A 2heures de Pékin, Baiyangdian est un petit paradis pittoresque et caché, fruit de 50 siècles de marge et de non-conformisme. Sous toutes dynasties, les nobles en disgrâce y trouvèrent refuge, trame d’un des plus célèbres romans du pays, Au bord de l’eau. Plus récemment pendant la guerre japonaise, Baiyangdian se distingua encore par sa résistance héroïque.
Tout ceci, pour une raison simple et tellurique : son terroir consiste en 3300 km² de roseaux hauts et drus, d’îles et de canaux sur 3300km², empire de 200 espèces de poissons, crabes et crevettes, république de bécasses, grenouilles et grillons. Les habitants vivent de l’aquaculture, de l’élevage du canard, blanc (importé d’ Angleterre) pour les rôtisseries, brun pour les oeufs exportés (sous forme d’oeufs de 100 ans) vers le Japon -grand amateur, aussi, des nattes de roseau refendu et tressé.
Malgré les apparences, Baiyangdian est une région indolente, au soleil généreux, où le temps s’arrête,où chacun canote sur sa barque (l’équivalent, à Baiyangdian, du vélo ailleurs) et où les enfants -selon les parents- «passent plus de temps au billard qu’à l’école ».
Bref : la région aurait tout pour être heureuse, si elle n’était menacée par sa croissance et sa surpopulation. Une dégradation forte est en cours, qui empire au fil des ans. Les cadres ont imposé leurs taxes illégales pour financer leurs projets de tourisme mégalomanes, livrant sans vergogne cet écosystème fragile à une kermesse bruyante. Partout, on drague des fosses pour l’aquaculture – on tue le roseau, aliment du poisson. Et surtout, toute la Chine du nord se dessèche (cf rubrique « pol. »). Baiyangdian n’a plus que la moitié de sa capacité, avec des canaux par endroit, à une profondeur de moins d’1m – pour la baignade, c’est impossible, et pour la navigation, c’est limite. «Si cela continue», dit un vieux local, « d’ici 3 ans, on sera à sec » – Adieu, veau, vache, cochon, couvée !
Sommaire N° 32