Les murs crénelés, les tourelles ajourées, les azulejos de calligraphie arabe le disent : cette école d’Urumqi n’est pas comme les autres.
Elle est l’unique séminaire coranique, Ouighour du Xinjiang, bâti en 1987 sous l’ombrelle du Conseil d’Etat, pour 2M$, dont la moitié donnée par la BIM – la banque islamique mondiale! Son doyen Abdulaziz Dorlatch révèle le prix à payer son « autonomie » : «enseigner l’amour de la patrie». Autonomie relative, puisque les 30 élèves admis/an, sur concours, doivent être validées par une commission mixte « patriotique »! Une fois dans les murs, les jeunes sont dans un paradis d’étude de l’arabe, du Coran sous 100 formes, mais aussi du mandarin, de la loi et des institutions socialistes. A 600²/an, les études sont financées 50% par la famille (lourd effort!), 50% par la province et la paroisse, qui les attend une fois imams.
A 160 pensionnaires, ils passeront ces 5 ans à 4 par chambre, avec pour viatique une bibliothèque de 10000 livres en arabe, une salle d’internet, une mosquée et le kiosque des 5 rituelles ablutions /jour.
En 19 ans, le séminaire a formé 339 imams et mollahs, 140 traducteurs, et renforcé la culture de 100aines de prêtres de base, issus des 24.100 mosquées et des 8,9M fidèles du Xinjiang. Curieusement, c’est grâce à la censure rigide, que l’institut peut se permettre d’envoyer des élèves au Caire (université AlAzhar),en Lybie ou à Oman, tout en proscrivant des groupes comme Al Qaeda ou les Talibans, «musulmans qui nuisent sur notre sol, contre la paix, au nom de la religion ».
A l’opposé, le lycée de Changqi (le plus riche canton du Xinjiang) déploie fièrement ses 132000m² de classes modernes et d’équipements de qualité. D’une capacité de 4100 élèves, à 60 élèves par classe, il forme l’élite du Xinjiang. Alors que la moyenne nationale au bac est de 50%, Changqi réussit à 100% en lettres comme en sciences ! Le reste du Xinjiang (Han) fait presque aussi bien -90% des candidats arrivent à l’université ! Cette assiduité est une énigme, dont la réponse tient à la coupure géographique de la région par 1000km de désert du Gobi, l’absence de loisirs, la survie d’une morale « à l’ancienne », et l’esprit de frontière.
Seule ombre au tableau : la quasi-absence des Ouighours. En partie à cause des coûts (1000²/an), en partie car sur les 1,6M du canton, les Ouighours sont moins de 100.000, contre 1,2M aux Han. Le proviseur Wu Zhangjing n’essaie même pas de briser une barrière si profondément ancrée : son rêve se limite à augmenter les places d’études des Hui, Hans islamisés (120.000 dans le canton).
Entre Ouighours et Hans, le rejet est mutuel, comme en témoigne une jeune enseignante : « ils ont leurs propres écoles, et puis il n’y a pas de confiance entre nous »… Une question de culture qui prendra du temps à se détendre !
Après des 100aines de km de route rectiligne à travers le Xinjiang, entre cotonneraies et désert de bruyère écarlate surgit soudain dans la brume de chaleur, une ville. Tirée au cordeau, à l’américaine, technologique, maniant gazon hydroponique, éclairage au néon ou à diodes à faible consommation et signalisation par panneaux solaires.
C’est Dushanzi, la nouvelle Mecque du pétrole qui s’apprête à exploiter la manne du sous-sol local et celle du Kazakhstan voisin. Le désert semble une pépinière de ces cités neuves, Shihezi, Manas, Karamai ou Kuitun : agglomérations propres et pimpantes, bizarrement dépourvues de la promiscuité bruyante de la côte. 50 ans après sa fondation par Mao, ce Xinjiang, issu des migrations de tout le pays, se mue en une Californie d’avant-garde -quoique toujours pauvre. Berceau de pionniers dont le niveau d’éducation (cf édito) n’égale que leur audace et esprit d’entreprise, et croyant évidemment en leur chance.
Cette terre a aussi ses vieux démons et ses risques d’avenir. Les autochtones Ouighours (et de 24 autres minorités) restent dépossédés de leur terre et de la richesse potentielle. Pour eux, moins de travail, vu la méfiance respective, la violence séparatiste intermittente soutenue à travers la frontière -partout musulmane, sur 6000km- et celle de la police secrète. L’avenir du Xinjiang repose sur ces paramètres instables, telle la capacité de l’Empire à continuer à imposer sa paix armée en son Extrême-Occident.
Ici, vient se glisser un espoir inopiné : une génération plus tard, ces Chinois de la marge oublient leur origine, et se définissent volontiers comme 华侨 huaqiao, « chinois de l’étranger ». Ils sont fiers de leur nouvelle terre et identité, loin du foyer natal : une Chine de synthèse, aux frontières et richesses plus généreuses (3 fois la France), qui devraient suffire à employer ces 20M d’âmes, voire, plus tard, permettre la réconciliation!
Sommaire N° 32