Après quatre mois au service des ventes d’une usine privée d’électronique de Xiaoshan (Zhejiang), Xiao Fang commençait à être fort appréciée de ses chefs, quand se succédèrent un certain nombre d’accidents en atelier, début avril, causant la mutilation de plusieurs ouvriers, doigts tranchés ou écrasés par leur machine. Comment mettre un terme à la série noire ?
Au lieu de commanditer une enquête indépendante, procédure normale, le patron se laissa convaincre par sa femme de consulter un maître de Fengshui (forces méridiennes astrales), sur l’origine des ondes néfastes dans son usine.
On aura deviné la suite : lors d’une visite succincte sur les lieux de production, le karma de Xiao Fang fut démasqué par l’homme de l’art, comme incompatible avec ceux du couple.
La jeune ingénieur fut priée, début mai, de se mettre en arrêt de travail, à tout hasard, jusqu’en juillet. Le 21 juin, quand Xiao Fang vint s’enquérir du jour de sa rentrée, la femme du boss la reçut, pour lui décrire le nirvana dans lequel l’usine avait flotté en son absence : le verdict conjugal cette fois était sans appel : début juillet, Xiao Fang reçut sa petite lettre irrévocable. Hélas pour nos lecteurs, le quotidien cantonais, auteur de la nouvelle a omis (sans doute par peur de diffamation) de préciser le nom de l’usine et du patron si doué dans l’art du ridicule.
Au fin fond du Shaanxi, lorsque les gens de "la Colline du Dragon", (hameau de 77 âmes) traversent la bourgade voisine, on s’écarte de leur passage, et les fenêtres se ferment: ils sont comme maudits, porteurs du "mal".
Depuis vingt-cinq ans, 55 personnes, à 80% mâles, y sont décédées, toutes de cancers généralisés, d’affections vasculaires ou cérébrales. Sur les 99 habitants du début des années 1990, 22 sont partis refaire leur vie ailleurs, presque toute la jeunesse. De toute façon, aucun garçon ne trouvait de fille hors du hameau, qui accepte de l’épouser.
En 1994, la "Colline du Dragon" prit conscience d’un cap nouveau à sa misère : l’âge moyen de la maladie régressait, de 60 à 45 ans en 20 ans. Lui-même cancéreux, le vieux maire émit une supplique à Xian, capitale régionale. On vit débarquer quelques beaux messieurs, qui prélevèrent des échantillons d’eau, de poils de barbe et d’épis de maïs.
Avant de repartir ils réclamèrent 2000Y pour frais d’expertise, que le village, dans son indigence (revenu annuel : 400Y/famille) ne put réunir.
Point d’analyses, donc. Six ans passèrent. En mars 2000 enfin, deux évènements coïncidèrent pour arracher les choses à leur ornière :
[1] le jeune Wancheng, 17 ans, à son tour attrapa le mal;
[2] l’affaire finit par arriver aux oreilles de la presse nationale. Alors, sans perdre une minute, fut constitué à Xian un "Groupe d’Etudes de la Colline du Dragon". De nouveaux prélèvements furent effectués. Attiré par la presse, un laboratoire pékinois a offert les analyses, gratuites. Au coeur d’une vague d’engouement fugace, devenu le héros d’un jour, le hameau, avec espoir mêlé d’angoisse, attend les résultats.
Sommaire N° 26