Tout le monde le sait, la fameuse impassibilité chinoise cache en réalité des émotions aussi puissantes qu’ailleurs – amour, jalousie… Plus encore lors des élections du Parti, qui d’ici octobre 2007, promeuvent ou limogent 200.000 caciques à travers l’empire.
Alors,l’ambition attise les règlements de compte, source de bien des imprudences. Ajoutez à cela, rivée à l’âme chinoise, une tradition millénaire d’écriture littéraire, et la mode du SMS qui déferle sur 460M de portables: vous avez le décor des deux incidents qui suivent, advenus en Chine à des centaines de km de distance entre août et octobre 2006 !
Obscur secrétaire du PCC à Xinhua (banlieue du Henan), rongé d’ambition, Du Xin, mourait d’être promu au poste de secrétaire de Pingdingshan, détrônant Deng Yongjian, le calife en place.
Pour parvenir à ses fins, il ourdit un plan tortueux : il composa une ode satirique contre son rival, qu’il adressa par SMS aux 100 membres de la Commission municipale du Parti.
Mal lui en prit ! Par ses vers de mirliton, l’oeuvrette sonna bancale, et indisposa ses lecteurs. Elle faisait du tort à un homme puissant. Et surtout,manquement im-pardonnable à la discipline du Parti, elle était anonyme – dissidente ! Aux limiers qui connaissaient leur affaire, il ne fallut que quelques jours pour épingler le corbeau. Hélas pour lui, ils déterrèrent aussi une affaire de vente de charges, pour 1,2M² qu’ avaient palpés 48 membres de ce club habitué à vivre au-dessus des lois… Sur la paille de son achot, Du Xin voit désormais son avenir d’un oeil sombre et amer !
A Pengshui (Chongqing), Qin Zhongfei fut plus chanceux. Petit professeur de lettres tirant le diable par la queue, à 84²/mois, mais fort doué en écriture, il ne put se retenir d’éreinter trois potentats locaux, en une féroce et drolatique ode par SMS.
Le texto dérida la ville, mais Qin lui aussi, atterrit en taule. Alors intervint un fait imprévu : d’aucun de ses proches, les sbires ne parvinrent à obtenir le moindre aveu de motif politique. Toute la ville se mit à plaindre le pauvre Orphée des Lettres et à grommeler contre l’Etat Philistin. Captant le message, la mairie finit par élargir son enfant terrible, l’estimant suffisamment corrigé après 29 jours à l’ombre. Qin fut même indemnisé, et quoiqu’il ne réclamat qu’un Yuan symbolique, il en reçut 2125, plus sept mao, soit 29 salaires moyens quotidiens.
Depuis lors, Qin Zhonfei le croque-lettres se terre, et refuse de répondre aux paparazzi autrement que par téléphone. Les SMS, plus spécialement, le terrorisent. C’est le chat échaudé qui craint l’eau froide : 一朝被蛇咬,十年怕井绳 yi zhao bei she yao, shi nian pa jing sheng, « une fois mordu par le serpent, on craint dix ans la corde du puits ! »
Sommaire N° 13