Le malheur de Xiang Xiufa, botaniste amateur, fut d’avoir trop aimé sa vallée du Yangtzé. En 2002, quand les eaux du barrage des Trois-Gorges se mirent à monter, il ne supporta pas que disparaissent ses arbres et fleurs, trésors irremplaçables de biodiversité. Naïvement, il décida de les sauver !
Pour sûr, au début, il reçut les louanges des agronomes et savants, du maire, des gardes forestiers. Son action allait dans la droite ligne de la défense écologique de cette flore, pensionnaires indigènes du site depuis des millions d’années ?
Même Wen Jiabao, de passage, déclara le projet prioritaire. On lui accorda 3M¥, dont 0,4M comptant qui lui permirent d’ouvrir son « jardin extraordinaire des Trois-Gorges». Il recruta 20 jardiniers avec qui il arpenta, repéra, transplanta sa flore rare, battant les flots de vitesse. Sur un îlot face à Wuhan, ils sauvèrent myricaria laxiflora, plante rare descendue de l’Himalaya. A Wanzhou, ils déterrèrent adiantum reniforme, fougère indigène, dont on ne connaissait plus que quatre habitats locaux. Ils sauvèrent un arbre fossile, un cyprès unique de 20m de haut, une variante d’un philodendron japonais…
Tout à sa croisade, Xiang se riait des dangers : en 2002, déracinant un acajou géant sur l’à-pic d’une falaise, l’arbre chuta sur lui, lui brisant deux côtes. Six heures après au fond de son lit, Xiang souffrait le martyr, mais baignait dans le bonheur, ayant sauvé «son» arbre fossile. Une autre fois, piqué par un serpent, il faillit mourir. Mais en 2005, Xiang Xiufa avait gagné : son parc détenait 24.000 plantes, 175 espèces rares, 380 arbres parfois antérieurs à l’homme, vieux jusqu’à 2M d’années.
Alors, tout capota. Le reste du chèque promis ne vint jamais. En toute naïveté, l’ancien ingénieur des chemins de fer avait vendu sa florissante pisciculture, ses 7 magasins, sa villa de 700m². D’abord polis, les ronds de cuir lui rirent au nez et jouèrent à se repasser le dossier de main en main, pariant à qui saurait le mieux l’éconduire. Gâcher des fonds publics sur des buissons ou orties, dépassait leur entendement, et ils lui conseillaient de faire comme tout le monde : vendre, dilapider, à la mode de « pique la caisse et taille-toi ». En 2005, en désespoir de cause, Xiang adressa un ultime SOS à Wen Jiabao, qui écrivit une lettre, immédiatement classée sans suite.
Déjà ses 20 jardiniers s’étaient éclipsés. L’été 2005 de la canicule, emporta le myrte, le pistachier, la fougère spinuleuse- 3200 essences hors d’âge. Sans se gêner, les voisins pénétraient dans le parc, pour tailler à coups de hache leur flambée du soir… En juin 2007, Xiang Xiufa ruiné déclara la faillite de son Eden violé.
Mais même humilié, Xiang restait têtu : il porta plainte contre le Bureau des forêts, pour négligence ayant causé la mort d’un patrimoine national. Il réclama que soit faite la lumière sur le sort des 2M¥ qui lui avaient été promis directement de Pékin, qui en étaient partis sans jamais l’atteindre.
Le procès se tint le 31/8. Le verdict se fait attendre : la justice chinoise est très lente, surtout quand ce sont d’autres cadres qu’elle est supposée punir—la solidarité administrative n’est pas un vain mot.
Pour la presse locale, pas de doute : les malheurs de Xiang vinrent de sa naïveté : pour n’avoir su 指鹿为马 zhi lu wei ma, «montrer le cerf pour parler du cheval», prêter allégeance auprès du bon pouvoir. Croire que Pékin se ferait obéir à Chongqing, c’était une chimère – végétale, mais chimère quand même : on meurt de faim pour moins que cela !
Sommaire N° 38