Le Vent de la Chine Numéro 17
SARS / SRAS : le « comité de salut public » !
La lente retraite du SRAS se poursuit. Le 16/5 dans Pékin, le SRAS frappa 28 cas, contre 150 par jour fin avril. L’embellie soulage, suite aux dures semaines ayant forcé des M de gens à l’isolement, et 26.000 en 40aine : petit à petit, vieillards et enfants ressortent, prennent le frais du soir, sans masques, voire, le masque pendant à une oreille.
Cependant, Henk Bedekam, chef de la mission OMS avertit « à 40-50 cas par jour, Pékin n’a pas gagné la guerre ». Au contraire, l’OMS, sur la base de données non rendues publiques, s’attend à une nouvelle poussée du virus « cette semaine ».
Ces données seraient au nombre de trois.
[1] Les chiffres de la Chine sont faux, parce que les cadres retouchent leurs bilans pour éviter les sanctions. Pékin tourne autour de 10% de guérisons officielles. Mais le SRAS ne tue que 4 à 10% de ses victimes – l’écart trahit les cas cachés à la source.
[2] Les chiffres sont mal collectés. Jusqu’au 20/4, quand Hu Jintao brisa 5 mois d’inaction pour dénoncer le mal et imposer son Comité de salut public dirigé par Mme Wu Yi, la Chine ne pratiquait pas de statistiques de santé. Il a fallu créer des fichiers en plein orage, malgré les cadres non formés, les hôpitaux débordés et les infirmières en pleurs – ou en fuite.
Dans le résultat, il n’y a pas eu de miracle : à ce stade, 50% des cas nouveaux restent non « tracés »: selon les normes, pour contrôler une épidémie, la contagion erratique ne devrait pas dépasser 20%.
[3] Pékin a fait le choix de ne pas s’enfermer dans ses murs : 2,3 M de migrants sont retournés dans leurs provinces ou banlieues.
Cachés dans le vaste pays, des foyers couvent, et pourraient ré exploser.
Le gouvernement est conscient du risque. Le 13/5, Pékin a débloqué 90M² pour équiper les campagnes en matériel médical, afin de leur donner une chance de résister à la lame de fond. Le même jour, Hu adjura ses concitoyens (13/5) de ne pas baisser leur garde. Le 14, par décret, Wen Jiabao le 1er min. a menacé de limogeage tout cadre qui omettrait de rapporter «sous 2h» « ses » cas de SRAS, voire de prison, si son silence est cause de nouvelles contagions. Pour un hôpital, sa licence sera révoquée.
Enfin le 15, le Président de la Cour Suprême, en une interprétation extrême de la loi de lutte des contagions, menaçait de prison voire d’exécution quiconque fuit une 40aine et met la vie d’autrui en danger de SARS : on ne joue plus ! Tous ces moyens sont là pour donner l’image d’un régime soudain en mutation (plus que le virus!), prêt à toutes les adaptations pour sauver la base de sa stabilité : ses IDE, qui ont baissé au mois d’avril (4,7MM$, +37%), ses exports (35,6MM$, +33%), sa croissance (+8,9%) : sa capacité à demeurer « l’usine du monde » au XXI. siècle!
Le Bureau de gestion des désastres sera d’ici 2 à 3 mois la nouvelle émanation du Conseil d’Etat, regroupant plusieurs ministères et commissions. Issu de la crise du SRAS, cette structure a été conçue en quelques semaines par l’Institut national d’administration, sur le modèle de la US Federal Emergency Management Administration. Elle sera dotée de vastes pouvoirs, pour répondre à toute épidémie, tout empoisonnement massif (comme celui ayant frappé en mars 3000 lycéens du Liaoning) et autre menace à la santé. Il imposera aux provinces de réserver des fonds d’urgence, dont il aura la charge, recentralisant des aides jusqu’alors atomisées entre donneurs s’ignorant mutuellement. Il pourra aussi sévir contre les cadres tentant d’étouffer une catastrophe (comme dans l’affaire du Liaoning).
Il rédigera aussi les plans de catastrophe, et mettra sur pied des réponses à différents scénarios.
Le 12/5, en un éclair (16 jours), le Conseil d’Etat (Wen Jiabao) a sorti une série de règlements (54 articles) afin d’encadrer la gestion de ces risques publics : ils serviront de cadre à la nouvelle administration.
Ainsi la Chine se dote d’un outil spécialisé dans la lutte anti-catastrophe, apanage jusqu’alors des pays riches. Mais avec deux limites :
]Si le désastre intervient sous domaine militaire (source de 8% des cas de SRAS), sa compétence disparaîtra probablement.
]Et selon le prof. Zhang Shuguang (Pékin, Institut d’Economie), «dans tout système de réponse rapide aux catastrophes, un élément est crucial-la liberté de l’information» – elle manque encore !
— En sept. 2002, Newbridge, compagnie d’investissement californienne, frappait un coup de cymbale au Landernau bancaire étranger en Chine, en annonçant la prise de contrôle de 17,9% de la Shenzhen Development Bank, dont il devenait le 1er actionnaire (les 3/4 de ses parts étant atomisées entre un actionnariat de petits porteurs). Cet accord était unique, car il contournait un règlement plafonnant à 15% toute participation étrangère à une banque locale, destiné à empêcher toute prise de contrôle par l’étranger. Ce qui ne l’avait empêché d’être sanctifié par le Conseil d’Etat, la CSRC et la BPdC. Il ne restait qu’à fixer le prix du rachat—en février, Newbridge suggérait même un deal déjà convenu –environ 120M$– avec les 4 Cies financières municipales détentrices de 18,2%. Mais depuis le 12/5, rien ne va plus: la Shenzhen Development Bank annonce la rupture unilatérale de l’accord, et Newbridge insiste que l’accord signé est contraignant.
Que s’est-il passé? Secret d’affaire. Les analystes spéculent sur un blocage par la nouvelle tutelle CBRC. Si tel est le cas, la décision chinoise serait définitive. Privé de son accès au capital (20MM$) et aux 198 succursales de SDB, Newbridge n’aurait plus que ses yeux pour pleurer, ramenée au même starting block que ses concurrents, devant attendre 4 ans pour vendre du RMB sans entraves, et limiter dans l’intervalle ses ouvertures d’agences à une par an!
Comment rebondir quand on est dans la bière, soudain déconseillée par l’Etat et la médecine (comme tout alcool) aux temps du SRAS? N°2 chinois (13% du marché), Tsingtao voyait son chiffre mousser d’un maigre +11% au 1er trim. -il en espérait 40% pour 2003, renforcé par l’apport d’Anheuser-Busch, le n°1 mondial (US), qui venait de consolider à 27% son contrôle du groupe. En avril, ses ventes fondirent même de 15% : normal, 30% d’entre elles ayant lieu en bars et restaurants, aux trois quarts fermés.
Il fallait faire quelque chose : son état-major eut l’idée saugrenue de brasser une bière au 板 兰 根 banlangen, remède traditionnel très en vogue jusqu’à hier. Concoctée par Five Star, sa filiale pékinoise, la mouture devait « éliminer les éléments chauds» de l’organisme: l’on se soignait en s’ennivrant! Le résultat fut un désastre, aggravé par l’oubli d’une demande de licence: la loi prohibe l’usage de plantes médicinales comme additif alimentaire. Sous l’oeil des caméras, les services d’hygiène confisquèrent ou firent détruire 187.000 cannettes, pour un préjudice de 12.000$.
Pour se refaire, Tsingtao compte en partie sur ses quatre autres bières spéciales, au melon amer, au chrysanthème, au miel et au thé vert -cette dernière, délicieuse (le VdlC l’a testée).
La Chine innove aussi ailleurs, au laboratoire de l’Institut de recherche agro-alimentaire de Tianjin, où le professeur Chen Shusheng a réinventé ce qu’on pourrait nommer la lière, bière au lait de vache, breuvage peu alcoolisé, rafraîchissant, nutritif, léger, et doté de vertus paramédicinales tel le stimulus de la circulation sanguine.
Déjà produite au Japon et aux USA, la lière a franchi l’étape expérimentale fin 2002 à Xingtai (nord Hebei), avant de passer en phase commerciale. Les contrôles sanitaires, ici, semblent n’ avoir pas posé de problème—le producteur a évité l’erreur impardonnable – recommander la lière aux nourrissons!
Un rêve qui s’effondre…Sinopec et CNOOC, début mars, avaient fait accord avec British Gas pour racheter sa part du prometteur gisement pétrolier de Kashagan, à l’Ouest du Kazakhstan. Pour les 16,7% de BG dans le consortium international d’exploitation, les n°2 et 3 chinois de l’or noir auraient payé 1.26MM$ (VdlC n°9). C’était compter sans le droit de préemption que viennent d’exercer les 5 autres membres (Conoco – Phillips, Agip, Exxon, Shell et Total), refusant de laisser les néophytes entrer au club de la Caspienne.
1ère conséquence : conçu pour relier Chine et Kazakhstan, le projet d’oléoduc de 3MM$ sur 3000km est compromis. Le pétrole de Kashagan passera par la Mer Noire (route “Ouest”), et l’autre champ pétrolifère kazakh d’Aktobe, propriété de CNPC ne permet pas de rentabiliser un tel ouvrage à lui seul.
Les réactions chinoises sont mitigées – la perte de face est difficile à cacher, et d’autres si bel-les sources d’approvisionnement hors des frontières chinoises ne se retrouveront pas facilement. La Chine perd cet espoir de réduire sa dépendance envers le Golfe persique, qui satisfait plus de 15% de sa consommation. Un cadre supérieur chinois insinua : “avec ceux qui nous ont fermé la porte, on se retrouvera, lors du prochain projet chinois à attribuer”. Mark Qiu, chef financier chez CNOOC, prit les choses avec bonhomie (“la demoiselle était déjà financée”), et un cadre d’une des cinq soeurs précisa : “les pétroliers chinois ont besoin de nous autant que nous d’eux, sinon plus”.
Enfin, le calice sera moins amer à avaler, du fait qu’avec l’épidémie et le fort recul de la demande en transport (2900 vols annulés chez Air China, 2100 chez China Eastern), la Chine consomme moins – jusqu’à 100.000t d’essence et autant de diesel/mois. A 14Mt en avril, la production de pétrole est tombée de 2,8% par rapport à mars, celle de gaz naturel, de 5,7%. En mars, la Chine avait lourdement importé (+52%), au prix fort, dans la hantise d’ une coupure de la route du pétrole durant la guerre d’Irak : pris de court, les cuves pleines, les traders chinois s’attendent à une chute des imports de 8% en juin et juillet, et tentent d’exporter leurs excédents sur les marchés spot asiatiques!
— Le terme de privatisation n’appartient pas au vocabulaire socialiste des affaires. Il est par contre séant de s’adonner à la diversification des actifs. Fin des années 1990 – des 100aines de milliers de PME étaient passées aux mains des patrons ou des ouvriers, avec des résultats peu probants. Ici, l’usine était sauvagement dépecée (meilleurs actifs fourgués), laissant sur le tas des millions de chômeurs. Là, le personnel pléthorique était religieusement maintenu…
A présent, une 2de phase de privatisation aux couleurs de la Chine se profile, avec la volonté de faire autre chose : depuis décembre propriétaires réels de quasi-toutes les 175.000 EE (500MM$ d’actifs), mairies et provinces vont vendre aux groupes financiers, surtout chinois. En cours d’adoption au Conseil d’Etat, un règlement de la SAMC fixe les droits et devoirs des investisseurs, tout en garantissant l’indépendance de gestion de l’actif une fois cédé (tout ou partie). Début avril, le Fujian ouvrait le bal avec sa braderie de 300 entreprises d’Etat (EE). Le Shaanxi prétend pour sa part vendre 80% de ses 1000 grandes entreprises d’Etat (GEE). Une affaire à suivre, qui ne s’engage pas forcément sous les meilleurs auspices, vu la conjoncture. Mais il est vrai que l’épargne dort en Chine, et que beaucoup de gens sont en quête d’occasions d’investir!
Silencieuse main de fer, Hu Jintao vient de relancer la campagne anti-corruption: ex-gouverneur du Yunnan, Li Jiating est condamné à mort avec sursis (9/5). Cong Fukui, ex-vice Gouverneur du Hebei venait de subir le même sort -accusés d’avoir empoché l’un 2,2, l’autre 1M$. 4 autres roitelets déchus attendent leur procès : Cheng Weigao (ex-Secrétaire du Parti au Hebei), Zhang Guoguang, (ex-gouverneur du Hubei), Liu Fangren (ex-Secrétaire du Guizhou), et un ex-maire de Shijiazhuang. Ces disgrâces rares sont rendues possibles suite au passage en mars de Wu Guangzhen, proche de Hu Jintao, à la tête de la 记律检查, Commission nationale de la discipline du Parti.
L’affaire de Li était claire : le maître du Yun-nan était mafieux, son fils 老大 laoda (parrain) d’une 三 和 会 san he hui (triade), avait reçu 20M$ détournés. Cheng par contre, était un ami de Jiang Zemin, que cette purge ne peut pas renforcer. Ce durcissement vaut comme avertissement à la nomenklatura : en ces temps de crises, la prévarication est mal vue, et Hu Jintao a de facto les pleins pouvoirs!
En même temps, (cf VdlC n°16), Hu Jintao relance la campagne de son prédécesseur, des 三个代表 sange daibiao « trois représentativités » : la démarche n’est pas forcément contradictoire. Hu, par cette action, bétonne l’unité du Parti, tout en donnant de la face à Jiang son aîné.
Ce faisant, il laisse la chance, à l’avenir, d’une cohabitation avec un Jiang affaibli, reconnaissant d’être maintenu en place, et incapable de s’opposer à un ambitieux plan de réformes…
Pendant ce temps, sphyngiens, Jiang Zemin et ses hommes attendent leur chance…
Comme on voit, c’est une vague instable sur laquelle surfe le nouveau leader, et le fléau peut retomber dans n’importe quel sens—avec deux inconnues déterminantes à la clé : l’opinion de la base, et celle des investisseurs!
— Evitons Wenzhou (Zhejiang), un des notoires antres mondiaux du piratage, où rodent les plus louches êtres de l’empire… C’est ce qu’ auraient du se dire Wang et Aï ce 27/4, partis de Tianjin pour cette ville, avec leur humble Beijing Jeep et 30.000Y, pour y faire du 买卖 maimai (business). Presque à destination, ils furent pris en sandwich par 2 voitures, 8 hommes armés qui les allégèrent prestement de leur pécule et leurs portables. Mécontents du butin jugé trop maigre, ils les frappèrent, pour les encourager à rassembler, par GSM, une rançon plus étoffée. Et comme ils refusaient, Wang et Ai furent alors enlevés et séparés.
Ahuri, Wang se retrouva au 3. étage d’un hôtel borgne. Après quelques heures de statu quo, sur le lit, les 3 geôliers s’assoupirent, tandis que sur la chaise, le kidnappé dénouait ses liens et s’enfuyait par l’escalier… Pour retrouver, au 4ème et au 2d, un malfrat en faction! De désespoir, il ne lui resta plus qu’à se jeter par une fenêtre du couloir, sur une pub lumineuse en hauteur, devant la façade. C’est alors que Wang eut la 急中生智 jizhongshengzhi, l’idée qui sauve en pleine panade: plus à l’attention de la foule qui s’amassait, qu’à celle des truands qui tentaient de le raisonner par des paroles mielleuses, Wang hurla de sa plus belle voix qu’il voulait se suicider. Presque immédiatement arrivèrent ventre à terre les reporters : Wang était sauvé! Il jugea toutefois préférable de demeurer sur son îlot instable à 10m du sol, jusqu’à l’arrivée des policiers. Les bandits n’avaient pas demandé leur reste—l’hôtel de passe, de mèche, les avait laissé filer. Voilà donc M. Wang de nouveau libre, mais d’une liberté laissant un arrière-goût amer : Aï son partenaire, reste aux mains de la triade, et sa voiture a changé pour de bon de propriétaire. La police, comme on dit, enquête!
— 19-28 mai, Genève: Assemblée Générale de l’OMS, en présence de Mme Wu Yi, vice-1er Ministre et ministre de la Santé.