Kodak revend son pirate, Lucky
Après avoir avalé trois petites marques de photo argentique en 1998, Kodak avait en 2003, repris 20% de Lucky, le dernier restant. A 100M$, l’affaire était chèrement défendue contre Fuji (Japon), son concurrent mondial : le groupe de Rochester semblait bien parti pour « finir » Lucky (et toute marque locale) dans les années suivantes.
Mais le 12/11, quatre ans plus tard, on constate tout autre chose. Kodak revend ses parts à un groupe cantonais, avec lourde perte – presque 100%, en tenant compte des équipements investis. Pourquoi la débâcle ?
D’abord, insidieusement, l’ex-entreprise d’Etat de Baoding (Mongolie Intérieure) a phagocyté les milliers de boutiques franchisées de Kodak : le boutiquier pouvait y vendre son papier photo sous le nom et au prix « Kodak ». De la sorte, Lucky avait recolonisé 25% du marché local, au détriment du partenaire américain. Ensuite, le digital est arrivé, prenant Kodak de court. Détail qui ne trompe pas : Kodak annonce pour après 2008, son désengagement de tout sponsoring olympique. Pour développer à toute vapeur sa propre gamme de produits digitaux – il y va de sa survie !
Tandis que Lucky, le mourant de 4 ans plus tôt, aujourd’hui en très bonne forme, va faire sa réforme de capital, permettre aux actionnaires hors bourse d’y rentrer, et faire le plein de l’épargne locale par la même occasion !
Mines : la peur du croquemitaine BHP-Rio Tinto
Début novembre, de Pékin à Shanghai, les courtiers mondiaux se pressaient auprès des aciéristes et financiers locaux, en quête du contrat du siècle: celui qui empêcherait la fusion de BHP-Billiton (Australie) avec Rio Tinto (US), pour 131MM$. A 400MM$, le nouveau géant figurerait parmi les cinq 1ers mondiaux, détiendrait près de 40% du minerai de fer, 20% de l’alumine, 65% du charbon à coke. Luo Jianchuan, Président de Chalco estimait qu’il «pourrait dès 2008, doubler les prix de la plupart des ressources »… De plus, ce monstre cumulant 100MM$ de ventes par an et 100.000 jobs, pourrait par ce mariage, économiser 5 à 7MM$ /an.
L’appel aux actionnaires de Rio (3 actions du groupe contre une de BHP, plus une prime collective de 34MM$) arrivait le 12/11, au beau milieu du Congrès pékinois des minéraliers chinois et de leur ministère, et des négociations mondiales pour le prix annuel du minerai de fer. Aussi nos courtiers firent-ils défiler toutes les alliances secrètes et combinaisons pour monter une offre rivale à celle de BHP : des banques comme la Banque de Chine, le nouveau groupe d’Etat China Investment Corporation (CIC), les grandes aciéries, Petrochina (1er détenteur national de capital).
Dans cette tentative, les atouts ne manquaient pas à la Chine, à commencer par une abondance de devises. On crut même un moment la voir apparaître. La China Development Bank dut démentir un achat « de blocage » de moins de 1% de la « fiancée » Rio… Cependant, quelques jours de rumeurs suffirent pour tirer les choses au clair : la Chine ne pourrait pas empêcher un deal BHP-Rio. Les minéraliers craignaient, de la part de Canberra, un remake du syndrome Unocal, dont la reprise par Cnooc en 2005, avait été torpillée par le Congrès américain.
Mais pour les observateurs, le problème était ailleurs, plus profond : les aciéries étaient trop cloisonnées, et trop ombrageuses pour s’entendre. Même pour faire front uni face aux vendeurs de minerai, ce fut le ministère qui dut leur imposer quelques semaines de fortes taxes à l’export de l’acier, et leur couper les crédits afin d’étouffer un instant leurs commandes. Aussi, face au risque de naissance du géant, les aciéristes chinois prient Marx que le poussin meure dans l’oeuf. Et s’il sort, ils veulent chacun pour soi, exploiter les quelques mois de répit suivant la fusion, pour acheter des mines, en Australie surtout.
NB : la leçon sera retenue par les sidérurgistes chinois : devenir global, ou souffrir. Tant il est vrai qu’investir 8,54MM$ en mines étrangères en 2006, pour la Chine entière, c’est une miette, face aux 130MM ou plus, que veut et peut payer BHP aujourd’hui !
Sommaire N° 37