A l’instar de tout humain, le Chinois a adopté le petit cube plat quadrillé de boutons, comme l’extension de sa main, et plus encore. Il y voit l’organe d’un dialogue avec le monde, libéré du langage du corps et du regard fouineur de l’autre. Parfois même libéré du son, via les SMS qui portent l’être au degré zéro de la communication.
Aux 400M d’abonnés locaux, le tél. portable donne l’air affairé, occupé, complet en quelque sorte. C’est le compagnon virtuel parfait, l’outil de travail, de loisir, de l’amour: l’alter ego primordial, et l’on peut comprendre qu’ici comme ailleurs, son choix impose une recherche et une réflexion intense, à propos de ses lignes, de ses fonctions, ses couleurs ou sa marque !
Or, le Chinois se distingue des autres, en mettant une priorité extrême sur la qualité du numéro : avec son génie mariant superstition et mathématique, il sait qu’une âme réside dans cette série de chiffres et n’hésite pas à y investir !
Fantastique beauté d’Anshan (Liaoning), Melle Fu avait trouvé un numéro qui faisait sa fierté, terminé par quatre «sept» qui lui dispensaient un halo magique : ce chiffre qi (七, 7) est homophone de 起, qui dans le Yi jing, le livre des changes, désigne « hausse », « montée », et donc « chance ». Sans doute pas par hasard -ni Fu, ni ses amis n’en doutaient-, depuis l’achat de ce n° miracle, elle gagnait en bourse : cette bonne fortune, elle la devait d’abord à son amulette chiffrée !
Bien vite cependant, la belle se lassa du joujou : elle repartit chez China Mobile, se choisir une série encore meilleure. Ce jour-là, un détail anodin en apparence, changea sa vie: comme Mentor dans cette affaire capitale, elle avait amené Xiaolang, son jeune frère étudiant en math à l’université Qinghua -phare du pays. Or, parmi les listes de numéros offerts, sans se décourager à ses abords rébarbatif ou abscons, Xiaolang, tomba en arrêt devant le numéro 13841287201:
–prends celui là,tout de suite!
-mais pourquoi ?
-Vas-y, te dis-je, fais vite !
Le cadet état très sûr de lui : car ce chiffre, c’était ce même chiffre sept, mais cette fois ci à la puissance12. Et la fortune qu’il promettait, était donc amplifiée à un degré cosmique !
Elle le prit donc. Mais tout de suite, de façon inattendue quoiqu’au fond logique, cette source de chance superlative lui fit du tort. Fier de son nez creux, son étourdi de frère ne trouva rien de mieux à faire, que poster sa trouvaille sur internet. Immédiatement, le monde chinois entier prétendit le racheter. Les offres s’accumulèrent. La dernière, d’un richard de Wenzhou, vaut 77000², record de Chine -et ce n’est pas fini. Fu ne veut rien savoir, mais en attendant, doit se résigner à ne plus utiliser l’appareil que pour appeler, et à le couper le reste du temps, pour sauver ses nuits !
La solution à son dilemme, elle la connaît bien, même si elle s’y refuse encore. C’est celle inscrite dans le proverbe 七上八下 (qi shang ba xia), « monter à sept, descendre à huit » : laisser la roue de la fortune redescendre, achever son cycle. En l’occurrence, qu’elle vende sa carte Sim, ou se la laisse voler : prix à payer pour quitter sa chance, faute de savoir la chevaucher !
Sommaire N° 24