De la petite enfance à l’âge adulte, Liang Zhengxiang souffrit toute sa vie du féroce sobriquet, «Cicatrice». A un an, il s’était renversé sur lui un wok de jiaozi (raviolis) qui l’avait brûlé au 3ème degré. Comme séquelle, sur la moitié gauche du crâne, il lui était resté une carte de Chine, qu’il cachait tant bien que mal par la mèche de la moitié droite. Inspirant dans son dos les cruels lazzis des «camarades» d’école, du collège, puis des collègues, à la banque. Mais en un enchaînement bizarre de circonstances, son infirmité l’envoya d’abord en enfer, puis au paradis, comme on va voir!
Liang s’auto-apitoyait, estimant avoir droit à des compensations. Il s’était livré au démon du jeu et croyait dur comme fer qu’une fois millionnaire, il serait à l’abri de la gouaille.
La chance, pour sûr, ne fonctionne pas ainsi: quand il croula sous les dettes, au lieu d’arrêter, il ne trouva rien de mieux à faire que d’insister, et de couvrir ses pertes en chapardant dans sa caisse.
Dès lors, son sort était scellé: constatant le vol de 50.000 ¥ -la face visible de l’iceberg, car Liang avait détourné plus du décuple-, le patron lui donna 24h pour rembourser, ou bien c’était la plainte auprès de la police judiciaire! Liang se retrouva affolé, telles «les fourmis sur le couvercle de la marmite brûlante » (re guo shang de mayi, 热锅上的蚂蚁), courant dans tous les sens. Coup sur coup, il fit une ultime et sotte tentative pour gagner au casino, une fuite à son village, puis 2 essais de suicide sur la tombe de ses parents, avec des poisons contrefaits, qui lui causèrent de bien belles diarrhées. Appréhendé, il fut condamné à mort -peine commuée en perpétuité – il avait 33 ans, c’était en ’95.
Puis contre toute attente, vint le temps de quitter l’enfer, par la porte de derrière. Sous les sarcasmes, Cicatrice s’était toujours interrogé sur le sens de la vie, et des mots. A ce jeu, il était devenu lettré: il s’était imposé comme champion de xiangsheng (相 声), l’art des bouts rimés, ces joutes verbales en vers improvisés qui font les délices des Chinois.
Une fois en taule, il reconnut sa folie : plutôt que de pleurer sur son sort, il décida d’améliorer celui des autres, en les amusant. Ainsi, il offrit des soirées de rigolade aux taulards, aux matons, qui en avaient bien besoin, et qui par reconnaissance, firent de lui leur héros.
Vite, sa réputation se propagea jusqu’au bout du pays. Plus souvent qu’à son tour, il fut invité à des soirées, à des tournées, pour lesquelles les permissions étaient toujours signées. Il a déjà obtenu 3 (rarissimes) réductions de peine, et l’heure de la sortie est fixée : pour 2011, pour ses 49 ans.
Perspective formidable, mais un autre résultat frappe plus encore : nul ne pense plus à présent, à lui lancer les piques vénéneuses d’hier. Et celles-ci, en tout état de cause, ne l’atteignent plus depuis longtemps. Conscient qu’il est, désormais, de son génie pour faire oublier à ses frères leur misère, et les rendre à leur humaine condition, « pour ce que le rire est le propre de l’homme » !
Sommaire N° 32