Le pont des soupirs en Chine, est celui de Nankin (Jiangsu) : 100 m + bas, les tourbillons glauques-moka du Yangtzé sont le trou noir des suicidaires, et ne font pas de quartier : depuis 1968, il a conduit à la mort plus de 1000 candidats. Un an avant, Chen Si avait ouï l’histoire du desperado sur un pylône de publicité, que la foule excitait à passer à l’acte, avide du spectacle du 狗急跳墙 gou ji tiao qiang, “chien acculé qui saute le mur”! Choqué, Chen réagit: depuis, il passe ses WE sur le pont, avec lunettes noires et casquette de base-ball (contre le soleil), et un thermos de thé (contre le vent). A leur air absent et à leur lumière noire, il repère les désespérés.
A grands pas, il les aborde, ceinture, entraîne ailleurs. A cette joute, cinq êtres plus forts ou plus agiles lui ont échappé, se sauvant la mort. Mais il en a sauvé 46 autres, et indirectement bien plus, depuis son bureau à l’agence de pub dont il est le patron : de bouche à oreille, son n° de téléphone est devenu “ligne rouge” anti-suicide. A travers le pays, son action fait des vagues. Certains par SMS, le traitent de don Quichotte. Mais la plupart l’encouragent : il a déjà son site internet, et 300 volontaires.
Ainsi naît un club d’un genre nouveau, mutant, entre Chen et ses rescapés : arpentant le pont en quête d’autres âmes en peine, ils portent une cuirasse trempée au feu de la lutte pour la vie et sur la poitrine, leur logo gravé au laser : “plus forts que la mort”!
Sommaire N° 31