Sur le parvis du monastère de Labrang (Xiahe, Gansu), les pèlerins se pressent, en robes de bure sombre fourrées de mouton, portant des enfants dans leurs bras. Par moins 10° à 23h, le 12/2, c’est le festival du Bouddha de lumière.
Incandescents dans la nuit, cinq bas-reliefs en beurre de yak montrent des Bouddhas et dieux tels Yama (la mort), Naga (l’eau), ou des péchés tels la luxure, sous les traits d’une nudité féminine à tête de dragon.
La foule est très remuante, et pourtant -bizarrement- silencieuse, contrastant avec l’habitude chinoise : c’est en respect de la loi lamaïste, qui voit dans les cris des manifestations démoniaques. Les tableaux sont protégés par des moinillons armés de triques. Soudain, une femme se jette, feinte à gauche, pique à droite, contourne 3 frères et parvient à l’oeuvre pour la toucher du front : les coups pleuvent sur son échine. Sans geindre, la resquilleuse se retire, un sourire de victoire aux lèvres : elle a volé sa bénédiction pour une année. Les moines aussi sourient, complices. Sous le plafond d’étoiles, la ferveur collective se poursuit ainsi jusqu’à 2h du matin, avec ses 10aines de milliers de fidèles ayant affronté glaces, montagnes et déserts depuis plus de 200 km de distance !
Durant ces jours de festivités votives qui incluent le dévoilement (une heure par an) d’un mandala (Bouddha de la science, de 600m²), et 8h de danse et procession de moines masqués à travers la ville, Han et Hui (musulmans) restent à l’écart et la police se fait discrète. Pourtant, cette coexistence n’a jamais été facile à Xiahe, qui vit les préjugés et la tension, stigmates du rattachement du Gansu en 1959, blessures mal fermées. Ainsi l’imam de la mosquée locale voit comme racine de la pauvreté des Tibétains leur «paresse» et «saleté», qui détourneraient les clients de leurs commerces.
Mais les choses changent. Les Tibétains apprennent la concurrence et les métiers d’argent.
L’un d’eux, millionnaire résident entre Xiahe et Lhassa, truste le commerce national du beurre de yak. Tserwang l’instituteur symbolise cette nouvelle culture. Admis sur le tard à l’université de Lanzhou, il croit que le Tibet n’a d’autre choix que le pardon, et de cesser de rêver au passé: « Notre culture est menacée, le seul moyen de la sauver, est de nous intégrer». A Xiahe, cette intégration semble déjà bien présente, par un genre de miracle en cours, peut-être lié à la tradition tibétaine de tolérance-compassion. Dans les quartiers, les 3 ethnies cohabitent pêle-mêle. Lycée, écoles et magasins accueillent tout le monde sans distinction. Donnant ainsi l’image d’un melting pot, pour une nation encore dans les langes !
Sommaire N° 6