Le citadin chinois a souvent gardé la fibre paysanne – sa montée à la ville, le plus souvent, date de 25 ans à peine. La nostalgie puissante de ce passé qui vient encore, est le ressort du drame de Xiao Jianyong et sa femme Li Huajuan, à Cipingba (Sichuan).
A Chongqing en 2000, ces deux jeunes venaient d’avoir leurs diplômes d’informatique et d’hôtellerie, et montaient leur firme de vente en gros d’ordinateurs : métier lucratif, à condition de travailler dur. Trois ans de cette existence, avaient laissés Xiao et Li épuisés, mais riches de M de yuans et d’autres biens sous le soleil : ils décidèrent alors de vendre leur fonds de commerce et vivre de leurs rentes—ils avaient 28 ans.
C’est en 2004, chez un ami du Hubei voisin qu’ils rencontrèrent le rêve qui devait captiver leur existence : se faire maraîcher. Tel Dr Jekyll et Mr Hyde, l’affaire avait deux visages. L’un idyllique, prétendait retourner à la nature et à ses rythmes, et telle Marie-Antoinette au Trianon, peigner les agneaux, jeter le pain aux canards et taquiner le goujon… L’autre se voulait technique et capitaliste : ils aspiraient au succès financier, en produisant les légumes dont la ville raffolait, et à bon prix, hors saison. Ils avaient choisi Cipingba, où la saison est décalée de deux mois par l’altitude (1350m). Dans la terre jaune, ils creusèrent un entrepôt pour les 80t de leur future récolte ; ils bâtirent leur maison (jacuzzi, Wifi) : acquirent le tracteur, le semoir dernier cri. Ils plantèrent 47ha de radis. A l’automne ’05, ayant écorné leur patrimoine d’1,3M¥, ils étaient prêts….
C’est alors que tout dérailla. Durant des mois, la pluie disparut, brûlant la moitié des plantations. Puis vint la flambée du diesel, qui telle une nuée de sauterelles de l’Apocalypse, découragea les camionneurs de s’aventurer loin des villes : la mort dans l’âme, le silo menaçant de pourrir, ils durent jeter leurs radis aux cochons.
En décembre, ils furent bien heureux que leur mentor accepte de leur prêter 200.000 ¥, et de pouvoir brader leur appart en ville (320.000 ¥), afin de payer les employés et planter pour la campagne de 2007…
Cette fois, ils avaient cru agir avec logique, en choisissant un légume « spécial sécheresse », comme le piment, dont ils plantèrent 35ha. Mais le mauvais sort était encore là pour leur faire la nique : des trombes apparurent, qui réduisirent en pulpe fétide la plupart des espaliers rougissants…
Ils en sont là : l’ultime espoir repose sur les 25ha de soja et de maïs d’automne, pour peu que le ciel se dégage et leur laisse le temps de récolter…
Bien seuls dans leur désastre, nos deux apprentis maraîchers cauchemardent, sentant tout près d’eux « l’eau profonde et le feu ardent» (水甚火热, shui shen huo re) – l’insécurité qui hante.
Pour autant, refusant les conseils patelins, ils refusent de retourner en arrière, à la ville. D’abord, parce qu’ils sont des battants, et savent que la victoire se mérite, par le courage. Ensuite, car en toute chose, la Chine accède en un éclair, à un stade que l’Ouest a mis un siècle à atteindre. En l’occurrence, la pensée écologique, le désir, après avoir cassé la nature, de la protéger et rétablir. Une passion qui comme toute autre, n’a pas de prix !
Sommaire N° 29