Bravant la censure, l’opinion chinoise se passionne pour les héros du jour : Wu Ping et Yang Wu, qui résistent depuis 2005 à l’éviction de leur maison de 200m² au coeur de Chongqing. La justice chinoise a été lente, parce que le couple était volontaire, éduqué et «notable» (Yang Wu champion d’arts martiaux, Wu Ping restauratrice), et les titres de propriété 100% en règle. D’autre part, l’intérêt de la collectivité dans cette expropriation apparaissait contestable : le promoteur ayant obtenu par protection le terrain, pour y implanter un centre commercial. 280 riverains ont accepté une maigre enveloppe (à peu près ce qu’ils avaient payé 20 ans plus tôt, sans tenir compte de l’explosion des prix depuis lors). Wu et Yang réclament en vain, dans le béton futur, le retour de leurs 200m². Le chantier a donc cet aspect lunaire d’une fosse béante, avec un piton en son centre, et la maison juchée en son faîte. Et quand le juge a imposé la démolition pour le 22/03, suite à quoi Yang Wu a escaladé la falaise pour se barricader chez lui avec un drapeau rouge affichant que « la propriété du citoyen est inaliénable » !
Si l’affaire a causé un tel choc dans l’opinion, c’est qu’elle sert d’exemple aux millions d’expropriés à travers le pays. Ce couple fait ce que les autres rêvent de faire : tenir tête.
D’autre part, le 16/03, avec 97% de voix, l’ANP (le Parlement) a adopté une loi sur la propriété, stipulant que « la propriété de l’Etat, de la collectivité, de l’individu ou autres… est protégée par la loi… » qui sera appliquée sur un pied d’égalité. L’État fait une exception : le sol, son domaine inaliénable, privant du parapluie de la loi les 200M d’exploitants agricoles. Dans l’article 42, la loi prévoit une indemnité d’expropriation décevante : « compensation pour la démolition… ou pour le relogement… » mais en aucun cas sur la valeur marchande et objective du bien spolié…
Cependant, même avec ses défauts, cette loi est le signe de la volonté publique de protéger les intérêts des citoyens contre ceux des cadres. Aussi, des millions de visiteurs, sur les blogs chinois, suivent ce test de jour en jour pour vérifier à travers la gestion par le pouvoir de cette crise, le poids qu’il accorde à sa propre loi. Aux dernières nouvelles, la mairie de Chongqing proposait une médiation, ajoutant qu’elle rejetterait toute «exigence de compensation exorbitante ». Dialogue de sourds donc, et avenir incertain !
Sommaire N° 13