Le magasin de l’Amitié est mort la semaine passée à Pékin. Depuis plus de deux semaines, le grand magasin socialiste de 4 étages était fermé « pour rénovation ». Et puis soudain, la moitié des 800 employés, les femmes de plus de 36 ans et les hommes de plus de 45 (tous ayant plus de 10 ans d’ancienneté) reçurent leur lettre de licenciement. Les plus âgés ont droit à la retraite anticipée. Les autres se voient promettre 500Y /mois de chômage, et trois offres de réemploi au sein du réseau des propriétaires, grandes entreprises publiques comprenant le groupe Xiyou et le grand magasin de Xidan. Parmi ceux-ci, 200 ont osé manifester le 1/07, chantant des hymnes socialistes – 3 journalistes étrangers se sont fait « arrêter », comme dans le bon vieux temps !
Et pourtant, cette fermeture était logique et inéluctable. Le « youyi » 友谊 avait été créé 40 ans plus tôt à l’image soviétique, afin de distribuer à une élite étrangère ou des apparatchik, des petits volumes de biens rares et chers. Jusqu’à l’aube des années ’90, c’était le seul endroit en ville où trouver beurre, caviar, mais aussi poisson, fruits et légumes. On réglait ses emplettes dans une monnaie spéciale pour étrangers, qui alimentait un très vif marché noir et n’avait cours nulle part ailleurs, le « FEC ». Le magasin était militairement gardé, moins pour protéger la sécurité des acheteurs, que pour interdire l’accès à ces produits de luxe, hormis aux ayants droit. La vocation du lieu était donc politique, plus qu’économique – d’où son nom. Ce qui explique la consternation du personnel, depuis toujours coopté pour sa loyauté envers le socialisme.
Le magasin avait été rattrapé par une concurrence toujours plus âpre, rognant jour après jour sur son originalité, et vendant moins cher que lui. Il survivait depuis des ans par le marché captif de bus d’étrangers venant acheter des colifichets. En 2002, son profit était de 4% – en comptant l’hébergement de surfaces à des fast food comme Pizza Hut. Le SRAS vint achever l’Amitié, épongeant 80% des ventes durant 2 mois.
Les propriétaires annoncèrent d’abord la fermeture pure et simple puis, après la manif, un sursis de quelques mois pour le rez-de-chaussée. Mais le personnel voit déjà l’édifice rasé et reconstruit dans du béton plus rentable : le site est « idéal », central et sur deux lignes de métro.
C’est ainsi que le même jour voit le 82. anniversaire du PCC, la fermeture de l’Amitié et, dans les rues, les pub pour des films yankee tels « le Seigneur des anneaux » ou « Matrix2 » : signe aveuglant de changement de boussole vers un « Nord » toujours plus américain!
Sommaire N° 24