Le Vent de la Chine Numéro 24
Fort, le nombre des commissaires européens à se rendre à Pékin ce mois-ci!
Le vice-Président Jacques Barrot était là le 1/7 (cf Vdlc n°22), puis les chefs de l’agriculture et du commerce, en route vers Dalian (11-14/7) pour le Mini Sommet de l’OMC, prélude au Sommet de décembre 2005 à Hong Kong !
Puis c’était au tour du Président de la Commission, Jose Manuel Barroso (14-18/7) de passer par Pé-kin, en route vers Macao via Shanghai et Hong Kong, rencontrant au passage; le Président Hu Jintao et le 1er ministre Wen Jiabao.
Que cache cette frénésie de voyages vers l’Empire du Milieu ?
Il s’agit d’abord de renégocier un accord-cadre Union Européenne – Chine, devenu trop étroit après 20 ans de croissance. Des coopération à la pointe du progrès technique se profilent,en aéronautique, en environnement (économie d’énergie), tandis que se poursuit la discussion d’accords monétaires, financiers, de protection des investissements, et même d’ouverture des marchés publics, qui représentent en France 20% du PNB.
A Pékin, les Eurocrates viennent aussi préparer le Sommet Sino-Union Européenne, qui promet de faire l’événement en septembre 2005 à Pékin, avec des poids lourds politiques comme Tony Blair, en Président du Conseil européen.
Après les échecs des sommets de l’OMC à Seattle et Cancun, on s’est habitué à considérer l’entente à 148 pays comme infaisable.
Or, au mini-sommet, divine surprise: sous la houlette du ministre du commerce Bo Xilai, les délégués de 32 pays (+UE), ont trouvé une base de compromis sur un dossier essentiel pour les pays pauvres, à savoir l’écrêtement de cinq séries de tarifs agricoles chez les pays riches. Un agenda semble aussi accepté, pour éliminer d’ici 2010 toutes subventions à l’export agricole.
Cette subite vague de bonne volonté exprime la peur des pays de voir leur croissance bloquée dans leurs frontières, et d’être condamnés aux accords bilatéraux de libre échange.
Mais sa portance est limitée : il ne s’agit pas des vraies négociations, mais d’offres non contraignantes. D’autre part, aucun accord ne se dessine sur les demandes des pays riches, concernant la libéralisation des marchés industriels et des services. Autrement dit, pour le RV de HK, rien n’est gagné, et le plus dur reste à faire !
Aux temps de Mao, les colonies des pionniers ou jeunes communistes concentraient aux bords des lacs les espoirs de la nation pour des étés de sports collectifs, de plantage d’arbres et d’études idéologiques.
A présent, les camps d’été les ont relayé et font fureur. Ils se paient cher, pour un programme d’enfer: les vacances doivent être relaxées, jamais fériées. Donc consacrées à des études douces.
A Shanghai, l’université SISU offre 15 jours d’anglais au vert, sous la férule de profs anglais qui alternent conférences, films en VO et jeux interactifs. Pour 500 à 1000², un camp musical pour fils de riches propose 10 jours d’éveil aux muses, de concerts, conférences et classes d’instruments (avec profs artiste)…
A Pékin, un stage pour 1123 jeunes Taiwanais (dont 995 de l’île) est intensément gâté, reçu aux 3 meilleures universités de la capitale, et se voyant offrir un concours de 100 places pour les JO de 2008. C’est une discrète pépinière de futurs fidèles !
Enfin, on note profusion de stages pour jeunes de la diaspora US, avec visas spéciaux très allégés : mine d’or pour leurs organisateurs, c’est un moyen de ré-apprendre leur langue, et aussi de restaurer le lien distendu à la patrie. But visé : susciter des vocations d’investissements étrangers (dont 10% des Chinois d’Outre-mer). Et surtout, inciter au retour de nombreux cerveaux fuis 5 ou 20 ans plus tôt, indispensables au maintien de la croissance de demain.
On aura noté : tous ces camps si différents comportent un point commun -leur «marque de fabrique chinoise», l’intensité et l’objectif pour l’Etat.
Contrairement à l’idéal de vacances occidentales, qui parle de détente et de retrouvaille de soi !
Sur leur « 31 », ce 22/06, ils attendaient dès 19h aux portes de ce café de Sanlitun, ces jeunes de la promotion 2005 du CESEM, institut rémois de formation au management international.
Après 5 ans d’études dont 3 à Pékin, ils avaient tout préparé pour le grand rendez-vous avec les employeurs potentiels : la tablette des badges des invités, les canapés, le rétroprojecteur pour un power point sur leur association. Tout le nécessaire pour se présenter avec brio dans un anglais et un mandarin plus qu’honorables -et que le meilleur gagne ! Cependant à l’issue du cocktail, le pincement de coeur était sensible : ils étaient rares, les sponsors venus les soutenir -issus de la Société Générale, d’Alstom, de l’UFE (l’Union des Français de l’étranger), et de la CCIFC, (la Chambre de commerce et d’industrie français en Chine).
En aparté, les jeunes admettaient la vérité: à l’ issue des 5 ans d’études chères payées (certains, par les familles, d’autres par un emprunt bancaire qui les endetterait pour de longues années), aucun n’avait d’emploi sûr, tout au plus des stages en entreprises, ou des jobs très temporaires.
Cette scène nous permet de constater une mutation en cours de la population occidentale expatriée. Toujours plus de firmes françaises tentent le saut vers la Chine (1100 à ce jour), mais les moyens ne suivent plus. Une frange de cette francophonie au bout du monde se précarise, dit Mme Marquez, Consul adjoint à Pékin, confrontée à toujours plus de cas de jeunes en difficulté, qui pourraient justifier d’une aide matérielle. Mais selon elle, les bases financières et juridiques n’existent pas encore. D’où ces questions que le VdlC répercute :
[1] Comment souder moyens privés et publics pour fonder cette assistance désormais nécessaire?
[2] Comment multiplier les occasions de stages et de 1ers emplois pour ces jeunes diplômés – leur renvoyer l’ascenseur que d’autres nous ouvrirent au début de nos carrières?
D’une certaine manière, c’est la santé et le bien-être de toute notre communauté future, des étrangers en Chine, qui en dépend !
— Elles arrivent en Europe, les 1ères voitures chinoises.
Le 24/6, 150 Honda Jazz étaient chargées au port de Canton, destination l’Allemagne – produit de la JV avec Dongfeng qui compte en sortir 10.000 cette année, toutes pour l’export.
Mais celles qu’on attendait étaient les tous-terrains Landwind, de marque Jiangling, dont 200 débarquaient à Anvers le 5/7. C’est un homme d’affaires hollandais de 27 ans, P. Bijvelds qui a empoché ce marché au bon moment: à 17.000² / pièce (30% de moins que la concurrence, après les 64% de taxes aux Pays-Bas,), les Landwind sont parties comme le vent. Bijfeld espère en vendre 2000 dans l’année.
NB : Jiangling, pour l’instant, semble moins travailler pour le profit que pour l’emploi. Firme de réparation de camions, elle s’est lancée dans la 4×4 en 2000; elle en vendait 3000 l’an passé. En 2005, elle a dû limer son prix de 22.500$ à 20.000$. L’aventure de l’export a été due à la nécessité d’échapper à la guerre des prix.
Fort du succès inespéré, Jiangling compte vendre 21.000 tous terrains dans l’année, produits avec les meilleurs équipements : robotique japonaise, chaîne britannique, peintures allemandes, moteur Mitsubishi de 2 ou 2.4 litres, équipés de pots catalytiques spéciaux pour répondre aux normes européennes.
— Depuis 1994 à Shenyang (Liaoning) et à Kunshan (Jiangsu), Inco, le canadien n°2 mondial du nickel ouvre sa 3e usine à Dalian en même temps que le mini-sommet de l’OMC.
Une JV de 25M$ dont il détient 77%, les autres partenaires étant Korea Nickel et Wanzhong, roitelet local de l’immobilier. Sa production sera «exotique», et très technique : de la mousse de nickel, produit de base des batteries pour voitures à propulsion hybride.
Or, au moins quatre groupes auto s’apprêtent à décliner en Chine des versions de cette technologie de Toyota : outre le Japonais, GM, Geely et Chery. Anticipant cette demande, Inco produira 2M m² de cette mousse.
Que cette technologie d’avenir soit déjà présente en Chine, montre le chemin parcouru par rapport aux années ’90 : alors, l’Occident rêvait de délocaliser ses produits devenus obsolètes chez lui, et leur offrir un « 3ème âge » en Chine, pays pour fin de cycle !
— Les tensions autour de la saga d’acquisition d’Unocal par CNOOC, n’ont pas empêché la signature d’un accord entre Exxon (n°1 mondial),la Saoudienne Aramco (maîtresse de 260MM barils de pétrole enterré, soit 25% des réserves mondiales) et Sinopec.
La troïka veut construire le 1er projet sino-étranger entièrement intégré, et en même temps la plus grande raffinerie de Chine. L’unité de Quongang (Fujian) doit être triplée en capacité, à 85M barils.
En aval, trois usines vont suivre, de polyéthylène (650,000t/an), polypropylène (400,000t/an) et d’arômes de synthèses pour la production de gazoline. En prime, s’ajouteront 600 stations services.
Pour l’Etat, ce projet offre le double intérêt d’utiliser un pétrole lourd à forte teneur en soufre, 25% moins cher (Aramco signe un accord parallèle de livraison); et de s’associer aux pays-producteurs, dont il dépend pour 40% de ses besoins -excellente association pour Sinopec, moins riche en réserves que son homologue CNPC. Pour Exxon et Aramco, entrer sur un marché lourdement dominé par Sinopec et CNPC, est un 1er pas. Pour cette JV tenue à 50% par Sinopec, 25% par les étrangers, il en coûtera 3,5MM$.
Sur la date de sortie du 1er litre de pétrole raffiné, les partenaires gardent le silence!
— Le 11/07, après deux mois et 20.000km de piste, boue et poussière entre Lyon et Pékin, les huit semi-remorques de Renault Trucks (6 Kerax et 2 Sherpa) firent leur entrée triomphale dans la capitale, confirmant la fiabilité du matériel, et la volonté du groupe de compter sur ce marché chinois, à l’instar de Volvo et Daimler déjà dans la place!
Associé depuis le 27/1 à Dongfeng Motor pour la construction de moteurs de 11 litres, Renault Trucks se prépare à franchir le cap de l’importation, pour la production locale et la création de nouveaux modèles «spéciaux-Chine», investissement qui requière typiquement pas moins de 200M$. Le réseau commercial de base sera implanté dans 10 métropoles chinoises.
Avec ses standards européens, sa gamme de 16 applications (conteneurs, vrac liquide, déchets, usage militaire…) et un gain de poids face aux camions locaux d’1,5 à 1,7t, Renault Trucks vise en 2 ans la conquête de 10% du marché, aujourd’hui de 3000 unités/an.
La joute fait rage, CNOOC (3ème pétrolier chinois) contre Chevron (5ème mondial) pour la main de la belle Unocal (n°9 US).
Dès que le Chinois jeune et sans complexe eut fait connaître ses intentions (21/06), s’invitant à la table de négociation familiale yankee, le rejet monta, bruit diffus d’abord, puis tumultueux. Cnooc offrait 18,5MM$, 500M de mieux que Chevron, mais en cash. Tout de suite, le Congrès unanime monta au créneau. Par le biais d’une résolution, il pria le Président Bush -le conseil d’administration d’Unocal dût-il retenir l’offre chinoise!- d’interdire la cession de cet actif stratégique, joyau d’or noir de l’Amérique.
Le Congrès récidiva par un argument technique, à usage de G.W. Bush : 13MM sur les 16MM$ des fonds bloqués pour la transaction proviendraient de l’Etat socialiste, et seraient cédés à Cnooc (filiale à 70% dudit Etat) à taux nul ou inférieur au marché: en infraction aux règles de l’OMC! Ces opinions du Congrès vont avec une campagne de presse hostile à la reprise chinoise, et en soutien de Chevron, en position délicate. Avec sa production déclinante depuis 2000, le groupe US a besoin d’Unocal pour regonfler ses réserves de 15%, et sa production de 0,5M barils/jour (à 3MM), haussant son chiffre d’affaires de 6% durant 5 ans.
Unocal -c’est de bonne guerre!- fait monter les enchères, décidant de reporter sa décision au 10 août.
Mis à part de vertueux couplets contre le repli protectionniste, le gouvernement Bush se tait, tandis que le Congrès réunit une nouvelle commission (13/6), afin d’observer avec vigilance extrême les implications de sécurité du deal pour les US.
Finalement, tout dépendra des actionnaires d’Unocal, et de G.W. Bush. Cnooc met toutes les chances de son côté en ouvrant aux USA un compte bloqué de 2,5MM$, pour dédommager les actionnaires en cas d’abandon de sa part. Cnooc apporte aussi d’autres garanties de bonne fin de la transaction visée, qu’il insiste contre toute vraisemblance à qualifier de «strictement commerciale » !
— Depuis 1988, Ping An, n°2 de l’assurance-vie et n°3 du non-vie, tissa depuis Shenzhen sa toile de 3000 agences, bureaux de douze emplois en moyenne, avec 36000 ronds de cuir qui traitaient les sinistres, et 250.000 rabatteurs fonctionnant à la commission pour les polices.
Le système fonctionna tant que se dressa le filet protectionniste: en 2002, Ping An, patron géant et paternel, engrangeait 7,5MM$ de primes, +33% ! Mais Sic transit gloria mundi.
Alors que l’étranger occupe depuis mars le devant du marché, il y a de la réforme en l’air ! Suivant la formule rôdée à l’Ouest, Ping An vient de centraliser ses arrière-boutiques en une base logistique de 170.000m2 à Pudong (pour 120M$ d’invest) pour traiter nationalement les dossiers acheminés par intranet (déclancher enquête, remboursement et réclamation) et la gestion de ses activités de courtage boursier. Il en attend 20% à 30% de coupe des coûts salariaux -sans compter l’économie sur les fraudes, plus faciles à détecter. 1/3 du personnel restera en agence, un autre tiers ira à Shanghai ou à la vente, le reste étant invité à se chercher un nouvel avenir, chèque en main!
— Consortium d’investissement du gouvernement du Guangdong,
GDH, le bras investisseur de la Province du Guangdong, fait une offre rarissime de rachat des parts d’une filiale en bourse de Hong Kong. Selon la règle pour toute EE, 28% des parts des tanneries de Canton avaient été cédées en bourse de HK. Mais le prix d’émission, 0,32HK$ la part avait chuté sous la morosité du HKSE, la bourse de Hong Kong, (-3,2% depuis janvier), et sous la méfiance envers les red chips, valeurs chinoises de tous les dangers. Le 28/6, dernier jour de cotation, elles s’échangeaient à 0,21HK$.
Or le 13/6, sensation: GDH, offre la reprise de toutes les parts, à 0,28HK$ (prix final!). Tarif bien en dessous de la valeur d’émission, mais permettant aux investisseurs de limiter les frais. La décision de l’entreprise d’Etat procède d’une logique très spéculative : à 0,21HK$ cette action nageait en dessous de sa valeur. Comme tout métier peaucier en Chine, les Tanneries de Canton vont bien, avec leurs exports massifs vers le monde.
Racheter à bas prix permettra de procéder à toute restructuration ou revente sans se soucier d’une assemblée d’actionnaires. Enfin, c’est un spectacle insolite, que cette grande entreprise d’Etat, de la plus capitaliste province, qui va à l’inverse du reste de la nation.
La Chine veut vendre ses entreprises d’Etat. Canton renationalise la sienne- et comme Candide de Voltaire, vit dans le meilleur de tous les mondes possibles!
● Pour l’Etat, l’argent illicite n’a rien de romantique.
Il alimente les caisses noires, des firmes ou des provinces, enrichit les réseaux de drogue et de prostitution, exacerbe la pression à la réévaluation, et surtout augmente toujours plus sa frondeuse masse, nourri par un meilleur rendement à l’étranger, net d’impôts.
Aussi le Conseil d’Etat, réalisant le risque, a monté en avril 2004 une police financière spécialisée, dont le 1er tableau de chasse vient de paraître. D’avril à décembre 2004, 274 hommes de paille suspectés de blanchiment d’argent ont été arrêtés, 155 fausses banques fermées et 1,5MM$ confisqués.
Sur toute l’année, les limiers éventèrent 50 affaires de blanchiment pourtant sur plus de 500M$, dont les honorables correspondants se trouvaient à Hong Kong, aux US, au Japon et à Taiwan.
Pas moins de 10.740 rapports ou dénonciations de poissons en eaux troubles s’amoncelèrent sur les tables des inspecteurs!
— Le jour de la lutte mondiale contre la drogue (26/06) a vu son lot de drogue brûlée en public (30t), de dealers exécutés (5 au Guizhou, 12 à Kunming…), et de chiffres inquiétants.
Officiellement 791.000 en 2004, le nombre de toxicomanes n’a augmenté que de 6,8%. Mais l’année connut en Chine une récolte-record de pavot (cultivé en 26 provinces).
En baisse de 28,5%, la consommation d’héroïne, fruit d’années de travail policier, génère quand même 3MM$ de chiffre d’affaires. L’Ice (méta-amphétamine) prend le relais, moins dur à produire, très en vogue dans les raves .Le chiffre réel des toxicomanes pourrait être 20M, dont 70% de moins de 35 ans. Ces jeunes n’ont jamais connu d’éducation préventive, et au Guangxi, plus de 50% des délits de rue leur reviennent. Le combat n’est donc pas gagné, même si la Chine renforce les moyens.
D’ici 2008, 12M$ serviront à doubler les places (aujourd’hui 140.000) en centres de désintoxication. Honnie 5 ans plus tôt, la méthadone sert de base à un ambitieux programme comme substitut de l’héroïne : les cliniques l’administrant, passeront de 12 en janvier 2005, à 1500 fin 2008, permettant le sevrage de 300.000 clients. Mais deux problèmes demeurent : la faiblesse des fonds engagés (l’absence de volonté publique!), et la priorité maintenue à la répression, coupant toute chance de coopération avec les malades.
— Ils sont 3M cet été, les néo diplômés universitaires à chercher du boulot. 20% de plus qu’en 2004, et d’ici 2010, +0,6M par an. La soif d’emplois est inextinguible.
L’an passé, 27% de ces jeunes cerveaux sont restés chômeurs, et forment 14% de la masse globale des sans emplois, contre 8% en 2000. De même, le marché du travail s’enraie. Il y a 20 ans, 1% de PIB générait 2M de jobs: aujourd’hui, avec la montée en intensité du travail et la sortie progressive des méthodes socialistes (cf article « Ping An »), il n’en requière plus que 0,8M.
La cause du problème est due à l’urgence des 5 dernières années à intégrer un max. de jeunes à l’université: doublant les postes d’étude, celle-ci a fait dans le volume, sans chercher à cibler les besoins du marché. La solution existe bien, mais elle impose aux jeunes de limer leurs ambitions : se vendre moins cher, troquer les villes de la côte pour des régions de l’intérieur moins glorieuses et amusantes, où tout reste à faire!
— L’attaque par des 100aines de nervis armés de couteaux, pistolets et manches de pioches contre les fermiers de Shengyou (Hebei, 11 /06) avait fait couler du sang (7morts), peu d’encre (censure oblige!), mais beaucoup de salive. Derrière ce banditisme, se cachait le groupe électricien, Guohua qui avait acquis un terrain moyennant des procédés douteux, et les cadres locaux soudoyés.
Mais vues les conséquences sur l’opinion et la multiplication soudaine des conflits sociaux, Hu Jintao en personne a décidé de sévir : les 248 bandits sont sous les verrous, les secrétaires du parti de Dingzhou et Kaiyuan (villes voisines) sont démis voire aux arrêts, comme Zhang et Zhen, contremaîtres sur le chantier que les paysans bloquaient. Les familles des victimes ont touché des primes, promesse a été faite de remboursement les frais médicaux. Les juristes découvrent des fautes légales au dossier d’expropriation. Bref, tout est fait pour rendre cette affaire un miroir de justice nouvelle, équitable au petit peuple (conforme à la morale de Hu et de Wen Jiabao). Mais toujours sous le choc, les paysans, n’y croient pas, et craignent pour leur avenir, une fois la page tournée. On les comprend!
— Interview Joseph Deiss, ministre helvétique de l’économie le 15/7/05 ‘
Q : L’Union Européenne et les US envoient cette semaine à Pékin 3 à 4 de leurs plus hauts cadres : pourquoi?
R : La preuve de l’appel de cette économie vertigineuse, où tous pays ont des intérêts à défendre. Or, tel dialogue ne porte pas fruit à court terme!
Ne craignez-vous pas de voir à l’avenir, la Suisse incapable de se faire entendre de la Chine, face aux géants tels l’US et l’Union Européenne?
En surface, nous sommes petits, mais je répète, surtout aux Suisses, que nous sommes une puissance économique moyenne, 8e investisseur mondial, dans les 20 1ers pays marchands. En Chine, nous alignons 700 firmes, 5MM$ d’échanges. Nous hébergeons sur notre sol 700 multinationales, avec 70.000 emplois, et nous attendons de pied ferme la Chine, comme investisseur !
Par rapport au Doha Round, quels sont les intérêts et attentes respectifs ?
En théorie, tout le monde à intérêt à ouvrir. La division internationale du travail est de l’intérêt de tous.
Mais la lutte se situe au niveau du partage des gains, qui se compteront en 100aines de MM$, voire bien plus. Le Tiers Monde pense que puisque le Tokyo Round et l’Uruguay Round furent en faveur des pays riches, il faut faire un Doha Round des produits agricoles, en faveur des pauvres prioritairement. Mais nous devons tous pouvoir vendre l’accord à nos opinions publiques. Les fermiers suisses n’apprécieront pas le démantèlement des frontières, sauf si je trouve une solution pour nos exportateurs industriels ou de services, en leur trouvant des marchés… de quoi financer notre politique agricole !
A votre avis, ce Doha Round va-t-il réussir, à Hong Kong, en décembre ?
Les solutions sur la table ne sont pas encore de nature à ce que chaque gouvernement puisse rentrer chez lui et se faire applaudir. Mais je crois que ça arrivera : au mini sommet de Dalian, on est rentré dans le concret, on peut commencer à discuter, on est sur le chemin !
Comme pour les Européens, et au même moment (pas par hasard!), pas moins de 4 Secrétaires d’Etat ou US Representatives viennent de passer à Pékin.
Pour sa 2de visite en trois mois, Condoleeza Rice (9-10/7) vint faire le point de relations figées depuis des lustres dans un statu quo immuable.
Parlant de Taiwan, Hu Jintao réclama la vigilance contre toute sécession. Sur le réarmement de l’APL (l’armée populaire de libération), Rice fit un numéro d’équilibriste, évoquant les «soucis des US», mais ajoutant que ce renforcement «ne constituait pas une menace».
L’objectif de sa mission était ailleurs: dans le maintien d’un rythme intensif des échanges (face au réchauffement sino-UE), et dans la réouverture de négociations avec la Corée du Nord, que la Chine a imposée -Rendez-vous fixé au 25/7. Tang Jiaxuan, Conseiller d’Etat partait le 12/7 pour Pyongyang en mission de bons offices. Mais rien n’indique que la Chine ait intérêt à une solution à cet antique conflit!
Les trois autres négociateurs yankee (deux commerciaux, un agricole) étaient là pour la commission mixte du commerce-US (11/07).
Les entretiens sur le conflit textile n’ont pas abouti -Pékin risque toujours une restriction de la hausse d’export, de 7,5% /an sur sept produits.
Par contre, d’autres accords ont été adoptés, et le climat général fut positif. La Chine a accepté d’abandonner une directive qui aurait réservé son marché public du logiciel aux firmes locales, et promis qu’avant décembre, tous ses bureaux utiliseraient des produits légaux.
Elle a aussi promis d’assurer la distribution libre des produits US en Chine, de publier une liste de tous ses subsides publics, et d’accélérer la certification d’une espèce de maïs OGM américain. Autant de gestes petits en soi, mais qui témoignent d’une volonté réciproque de compromis, de bonne augure à cinq mois du round OMC et du rendez-vous de Hong Kong !
Voilà un sondage qui vient à point pour mesurer l’effet de la croissance de la Chine sur son image mondiale, et montrer le chemin parcouru par le pays, dans l’esprit de l’étranger.
Aux USA, le Pew Research Center a lancé cette enquête auprès de 17.000 habitants de 16 pays. Son objectif est de comparer les deux pays dans les opinions nationales.
Résultat : pour 11 d’entre eux, la Chine émane une image positive, contre seulement 6 aux Etats-Unis, qui paient explicitement la guerre contre l’Irak.
A commencer, bien sûr, dans les pays musulmans comme Jordanie ou Pakistan, où une majorité apprécierait que la Chine contrebalance la puissance militaire des USA. Les Européens ne vont pas jusque là : la vieille alliance atlantique tient encore, et leur admiration pour la Chine est ombrée d’un souci sur son renforcement rapide industriel et de défense. La France et l’Espagne surtout, considèrent que l’émergence économique chinoise a fait du tort dans leur pays. A l’exception de la Turquie (qui garde sa fidélité islamique), aucun européen ne souhaite voir contestée la suprématie de l’US army.
Même le philo-américain Royaume-Uni aime plus la Chine (65%) que l’Amérique (55%). Chez le Français, ces scores atteignent respectivement 58% et 43%. Au passage, cette sinomania peut déraisonner, puisqu’au terme d’un autre sondage, il se trouve aux Pays-Bas un tiers de l’opinion pour croire que la Chine, d’ici 10 ans, pourrait concentrer plus de puissance que l’Europe et les Etats-Unis !
Seuls deux pays ont conservé une meilleure opinion à l’Amérique qu’à la Chine : la Pologne (à peine sortie du joug communiste) et surtout l’Inde (71% d’admirateurs du Nouveau Monde!).
Signalons enfin qu’avec une belle indifférence face à la tempête, l’Américain considère moins la nouvelle économie chinoise comme un rival (40%) que comme un partenaire (49%) : confirmant ainsi sa vision adulte et positive, des échanges mondiaux comme un match, et non comme un conflit !
Si 20 ans plus tôt, Pékin surveillait son autosuffisance céréalière (dogme alors non négociable),c’est aujourd’hui sur sa dépendance pétrolière envers le Proche-Orient qu’il s’inquiète – 60% de ses import en 2005.
Vu son arrivée tardive sur le marché des hydrocarbures, la Chine n’a d’autre choix qu’une stratégie opportuniste d’alliances exclusives avec les pays du Tiers Monde, mis au ban par l’Occident en raison de leurs viols des Droits de l’Homme : Pékin les désenclave, les développe, en échange de l’accès à leurs gisements.
En Afrique,du Soudan et de l’Angola, elle tire déjà 25% de ses imports. Mais le terrain de chasse d’avenir est le Cône sud, avec le Venezuela d’Hugo Chavez, en pleine bisbille avec les USA! En janvier, le vice-Président Zeng Qinghong lui offrit 700M$ de crédits de développement, en échange de 3Mt/an de brut et de gisements en fin de cycle. Fin juin, Caracas lui expédiait son 1er chargement : 73.500t, mais ce n’est qu’un début!
Visitant l’Amérique Latine (déc.2004), Hu Jintao lui promettait 100MM$ d’investissements avant fin 2010, dont une bonne part en prospection et en infrastructures pour évacuer l’ or noir vers la Chine. Pékin sait bien que la zone détient 13,5% des réserves mondiales, mais ne fait que 6% de la production, assurant ainsi un riche potentiel. Outre au Venezuela, la Chine prépare des projets de taille au Brésil (oléoduc de 2000 km/Sinopec, 1,3MM$), en Bolivie(développement d’un gisement par Shengli, 1,5MM$),en Equateur (CNPC, prospection), au Pérou (filiale CNPC,extraction), en Argentine (5MM$ de prospection)…
Ainsi, sans complexe et sans barguigner, la Chine s’insinue sur la base arrière des USA, profitant d’un retard de leurs investissements dans la région au cours des 20 dernières années. Grâce à cette audace et d’autres, elle peut commencer à remplir sa réserve stratégique, 1,6Mt fin à 2005 et 5,2Mt à terme. Mais elle n’est pas seule dans cette course au trésor : Japon, Inde et Corée sont aussi sur les rangs !
NB : la découverte du Cône Sud ne se limite pas au pétrole, mais touche aussi à toutes matières 1ères. Même culturellement, l’osmose se fait : tango et rumba, cachaça et rhum, assados brésiliens, poncho et boléro font désormais fureur dans l’Empire du Milieu!
— Un art chinois trop peu connu à l’étranger, consiste en l’imitation de tout bruit.
Mais l’histoire qui suit, prouve que le législateur n’avait jamais prévu que le citoyen aille exploiter ce don pour suivre la vieille consigne de Deng, d’«essayer tout pour s’enrichir»!
A 39 ans, Xiao Hanming savait bien qu’il ne ferait normalement jamais fortune, n’ayant fréquenté l’école que 20 jours en tout et pour tout. Mais quelle tentation, de voir ses copains insolemment prospérer en sa ville natale de Shantou (Guangdong), plus connue pour ses temples du vice ou ses fraudes fracassantes, que pour le fruit d’un labeur honnête… Xiao était doué, à tout le moins, d’un bagout intarissable, et d’un mimétisme vocal confondant. Il entreprit donc de gruger Guo, entrepreneur prospère. Il se fit passer pour un investisseur public chargé par Pékin d’investir à Canton.
Faisant miroiter des profits mirifiques, il l’engagea à investir dans ses affaires. Guo mordit à l’hameçon, et se mit à payer des montants absurdes. Des mois après, voyant tarder les bénéfices, il clama son inquiétude. Alors, ô merveille! il reçut coup sur coup dans les heures suivantes les appels personnels de 2 ultra célèbres leaders nationaux: charmé par de si belles voix (余音绕梁 yu yin rao liang, «l’écho mélodieux s’ enroule autour des poutres»), le gogo retrouva sa vanité, poussa du jabot et reprit ses paiements insensés.
Résultat: le 5 juin au tribunal de Canton, le facétieux imitateur comparaissait pour escroquerie d’1,4M²! Reste à savoir si la justice appréciera la plaisanterie. La peine capitale s’attrape pour moins que cela en ce pays. Quant au financier plumé, il arrose solidement la presse pour qu’elle taise son nom : apparaître naïf, d’accord. Mais idiot, jamais !
— La passion de Chu Yibing – le retour chez soi !
Très en vogue en Chine,Chu Yibing, violoncelliste, a fait la démarche rarissime pour un artiste, de retourner d’Europe vivre au pays. Sur ses 39 ans, il en a passé la moitié entre Paris (au Conservatoire) et Bâle, où il tint, à 23 ans, le violoncelle solo de l’orchestre symphonique.
Retour qui va d’autant moins de soi, que Chu était à 25% européen—sa grand-mère zurichoise avait fait en Chine un mariage d’amour. Il fut détecté dès 13 ans par le maître Pierre Fournier qui l’invita en Suisse. Il ne put s’y rendre qu’à 17, son bac en poche, selon l’exigence du père. Après ses études (y compris, à 30 ans, une maîtrise de direction d’orchestre), il vécut la vie aisée d’un concertiste international, notamment au sein de l’orchestre de Toulouse (invité de Michel Plasson), ou du sextette philharmonique de Cologne, avec lequel il fit des 100aines de concerts dans le monde.
C’est à 38 ans qu’intervient le tournant -après une longue maladie sans doute somatique. Il sent le devoir d’obéir à la volonté tacite du père, et de retourner au pays -au prix d’un lourd sacrifice financier. A Pékin, il accepte en 2004 une modeste chaire d’enseignant au conservatoire. Depuis, il se consacre à la formation 10 jeunes « fous de lui et de musique».
Pour Chu Yibing, la Chine trop matérialiste a besoin d’idéal. Et cette jeunesse est plus belle que le décor légué par leurs parents, en refusant de se contenter de la puissance ou de la richesse, mais exigeant le retour des valeurs du coeur.
C’est ainsi que depuis, Chu Yibing se dit « amoureux de son métier» (de mentor de ses étudiants), plus que de la musique » : un paradoxe qu’il cultive avec passion et qui désormais, fait sa vie !
NB : Chu Yibing recherche des sponsors, pour amener ses 10 élèves, en concert devant l’Unesco, à Paris, en décembre 2005.