Jusqu’aux années ’90, le Guangdong (Province de Canton) avait mauvaise presse : trop adepte du proverbe « le ciel est haut et l’empereur est loin » (tian gao, huangdi yuan, 天高皇帝远), la province était soupçonnée d’individualisme. Ce qui motivait, depuis Pékin, l’envoi de leaders à poigne et d’une fidélité d’acier —le dernier, Zhang Dejiang, Secrétaire du Parti, formé à Pyongyang, ne fait pas exception.
Aujourd’hui, pour ces 91M d’habitants entassés sur 134.000km², le ciel s’est nettement dégagé : la confiance règne, à commencer par celle en soi-même. Une durable embellie s’est instaurée dans les rapports avec Pékin, car la capitale méridionale a fait ses preuves. Les temps sont loin, où Pékin devait renflouer la GITIC (Guangdong Int’l Trust and Investment Corp), bras financier du gouvernement provincial en faillite, et punir les cadres véreux. Aujourd’hui, les scandales sont ailleurs — cf page 3…
Au contraire, la province a donné la preuve éclatante des vertus de son « hypercapitalisme ». Le Guangdong aligne 15% du PIB national, 31% des exportations (238MM$), et 20% des Investissements directs étrangers (IDE) (12,3MM$). Shenzhen et Canton sont les deux plus riches villes du pays, avec en 2005, un PIB par habitant de 7000$/an.
D’ici deux ans, à elles deux, elles totaliseront 14 lignes de métro (450 km); des ports et aéroports parmi les meilleurs du pays. A force d’infrastructures en MM$, de projets grandioses signés Paul Andreu ou le Cabinet Arup, elles s’apprêtent à se métamorphoser d’ici 2010, pour les Jeux Asiatiques, en références mondiales, pour leur qualité d’urbanisme combinant confort et esthétique. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer à Canton la future tour de la TV intégrant dans son mât cinéma et boutiques de luxe (620m de haut – record d’Asie), ou le plan du CBD – Central business district – articulé sur un axe nord-sud, de part et d’autre de la rivière des Perles.
Surtout, Canton se profile désormais comme une société patriote, en soutien clair et net au régime et à la nation, qu’elle a su concilier avec son fort particularisme culturel. Canton vit une modernité technocrate sans états d’âme, au nom de son pragmatisme. Elle donne toute priorité à la compétence gestionnaire, aux décisions rapides, secret de sa réussite. Le reste, l’idéologie ne l’intéresse pas.
Dans cette mutation, un ressort caché a joué : Hong Kong, avec ses capitaux, son savoir-faire, les liens du sang. Un Cantonais sur deux regarde « Pearl-TV» ou « Phoenix-TV », et chaque week-end, sinon chaque jour, des centaines de milliers de gens passent la frontière dans les deux sens : aucune presse muselée, aucune censure n’ont pu freiner telle synergie. Mais en définitive, le génie de Canton -et de Hong Kong derrière- a été de prouver à Pékin qu’elle lui était bénéfique !
Sommaire N° 30