Le Vent de la Chine Numéro 20

du 19 au 25 juin 2005

Editorial : UNION EUROPEENNE – CHINE: BIEN PLUS QU’UN ACCORD TEXTILE!

L’accord entre le Commissaire européen Peter Mandelson et le ministre Bo Xilai (11/6, Shanghai) est dare-dare exécuté : sous 24 heures, le Ministre chinois du commerce  rédigeait des «lignes directrices» pour imposer la limitation des exports textiles vers l’Europe.

L’accord a été trouvé, d’abord, car il était stratégique pour les deux parties !

Pékin devait désolidariser les US de l’Union Europénne et fragmenter le front des opposants à sa lame de fond d’exports textiles. Pour le retrait de l’Union Européenne, la Chine a dû payer «cash» : l’accord concerne 10 produits, et non plus 2 comme l’envisageait Bruxelles, 3 ans (jusqu’ en décembre 2007) et non l’année en cours, et une hausse des export bridée à 8% voire 12,5%/an, au lieu des (inoffensifs) 3% maximum de taxes à l’ export initialement offerts.

Bruxelles devait couper court aux fièvres protectionnistes des pays méditerranéens. Les conditions étaient mures, après le désastre référendaire en France : encore fallait-il obtenir des résultats, pour que suive l’aval du Conseil des 25. C’est le cas : suite à ses concessions à l’Europe et aux quotas américains, Pékin s’attend, en 2005, à un export textile écorné à 100MM$, face aux 95MM$ réalisés en 2004 !

Mais en échange, la Chine obtient beaucoup de l’Union Européenne.

A commencer par :

[1] l’ouverture prochaine de palabres pour l’octroi du statut d’économie de marché, qui fermera la porte aux sanctions unilatérales : avec un tel statut, en cas de dumping, l’Union devra laisser à l’OMC le soin de résoudre le conflit.

[2] Pékin dispose aussi d’un modèle de concessions négociées et auto-imposées, applicable  aux US (négociations textiles préliminaires le 16/6), et

[3] au nouveau conflit avec l’Union Européenne sur les chaussures (+681% d’export de janvier à avril, action européenne le 16/6 sur les chaussures de sécurité).

Surtout, Bruxelles et Pékin peuvent intensifier leurs visites, négocier de nouveaux courants d’échanges : libéraliser les services (finances, protection de l’environnement, aviation), renforcer les échanges agricoles, la coopération monétaire, celle contre le piratage

Tout ceci relance les chances de réussite du prochain round de l’OMC, détournant la Chine de la voie trop exclusivement marchande des accords de libre échange pour revaloriser la notion de communautés économiques régionales. Et tout ceci permet à Bruxelles de rattraper, face à la Chine, l’avance prise par les Etats-Unis, pour le véritable enjeu des vingt prochaines années, celui de l’intégration économique des continents!

 

 


A la loupe : Hong Kong, Tsang, le bureaucrate aux manettes!

Il l’a fait! Le «patron des balayeurs» d’hier, l’ex-directeur de l’administration hongkongaise vient de réunir (15/6) les 100 voix au collège électoral, nécessaires pour devenir le nouveau maître du Rocher -jusqu’ en 2007.

A 60 ans, Donald Tsang succède à Tung Chee-Hwa. Pour les 6,6M de citoyens, mais aussi pour Pékin, c’est une affaire, voire le seul choix possible !

Avant lui, en  imposant Tung, Pékin n’avait pas eu la main heureuse. Le milliardaire maladroit s’était fait haïr par son allégeance au régime (lors de sa tentative ratée pour brider les libertés civiques). Une série noire de crises (monétaire en 1998, SRAS en 2003) avait brisé la croissance.

Les cadeaux de la Chine à sa nouvelle Région administrative spéciale (RAS) – l’accord douanier CEPA (Closer Economic Partnership Arrangement) –  n’avaient pas suffi : au milieu du gué de son 2d mandat, Tung avait remis sa démission, pour «raison de santé»!

Enfant de la ville (fils de policier, catholique pratiquant), Tsang gravit à la valeur les rangs de la fonction publique. Dès 1995, il était le 1er grand argentier non-expat. Lors des crises, il brilla : là où Tung recevait le choc des critiques comme chef politique, Tsang prenait des mesures discrètes mais efficaces pour faire face, et se rendait indispensable. En ’98, il protégeait le HK$ des attaques spéculatives, achetant massivement des valeurs locales pour les écouler en fonds de placement des années plus tard. Ceci lui valut le respect de la finance, de Stanley Ho (casinos de Macao) à Li Kashing, l’homme le plus riche d’Asie.

En 2003 encore, Tsang gagna en crédibilité en maniant une langue transparente face à l’épidémie du SRAS. Pékin aurait peut-être désiré un homme moins proche de l’église, et plus du socialisme. Mais ce cadre compétent et non-aligné peut lui apparaître comme l’homme de la dernière chance pour la réconcilier avec HK, et faire face à la demande locale incompressible et en souffrance, d’une démocratie électorale!

 

 


Joint-venture : China Aviation Oil se raccroche aux branches

— Avec 528M$ encaissés de janvier à avril 2005, l’automobile a perdu 74% de ses profits d’un an avant.

Dénoncée par FAW (First Auto Works), n°1 national, la cause en est la chute des ventes, le resserrement du crédit et la hausse des prix de l’acier et du caoutchouc.

Mais les experts annoncent la reprise : à l’érosion de 7,7% des ventes au 1er trimestre, a succédé une hausse de 22,4% en avril, tandis que l’export s’échauffe. Aussi General Motors poursuit-il le cap d’investissement de 3MM$ d’ici 2008, ouvrant fin mai à Shanghai une chaîne de 170.000 voitures/an (250M$ d’ invest), construisant dans le sud-ouest une usine de moteurs à 387M$, et négociant le rachat d’un petit producteur à Qingdao (Shandong). En 2005, General Motors produira 0,5M de voitures, 1,3M en 2007, faisant bondir ses 9,3% de parts de marché actuelles! 

NB : les autres constructeurs suivent. Aujourd’hui estimée à 30%, la surproduction va s’aggraver, atteignant 2M d’invendus dès fin 2005!

— A Singapour, China Aviation Oil (CAO), une des plus grandes Entreprise d’Etat (EE) expatriées survit au krach de l’an passé.

En novembre 2004, ses actionnaires découvraient que Chen Jiulin, patron de la CAO avait parié sur le pétrole à la baisse, et perdu 555M$. Des mois de tractations ont abouti à un rare sauvetage.

La maison mère, en 5 ans, apportera 130M$ de cash à sa filiale, qui remboursera jusqu’à 56,6% de leurs créances aux ayants droit. Les trois quarts d’entre eux ont donné leur aval (9/6), avalisant ainsi le plan.

Pour Li Rongrong, ministre de la SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission)tutelle des grandes entreprises d’Etat (GEE), la leçon de l’affaire tient à l’urgence de doter ces duchés socialistes de contrôles centraux, d’audit interne et de système de gestion du risque.

 

 

 

 


A la loupe : Dans la toile, nouveaux trous et rustines!

«Censurer l’internet», disait Bill Gates il y a 10 ans, « impossible -sauf à mettre un gendarme derrière chaque PC ». Pékin a relevé le défi, créant la plus puissante censure au monde avec 30.000 hommes derrière les meilleurs systèmes informatiques, importés à coups de 100aines de M$.

Aujourd’hui, cet effort lui permet de lancer 3 offensives nouvelles :

[1] D’ici le 30/6, tous sites et blogs (pages personnelles en ligne, mini forum) de Chine doivent s’enregistrer sous peine d’amende de 120.000$. 74% des sites auraient déjà obtempéré. A l’aide d’un outil rampant performant, le pouvoir se fait fort de détecter les 700.000 blogs de l’ombre.

Ce ne sont pas des paroles en l’air : dès 2002, déjà 19.000, voire 50.000 sites étaient bloqués par ses firewalls, et au moins 58 internautes sont en prison pour avoir posté leurs essais (voire, leurs chansons) on line!

La censure ne vise pas que le délit politique : sont aussi visés les publicitaires et annonceurs sans licence, et les sites/blogs prêchant violence, superstition ou sexe—comme cette Mu Zimei, qui narra avec force détails ses exploits de lit, dynamitant quelques jours durant l’audimat national. Avec 100M de surfeurs sur la toile attendus cette année, le pouvoir prend au sérieux sa charge d’âmes…

[2] Dans cette croisade conservatrice, il reçoit une aide inattendue, telle celle de Microsoft, qui bloque sur son MSN, au nom des lois en vigueur, un certain nombre de mots clés imposés par Pékin, tels «liberté», «socialisme» ou «falungong».

[3] Le dernier surgeon de la censure est révélateur : dans les provinces et villes, la propagande recrute en interne des commentateurs internet à mi-temps, supposés se mêler sous pseudo aux conversations dans les forums/blogs pour y faire régner l’ordre, ou intimider.

Vingt commentateurs fonctionnent depuis avril à Siqian (Jiangsu), vingt autres arrivent à Nankin. Mais la pratique apparaît finalement innocente, et aveu de faiblesse, pense Liu Di, ‘la souris d’acier‘, dissidente internet qui fut embastillée en 2003 : «s’ils en sont à tenter d’influencer le débat internet en engu…ant les surfeurs, c’est que plus rien ne marche… Et c’est bien la preuve que l’internet reste aujourd’hui le media le plus libre!»

 

 


Argent : Shenhua, sur la pointe des pieds

— N°1 du charbon chinois (qui assure 66% de l’électricité dans l’Empire du milieu), Shenhua aurait pu faire à la Bourse de Hong Kong (HKSE), le 15/6, une entrée triomphale.

Il la fait sur la pointe des pieds. La menace de sanctions américaines et européenne contre l’export chinois a inquiété, comme le prix trop élevé des parts, dans une bourse déprimée (érosion de valeur de 2,3% depuis janvier).

Mais surtout, c’est le bilan énergétique chinois qui incite à la prudence: 10 ans d’investissements importants dans la houille chinoise font que l’offre et demande pourraient s’équilibrer en 2006. La courbe à la hausse deviendrait étale, avant de rechuter en 2007…  Aussi le n°4 mondial de la houille n’a su vendre que 3MM de parts (17% de son capital) et obtenir 2,95 MM$, ratant le record de cotation hors-Chine (à l’assureur China Life 3,5MM$).

Double bonne affaire pour Anglo-US, qui a pu acquérir pour 150M$ de parts à bas prix, et surtout qui va désormais s’imposer auprès de Shenhua comme partenaire incontournable à l’avenir!

— 2008, l’année des Jeux Olympiques, marquera aussi le lancement de la 1ère ligne de train rapide, à 200km/h entre Shijiazhuang (Hebei) et Taiyuan (Shanxi).

Avec neuf autres qui la suivront, la liaison fut choisie (par l’équipe de Wen Jiabao, reportant à plus tard «TGV Pékin Shanghai pour les JO», qu’avait voulu Jiang Zemin) pour sa forte densité d’usagers -15M/an.

Avec 60% de parcours montagneux, elle a sa part d’exploit technologique, exigeant 94 ponts, 32 tunnels, dont le plus long de Chine, 28km. Coût total: 1,5MM$!

Avantage annexe  de cette liaison à fort participation étrangère : délester l’axe actuel, artère jugulaire du charbon vers la côte. Dans un 2d temps, cette ligne et les neuf autres passeront à 350km/h.

D’ici 2020, ce sont 120.000km de lignes voyageurs qui seront construites, révolutionnant l’histoire du chemin de fer en Chine.       

 

 


Pol : ONU, cinq manières de ne pas y toucher

— A trois mois du sommet mondial marquant son 60. anniversaire, la réforme de l’ONU (l’organisation des Nations Unies) tente de décoller.

Quatre pays (Japon, Allemagne, Brésil, Inde) sont candidats à l’élargissement du corps permanent du Conseil de Sécurité : en cas d’acceptation, ils se disent prêts (9/6) à renoncer pour 15 ans au droit de veto lié à la fonction!

La raison tient au peu d’enthousiasme des cinq membres permanents à affaiblir leur pouvoir – France mise à part. Dans ce concert de freins mous, Pékin n’est pas le dernier, poussé par son inimitié  avec Tokyo, et fait feu de cinq bois pour obtenir indirectement l’ajournement de la réforme, en s’économisant un veto dont il porterait  le blâme:

[1] il réclame une réforme non par les 15 membres du Conseil mais  les 191 de l’Assemblée plénière : avec l’obligation de majorité des deux tiers, c’est le plus court chemin vers les calendes grecques.

[2] il est en faveur de l’Inde, à condition qu’elle se présente sans le Japon;

[3] il défend les outsiders (Italie, Pakistan, Mexique) et

[4] leur propre réforme sans sièges permanents supplémentaires,

[5] elle avertit le monde arabe de ne pas soutenir la réforme, «qui détournerait  le monde de ses intérêts». Pékin s’apprête à démontrer sa capacité à barrer la voie à Tokyo, malgré le soutien des USA!

— A Shengyou (Hebei) le 11/6, 300 bandits attaquèrent des paysans à l’arme à feu et la barre de fer, pour saisir 26ha pour le compte de Guohua, compagnie d’électricité!

Mais cette fois, les paysans s’étaient préparés, filmant avec une camera vidéo, prenant un des nervis en otage, et finalement repoussant l’agresseur malgré 7 morts et 46 blessés. Puis un journaliste américain reçut et publia des images, illustrées de la confession du gangster, payé 100¥ et mis dans un bus avec 300 autres pour “aller donner une leçon” aux paysans.

Résultat : le 14/6, le secrétaire du Parti visita les familles frappées, leur offrant 50.000¥ de prime.

Plus près de Pékin (16/6), des 100aines de paysans dénonçaient la confiscation de leurs champs destinés à accueillir un complexe aquatique des Jeux Olympiques, et ailleurs en banlieue, Suojiacun, village d’artistes devait être évacué de force.

Ce genre d’incident est quotidien—la revue officielle Outlook en dénombre 58.000 en 2003. Mais la réaction de Shengyou, comme celle du cadre local, sont nouvelles, traduisant un tournant, induit par la mutation technologique!

— Jusqu’en mars 2005, l’Union Européenne était convenue de lever l’embargo de 1989 sur les ventes d’armes à la Chine.

Le 13/6 à Luxembourg, c’est la volte-face : l’interdiction demeure, et sine die.  Une 1ère raison fut, au printemps, l’intense pression des US sur l’Europe scandinave et de l’Est -ingérence encore vivement dénoncée le 16/6 par la Chine comme «déraisonnable». Une autre fut la chute de tonus de Paris dans l’enceinte communautaire, suite au referendum du 29/5. Dans ces conditions, force est d’admettre rétrospectivement, que le vote d’une loi anti-sécession de Taiwan par l’Assemblée Nationale Populaire en mars, ne fut qu’un facteur marginal.

NB : alors que l’Union Européenne n’apparaît plus dans l’immédiat comme source d’armement chinois, Washington, qui s’apprête à publier un rapport dénonçant le « réarmement chinois », fronce les yeux face à Israël, et lui impose des sanctions non spécifiées, pour livraison de drones (avions sans pilotes) à l’Armée Populaire.

 

 


Temps fort : Convalescence des banques: les banques d’Etat d’abord, le privé ensuite

La China Banking Regulatory Commission (CBRC) a tranché : pas de Banque de l’Emploi à Chongqing.

A 120M$ de capital, elle eût été la 1ère banque entièrement privée en Chine. La CBRC reproche un flou sur le rôle des 16 actionnaires (elle craint les détournements), et l’absence de partenaire étranger.

Mais justement, elle veut que les quatre grandes banques publiques nouent leurs alliances et puisent au capital boursier mondial, avant que n’existent ces banques dont la concurrence serait dévastatrice, sans dettes, et non liées au Parti !

Pour l’heure, c’est la Banque de la Communication (BoCom) qui va tenir cette image, en bourse de Hong Kong au 23/6, pour 1,9 MM$ recherchés. Les 1ères réactions sont bonnes. Le public mise sur les 19,9% de parts aux mains d’HSBC (le géant bancaire HongKongo-anglais), parrain dont il attend une gestion rigoureuse, et les seulement 25,5% de parts de l’Etat. Les 25% de créances douteuses de BoCom, ne semblent pas être un handicap!

NB : les 1,9MM$ recherchés, sont l’exact égal du cadeau d’impôts fait en 2004 à la banque de la construction (CCB), et 65% des 3MM$ offerts par l’américaine BoA à la même CCB (2,5MM$ de suite, 0,5 lors de l’entrée en bourse) : clairement, chez CCB, la recapitalisation s’accélère, avant l’entrée en bourse!

Enfin, la Banque populaire de Chine (BPdC) et Experian, n°3 mondial (britannique) de la référence-crédit préparent un Bureau National du crédit.

Experian soutiendra la mise en place de la base de données et renforcera la gestion du crédit, dont le coût pourrait chuter de 80%, une fois sous contrôle informatique, supprimant ainsi l’essentiel des mauvaises dettes. Révolution technique d’une faisabilité non démontrée, car elle présuppose une rupture politique, et la docilité des cadres (patrons, banquiers) qui perdront leurs privilèges… Mais une telle séparation électronique du Parti et de la finance est-elle possible, ou utopique ?

 


Petit Peuple : Beichan,les vierges touchent la prime

En Chine rurale, en cas de répartition des terres, ceux qui ont le pouvoir, ont tendance invariable à se servir d’abord -c’est à dire les hommes!

C’est ce qui advint à Beichan (Chongqing). Un champ communal s’étant vendu en avril, la mairie dut répartir l’argent entre ses 286 âmes : vaste et houleux débat, surtout au chapitre des filles parties en ville!

Le maire décréta que pour toucher la prime, les 5 demoiselles concernées devraient souffrir la visite des dames du village:ce n’est qu’après vérification de leur chasteté qu’elles toucheraient les milliers de ¥uan en jeu, et même l’argent du billet de bus. Pour décourager les filles légères, le résultat serait même clamé sur la place publique!

Finalement par un article à sensation, le Soir de Chongqing mit le hameau dans l’embarras et le força à réviser sa copie anachronique. Mais connaissant trop bien le fond du problème, il ne jeta pas la pierre à Beichan. Pour la campagne, conserver ses filles à marier, est question de vie ou de mort. Quand l’exode rural laisse le village à l’agonie (feng zhong can zhu, 风中残烛,«ses chandelles sous le vent menacent de s’éteindre»), parler de démocratie est sans objet !