, vendant un risque immédiat pour un marché futur. Si Singapore Airlines abandonne, China Eastern et Air China pourraient rester cloués à leur palier de croissance sans profits, et le titre China Eastern, voué aux turbulences ! Avec ses hésitations, le phénomène est l’indice d’une ouverture imminente de cette aviation chinoise : une alliance étrangère ne sera plus longtemps tabou.
Sommaire N° 2