Libertés – tempêtes en vase clos
Moment d’un bilan moral, le chunjie exacerbe au sein du Parti et en dehors, un débat entre tenants des libertés et ceux de la société harmonieuse :
l Ex-patron du Southern Metropolis, journal trop courageux du Guangdong, Li Yiming (61 ans) est libéré de prison après 3 ans et 3 ans d’avance. Yu Huafeng son collègue y restera encore un an. Ce qui n’empêche pas Zhou Ruijin, ancien du Quotidien du Peuple, d’oser plaider, dans le Southern Metropolis, l’accélération de la réforme politique.
l 20 écrivains, dont Liu Xiaobo sont in-terdits d’aller au Sommet littéraire du Pen Club à HongKong – 15 autres,moins dérangeants, ont obtenu leur visa.
l L’Etat prépare un permis à points pour journaux : habit neuf de la vieille censure, avec amendes, suspensions et révocations…En même temps, 8 livres sont interdits de publication, et le 1er blog à identification obligatoire voit le jour.
l Gao Yaojie, médecin, 80 ans, est assignée à résidence pour l’empêcher de se rendre à New York, recevoir un prix pour son oeuvre contre le SIDA. Sa province du Henan refuse que des ONG ou personnes privées se substituent à elle en cette tâche. Puis, fausse note, Chen Quanguo, n°2 provincial du Parti lui rend visite avec équipe TV, lui offre ostentatoirement un colis de chunjie.
l Les leaders de Fumin (Yunnan) se donnent bien du mal pour peindre en vert une montagne dévastée par des décennies d’exploitation. Pour les 50.000² de l’invest, révèle Xinhua, eût permis de reboiser une surface triple.
NB : les deux derniers incidents, par leur bizarrerie, exposent la conscience nétrotique par des cadres, d’une inadéquation croissante de leur gestion, et la volonté d’en occulter le plus choquant par une action de type trompe-l’oeil. Cela dit, il s’agit d’une action locale, et le central ne suit pas toujours : à quelques heures du Nouvel An lunaire, tombe de Washington la nouvelle que la route du visa de Gao Yaojie est li-bérée – évidemment sur pression de Pékin, contre un leadership du Henan désavoué !
La corruption : lutte N° 1 de l’année
Le 12/02, Bense, sa pieuvre financière (15 Cies, 100 boutiques, 380M d’euros) causa la perte de Wu Ying, masseuse inculte de 26 ans devenue milliardaire en yuans, accusée de blanchiment de drogue, et de banque clandestine. Le 15/2, Wang Zhendong, Président du groupe Yingkou-Donghua (Pékin), fut condamné à mort pour avoir épongé 293M d’euros d’épargne de 10.000 gogos, en leur vendant des kits d’élevage de fourmis. 15 complices ont pris 5 à 10 ans. Par ces frappes de filous, l’Etat veut rétablir son image et briser la collusion entre Parti et milieux d’affaires.
En 2006, dit Gan Yisheng, n°2 de la Commission Nationale de Discipline (la police interne de l’appareil), 97.260 membres ont été sanctionnés pour des délits allant du pot-de-vin (cas de He Minxu, l’ex-vice gouverneur de l’Anhui, incarcéré pour avoir empoché 800.000²) à la gabegie, la fornication et les jeux d’argent. Même 273 procureurs furent épinglés.
Mais d’autres chiffres montrent que les dérives, en fait, ne font qu’exploser et non régresser. En ’06 selon la Commission, 200MM² publics furent détournés, soit 50,5% des impôts ou 11,5% du PIB, brûlés en congés, tourisme, cadeaux divers, ou simplement placés en banque. Presque plus grave : aucune province ne fournit de rapport financier précis.
Aussi le Président Hu Jintao veut faire de cette lutte le fer de lance de cette année, avec des outils nouveaux.
Parmi ceux-ci, Gan annonce la naissance d’une nouvelle agence anti-corruption, sous contrôle direct du Conseil d’Etat. Si elle était calquée sur le modèle de l’ICAC (Independent Commission against corruption) de Hong Kong, ce serait un outil efficace – le prix à payer, étant la séparation de la justice et du Parti, et l’imposition de la loi aux cadres.
Autres outils moins convaincants : un rapport obligatoire des hauts-cadres sur l’évolution de leurs moyens, statut marital, fortune privée, ainsi que des cours de morale assénés à ces «bonnets de gaze noire» : vaste programme…
Service public : projets et bonnes intentions
A l’orée du chunjie, l’Etat multiplie les déclarations de bonnes intentions, pour améliorer la vie de tous.
Aux 200M de travailleurs migrants, le 1er ministre Wen Jiabao a promis le 7/02 «une hausse progressive» des salaires (100²/mois, moyenne). Pour apaiser la colère des dizaines de millions de travailleurs impayés (0,8M à Pékin,1M au Guangdong), le vice-ministre du Travail Hu Xiaoyi prépare un fonds de garantie et promet avant décembre, le contrat de travail obligatoire, suite à l’adoption d’une loi. Un réseau national d’avocats gratuits a été mis en place le 6/02, doté de 352.000 euros cofinancés par le PNUD. En outre, le hukou (carte de résidence) sera réformé pour faire gagner à 300M de migrants la citoyenneté urbaine, avec ses privilèges, supprimant ainsi la « citoyenneté à deux vitesses ».
Concernant l’immobilier, une discrète mais efficace campagne est en cours pour couper aux spéculateurs leur source de financement et les empêcher de faire bouillir les prix. Dernière nouvelle (17/02) : les réserves des banques sont rehaussées (5ème fois en 8 mois) à 10%. Ici, une lutte de vitesse est engagée : partie du Hunan, une pétition à travers le pays récolte des millions de signatures de candidats-acheteurs frustrés, espérant faire un coup de tonnerre, en mars, lors de la session annuelle de l’ANP (le Parlement chinois) ...
Le monde rural demeure l’Alfa et l’Omega du cabinet Wen Jiabao, avec son document n°1 qui donne toute priorité à son éducation, à sa santé, à son accès au crédit. L’Etat central augmentera ses allocations directes (mais ne dit pas encore de combien). Il s’agit aussi d’augmenter le revenu agraire, en promouvant qualité et transformation des produits. En élevage, subventionner la reproduction de qualité, et la prévention vétérinaire. Tout en enrayant la disparition des terres agricoles. Par ces encouragements, l’Etat espère faire décoller le revenu agricole (3590² en 2006), et lui faire franchir la barre du tiers du revenu citadin !
La grande vadrouille audio visuelle de Jerry Jiang
A 25 ans, «Jerry» Jiang Wubin incarne le meilleur de la Chine, par son succès acquis à force de travail acharné et de rage d’entreprendre. Né d’un pauvre village du Sichuan, parti à 10 ans à Lanzhou (Gansu), il sut intégrer à 18 ans l’université locale – comme les 10% de la jeunesse chinoise d’élite.
Deux ans après, en 2002, études quittées, il est à Pékin : un ami le place chez BTV, la chaîne locale, comme monteur d’une émission d’anglais. Il prend aussi un job chez New Oriental, n°1 national de télé-enseignement pour filmer les cours. Dès lors, il est lancé. 15 h/jour, 30j /mois, il visionne et monte, avant de fonder Video Sailing, sa PME d’audiovisuel tout azimuts.
Au sommet sino-africain de novembre 2006, il tient la régie des écrans internes. Au meeting des partenaires de Microsoft, il filme et crée le CD souvenir. Il fait aussi les pubs du circuit de formule 1 de Shanghai, du microprocesseur AMD, des manuels de l’université d’Oxford… Son plus gros contrat est pour CG, le n°1 coréen de production : chaque semaine, pour Shanghai TV, assisté d’une rédactrice, d’une présentatrice et d’un traducteur, il crée une émission de 30 minutes, reprenant les éléments d’un programme quotidien coréen — adaptation quasi-simultanée, le décalage n’est que de 10 jours, dont trois pour recevoir les bandes par messagerie.
Il vit à un rythme fou, et change tout le temps de tâche, ne refusant aucun contrat. Il gagne ainsi 2 à 3000²/mois, assez pour rembourser l’emprunt pour le bureau et le matériel, payer son per-sonnel — trois permanents et trois free-lance. En 2008, Video Sailing aura gonflé les voiles à 10, voire 20 emplois.
Dans le développement de sa PME de télévision, Jerry rencontre deux atouts très favorables. [1]Les 48 chaînes nationales et les 2000 réseaux câblés sont dévoreurs insatiables de pro-grammes, publicités et divertissements, où la censure est absente. [2] Et la taxation très favorable, à 7,5%, TTC, bat tous les records de légèreté.
Aussi, contrairement à d’autres Chi-nois qui rêvent de Californie, l’Amérique de Jerry, c’est ici : « je reste, pour le jour bientôt proche où la TV s’ouvrira au privé » – ce jour-là, il sera riche !
Sommaire N° 7