Dujiangyan et Zigong, villes «moyennes» du Sichuan (0,6M et 3,5Mhabitants), méritent qu’on gratte à leur surface pour découvrir, derrière l’indolence méridionale, le berceau de deux techniques industrielles mondiales, l’une et l’autre inventées vers 250 avant JC par Li Bing, hydraulicien de génie et gouverneur de Shu, le Sichuan antique.
A Dujiangyan, Li imagina de canaliser le fleuve Min, plus impétueux que le Rhône. Il créa un mécanisme complexe de division des eaux, assurant irrigation et protection des crues – et 2200 ans de prospérité locale. Classé par l’Unesco, son système fonctionne toujours, et nous laisse avec deux éblouissantes énigmes:
[1] comment Li Bing, sans dynamite, creusa 80m de canal dans le quartz (selon la tradition, il aurait chauffé à blanc la roche, avant de l’inonder brutalement; d’autres pensent à des coins de bois mouillés pour les gonfler). Mais surtout,
[2] comment parvint-il, sans ordinateur, à modéliser le relief de l’île, prolongée d’une digue immergée, de manière à créer un tourbillon, brisant le courant pour faire déposer les sédiments : les eaux de surface, claires, vont au canal, vers les rizières. Celles chargées de sable et de galets, vont mourir dans l’ancien lit (devenu la gravière de la ville).
Près de Zigong, voyant des mares saumâtres, Li devina que la saumure remontait des profondeurs, et ordonna de forer le 1er puits à saumure connu, pour la collecte de cette matière 1ère , jetant les bases d’ une industrie nouvelle sur terre. Un siècle après, dans ces mêmes puits, le gaz naturel était découvert, suivi par les techniques du derrick, du forage à percussion jusqu’à des centaines de m de fond (1000m en 1835), des aqueducs à saumure et des milliers d’ateliers obtenant (par chauffage au gaz) le sel de roche. Les forages se faisaient à la force des jambes, avec des trépans de bambou : ils donnèrent à la Chine 20 siècles d’avance technologique sur le monde. Zigong dispose aujourd’hui d’un Institut national du sel, et produit 35Mt de sel/an – 1/3 du marché.
Hélas, ses usines «modernes», à 70% d’Etat comme Jiuda, ne sont plus que des tas de rouille, traqués par la NEPA pour leur pollution, dont le seul capital enviable semble être la Lexus du directeur: le secteur, com-me le Sichuan entier, est à réinventer.
Dujiangyan et Zigong partagent un autre trait commun : la présence industrielle française.
Dujiangyan s’enorgueillit d’une cimenterie Lafarge, la plus moderne d’Asie (inaugurée le 5/6), produisant 1,4Mt/an de klinker haut de gamme, dans le respect des normes du groupe, pour le marché de Chengdu (10M habitants).
Investissement : 150M$ (dont 65 payés par Lafarge, partenaire à 75% dans la JV). Rentabilité espérée sous 3 ans. Seul handicap: un partenaire chinois autocratique, hypothéquant le travail d’équipe exigé par cet outil sophistiqué. Mais des signes d’assouplissement se dessinent au sein du pouvoir local – le Sichuan perçoit l’enjeu !
Il le fait d’autant plus que Lafarge vient d’acheter 70% d’une cimenterie de Chongqing (30M$), et veut d’ici 2006 se doter de 5 unités (dont une dans le Yunnan). D’ici 2030, 30% du marché mondial du ciment sera en Chine. A présent, Lafarge ne tient que 4Mt de capacité, sur un marché haut de gamme de 150Mt. Des milliers d’unités non rentables doivent fermer : il s’agit d’être là avant la concurrence !
A Zigong, la 2de usine étrangère est la Safam (filiale Sediver), spécialiste en capots en fonte pour isolateurs. Elle offre une vision et odeur luciférienne, avec ses vapeurs de soufre et de charbon,chaînes de moules incandescents et coulées de fonte et bains de zinc en fusion. Mais le succès commercial est incontestable, exportant vers 6 pays, et ses 350 ouvriers des 2 sexes (contrôlés médicalement chaque année) ne se plaignent pas, avec leurs salaires (150² /mois) très supérieurs à la région.
Dujiangyan et Zigong sont le reflet du Sichuan, devant rattraper la croissance de la côte, mais aussi se créer une mentalité à la fois ouverte au monde, et en harmonie avec leur glorieux passé. Dans cette quête, le Sichuan commence à recevoir l’aide de l’étranger, dont ces investisseurs français qui y voient leur 4ème destination en Chine, avec 30 firmes sur les 500 françaises au Céleste Empire !
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