Il y a l’hémicycle, ses discours, ses bravos. Et puis il y a l’immense salon de thé où l’on se rencontre entre édiles des 4 coins du pays, pour échanger ses affaires, doléances, pétitions. Visage plus vivant du Parlement, et de la Chine…
Les élus viennent par équipes, villes et provinces, pour gagner des voix, faire leur pub, ou contre mauvaise fortune bon coeur. Menée par Han Zheng, son maire et Secrétaire ad interim, Shanghai pratique une humilité atypique, après le scandale de son fonds de pension et le limogeage de la moitié de ses cadres. Ce qu’on lui reproche le plus, au fond, sont ses 10 ans de pouvoir national sans partage, sous Jiang Zemin. Wu Bangguo, Président de l’ANP lui lance une absolution un peu douteuse : « la plupart des cadres de Shanghai sont bien ! »
Luliang (Shanxi), déclare à grand bruit la coupure du compteur électrique à 162 usines publiques ou privées, puis bientôt à 300 autres. Elle espère ainsi quitter la liste noire des villes grandes pollueuses, dressée par la SEPA (State Environmental Protection Administration) en janvier, et relancer ses 200MM¥ de chantiers d’infrastructure : son université, son aéroport…
Effet de manche pour Chongqing qui vante, par une mesure radicale, son « courage administratif » suite au décès de la rage d’un habitant : l’abattage sous 8 jours de tous les chiens dans la ville, même vaccinés. Seule exception, les chiens de garde de la mairie et les cobayes des centres de recherche.
Par la voix du gouverneur Huang Huahua, le Guangdong, notoirement laxiste en pollution, fait le beau avec son prochain satellite qui épinglera les usines et villes gourmandes en énergie ou salissant son air et son eau. Coût : 230M² – Canton se remboursera sur les taxes aux coupables, et espère ainsi tenir son engagement de réduire sa consommation et sa pollution de 16% d’ici 2020.
Au Tibet côté Han, Zhang Qingli rejette le soupçon que la flamme olympique, portée au sommet de l’Everest, puisse souiller l’atmosphère montagnarde ; côté tibétain, Phuntso Wangye, marxiste historique (84 ans) accuse des « faucons » militaires de bloquer le retour du Dalai Lama sur le Toit du monde.
Au grand salon de thé, ou dans les groupes de travail, on entend aussi les voix du pouvoir, testant auprès des élus les initiatives envisagées : comme le vice-ministre de la supervidion Chen Changzhi qui prétend faire confisquer en Chine les édifices publics au luxe extravagant et les revendre aux enchères. D’autres projets prévoient le statut de vacance légale à la veille du Nouvel An Lunaire, et l’ouverture probable cette année (selon Shang Fulin, président de la CSRC – la China Securities Regulatory Commission) d’un second tableau de valeurs à risque, un Nasdaq chinois.
Décisions déjà prises: au nom de la santé morale des mineurs, le ban sur tout nouveau cybercafé en 2007, un contrôle strict de l’argent virtuel dit «QQ» du groupe Tencent, créé pour des jeux en ligne, mais servant entretemps à 200M de gens à des usages plus larges, tels le blanchiment d’argent, les paris et le cybersexe.
Enfin, ce forum chinois abrite une jungle hétéroclite de lobbies. Comme tous les tabagistes du monde, Zhang Baozhen, sous-chef du monopole d’Etat, monte au créneau pour défendre l’herbe de Nicot : contre ceux qui veulent la limiter en pensant aux 1,2M de décès/an, Zhang invoque curieusement la stabilité sociale -s’il n’y a plus de fumette, l’émeute guette ! De leur côté, Han Deyou (Chongqing) et 20 élus exigent le retour en équipe olympique de Tian Liang, double médaillé d’or, exclu pour avoir accepté des contrats de publicité au détriment de son entraînement, et surtout refusé de s’excuser. A travers ce cas, au nom de l’« intérêt national », c’est la discipline paramilitaire de la Commission nationale des sports qui est sous les projecteurs.
Autre dossier: les élus découvrent que pour la 1ère fois, moins de la moitié des Chinois savent lire, et seuls 53% parlent le mandarin. Pour enrayer la crise, le professeur Zhu Yongxin propose une « fête de la lecture» le 28 septembre, anniversaire de Confucius.
Pas de session de l’ANP sans son millionnaire rouge. Cette année, c’est Ma Weihua (Guangdong), député, communiste et Président de la China Merchants Bank, au salaire d’1M$/an. Il justifie ses émoluments (comme tous autres avant lui) par la nécessaire montée en compétence de son métier : « Notre plus grand problème est celui du savoir-faire »…
Côté animalier, Zhou Ping (Sichuan), veut faire abolir les fermes à bile d’ours, de triste mémoire, aux milliers de plantigrades martyrs. Au Shaanxi, un centre de pandas cherche patte artificielle pour Niuniu, femelle de trois ans, « pour lui permettre de remarcher, trouver seule sa nourriture, et copuler ».
Citons encore, dans cette palette bigarrée d’initiatives civiques, Fan Yi qui milite pour une loi contre le viol homosexuel.
Autant de démarches légitimes, vertueuses… et bien dans les rails du système. Hors du Grand Palais, égarés dans le mauvais siècle (pensant à leurs ancêtres qui venaient se jeter aux pieds de l’empereur), des milliers de pétitionnaires spoliés par des cor-rompus jouent à cache-cache avec le kaki. Mais ils disent garder foi dans le pouvoir central et sa promesse de « société harmonieuse ». Wen Jiabao affirme vouloir écouter —mais entre lui et eux, les gardes sont nombreux et musclés.
Sommaire N° 10