Le problème de Zou, c’était sa beauté «trop plus qu’humaine», son apparence d’ange de Raphaël mâtiné de Vénus de Botticelli. La fatalité de ses gènes, sa chaîne ADN. Dès le berceau, tous les gens de Xinyu, son village du Jiangxi, irrésistiblement attirés vers lui, ne cherchaient qu’à l’entourer, le toucher, palper ses mèches brunes, caresser son front gracile, ses yeux de poupée, ses joues de velours. Ce si bel enfant décidément, méritait bien son prénom de Kaiyun, « qui-attire-la-chance » !
Au coeur de cette adulation, Zou se faisait des idées, rêvait d’être star. Et ça commençait fort : dès 11 ans, il tournait une pub TV, quelques feuilletons. Aussi en 2002, à 18 ans, la famille s’était cotisée, avait fait les fonds de tiroirs pour lui offrir le conservatoire de Changsha -une de ces écoles d’arts dramatiques qui foisonnent par 10aines en Chine pour nourrir l’appétit insatiable des 2000 chaînes, en téléfilms et séries.
Les 1ers temps, Zou déchanta: les contrats restèrent aux abonnés absents. En attendant l’improbable imprésario, la chimérique consécration, il faisait les bouche-trous, avec de maigres figurations pour tout potage, et s’en retournait chez ses parents plus souvent qu’à son tour, pour manger à sa faim.
Jusqu’au jour où hantant un studio, en quête d’un petit rôle pour payer son loyer, la chance vint : la diva tête d’affiche étant clouée au lit, le régisseur à brûle-pourpoint, lui offrit de la remplacer. Or, à ce jeu de travesti, Zou fit mieux que se défendre, et obtint un triomphe, le soir de l’émission, le standard de la chaîne ployant sous le poids des appels des fans !
Le sort en était jeté : Zou accepta de gagner sa vie en jouant la femme, et assuma sa destinée d’androgyne.
Depuis, c’est ainsi que les média l’aiment, en robe qipao et en talons aiguilles, dans les productions TV comme dans les quinzaines commerciales, les salons et les événements des grandes entreprises : partout, il déplace les foules. Parfois même, à mauvais escient, comme chez cet écrivain célèbre, dont il devait décorer la séance de signatures : ensorcelé et perdu, un acheteur sur deux se tournait vers lui pour l’autographe de Zou, provoquant la grimace furieuse d’un gratte-papier insensible au comique de répétition…
Zou l’admet bien volontiers, sa vie ne comporte pas que des bons moments. Combien de fois, dans les toilettes, des hommes prirent la fuite, croyant s’être trompés de porte ? Pas plus tard qu’en mars, au check-in de l’aéroport, l’agent de sécurité, finaud, ne voulut jamais croire qu’il était homme, et faillit lui faire rater son avion.
Le pire, qui l’afflige et le déstabilise ces derniers temps : sa petite amie vient de le quitter, ne supportant plus cette inversion des genres. Le voir ainsi émaner, dans ses salons comme dans ses feuilletons une sensualité troublante, une féminité plus forte que la sienne, voilà une concurrence déloyale et dévoyée : 阴错阳差 «yin cuo, yang cha » – le yin (féminin) est faux, et le yang (mâle) absent !
Sommaire N° 20