Depuis l’antiquité, le paysan chinois pratique une propreté proverbiale, bien que limitée aux moyens du bord.
Faute d’eau courante, on se lave au broc, et comment empêcher les mouches de déposer leurs chiures au plafond, ou les poules dans l’entrée? Tout paysan sait çà -sauf les frères Wang, de Tongfucun (Chongqing), 66 et 77 ans, obsédés d’hygiène. Quiconque leur rend visite se voit forcé de frotter ses souliers avant de passer l’huis. Il trouve une chaumière immaculée, murs javellisés, vaisselle ébouillantée, carreaux transparents. Chaque jour, les couettes sont suspendues au soleil.
Les Wang n’ont pas de basse-cour, et une haie bloque l’accès aux canards des voisins. Face aux déjections, c’est la guerre sainte : les frères ne vont aux champs qu’avec pots de chambre, et s’ils trouvent quelque fiente, crottin ou bouse sous une plante, ils n’ont cesse de brûler l’objet, «de peur des bactéries, vous comprenez» ?
La maniaquerie aurait dû séduire les jeunes fermières du canton -un parti si propre, dame, ça ne se trouve pas sous le pas d’un cheval ! Seulement voilà, aucune candidate n’a su briser la muraille de leurs lois prophylactiques, ni trouver place dans leur enclave aseptisée : mieux valait rester seuls, qu’avec conjointes d’hygiène douteuse !
Le secret de cette folie – qu’ils prennent pour raison- tient à un passé douloureux : enfants, ils avaient vu la camarde emporter le père, leurs 7 soeurs, la mère -un par an, fauché par la maladie. Puis à 32 ans, Xueqian eut dans un journal la révélation de la cause de leurs malheurs : pour vivre, il fallait se laver. Convertis à cette nouvelle secte à deux, ils se sont condamnés à vieillir seuls. Faute d’avoir réalisé une vérité plus haute : 见缝插针 jian feng cha zhen, «il n’est de fente où l’on ne passe son aiguille », il faut toujours sur terre, tout féconder- même, au risque de se salir !
Sommaire N° 9