Le quart de siècle de route du socialisme chinois vers l’économie de marché offre une insolite analogie avec le Petit Poucet: tel le héros du conte de Perrault, le régime «arraché à sa chaumière» par la misère, sème des cailloux sur son chemin, afin de pouvoir faire demi-tour, si nécessaire!
Depuis son vote en 1982, la Constitution de Deng Xiaoping a semé 3 «cailloux», séries d’amendements destinés à réconcilier le « socialisme aux couleurs de la Chine » avec l’initiative privée, sans remettre en cause le système.
Celle de ’88 sanctifiait la propriété personnelle.
Celle de 1993 légalisait l’«économie socialiste de marché».
Celle de 1999 octroyait au privé un statut «important» – mais non égal au public.
L’étape suivante se joue en cette session 2004 du Parlement, qui inscrira à la Constitution l’inviolabilité de la propriété légalement acquise.
Banale ou décevante pour la plupart, la mesure passera dans l’histoire comme le point de non-retour : le PCC s’interdit tout recours au bras armé du prolétariat pour reprendre les grandes fortunes. Les 2 types de propriété sont à pied d’égalité. Pour les petits propriétaires urbains, le signal vient trop tard : la vague immobilière a fait ses ravages, les expropriant à bas prix des meilleurs sols. Peut-être cette réforme sera-t-elle plus bénéfique aux paysans, complétée par une loi foncière, en cours d’adoption?
Au plan pratique, 2 suites peuvent être attendues :
[1] Assurées de la solidité des patrimoines privés, les banques devraient relaxer leur attribution de prêts individuels, et la distinction entre firmes privées et d’Etat devrait s’estomper.
[2] Chez les particuliers, cette couverture constitutionnelle pourrait jouer l’effet d’une invitation à entreprendre, bienvenue alors que la Chine cherche un second souffle à sa révolution industrielle en cours.
Ces bonnes résolutions doivent être tempérées par le poids du passé. Selon Yue Jie, auteur dissident, «une constitution sans protection contre ses violateurs, n’est qu’un chiffon de papier ». Sanctifier la propriété protège les intérêts de la nomenklatura, sans brider ses pouvoirs. Depuis 2003, tout débat sur ces thèmes est étouffé. Dès les 1ers jours du mandat de Hu Jintao, la constitution fut décrétée «un bon document de travail…n’exigeant pas de révision ». Aucun partage du pouvoir n’apparaît à l’horizon, malgré le poids toujours plus lourd d’une mince classe dirigeante, et toutes les crises (écologique, d’écart de richesses, etc.) découlant du blocage…
N’empêche que comparé à 1982, la direction du Parti a opéré (entre les 4 séries d’amendements) un virage à 180°. Tournant lent et âpre à la fois (suivant la durée considérée), qui suggère un programme à long terme – une discrète promesse de construction d’une démocratie. La direction ne peut pas aller plus vite, sans s’aliéner ses gauchistes, voire les influents barons, craignant pour leurs privilèges. Dans ces conditions, tout ce qu’un réformateur peut faire, est de créer les conditions d’un changement futur, par l’instauration d’une prospérité et éducation larges, sans le dire!■
Sommaire N° 9