Le Vent de la Chine Numéro 10

du 26 mars au 1 avril 2000

Editorial : Taiwan découvre la cohabitation

Aux présidentielles taiwanaises (18/3), la victoire imprévue de Chen Shui-bian, l’homme de l’ opposition indépendantiste DPP, bouleverse l’échiquier politique insulaire, et sans doute, les fondements de la politique taiwanaise de Pékin.

Au Kuo Min Tang, assiégé par les déçus, Lee Teng-hui le Président sortant, abandonne (24/3) son autre mandat de Président du Parti. Lee Teng-hui et Chen Shui-bian sur la scène politique insulaire, étaient de la minorité de politiciens insulaires  (min-nan), parmi la masse des continentaux débarqués en ’49 dans la suite de Chiang Kai-check. On découvre qu’entre ’96 et ’98,ces deux « adversaires » ont souvent déjeuné en tête à tête.

D’où la question que tous se posent, envers Lee : où allait sa fidélité – à Taiwan, ou au KMT?

En pleine débâcle, le KMT débute sa longue marche, sous la peu plausible houlette du perdant Lien Chan, mais surtout de Ma Ying-jeou, le brillant jeune maire de Taibei (poste dont il a évincé Chen en 1998, de haute lutte). Le KMT ne pèse plus que 23% des voix, il est déconsidéré (trop notoirement corrompu).

Il lui reste son trésor de guerre (7MM USD), et la majorité au Yuan Législatif (Parlement)- lui donnant les moyens théoriques de faire chuter le cabinet, mais au risque (qu’il ne peut se permettre!) que Chen Shui-bian ne convoque des législatives anticipées. C’est donc une situation inédite qui s’initie dans cette ré-gion du monde, encore totalitaire il y a 10 ans: la cohabitation!

La moitié du KMT pourrait se rallier sous la bannière de James Soong Chu-yu, excellent second aux élections, dans son Nouveau parti populaire taiwanais, d’affaires, pro-réunification, avec une forte base rurale mais aussi la majorité des voix dans la capitale.

Le PCC demeure sur une glaciale réserve.

Selon ce bruit, aucun geste ne devrait sortir, avant le 20 mai, date de l’adoubement de Chen. Au-delà, Pékin pourrait imposer à Taibei une date limite de retour. Pékin, apparemment certain que Chen n’acceptera pas son principe d’ « une seule Chine » estimerait qu’il n’a pas de temps à perdre. De cette stratégie, Pékin espère un triple avantage:

[1] faire monter la tension, y-compris sur les alliés de Taiwan pour les dissocier,

[2] galvaniser la Chine sur ce thème patriotique, allégeant ainsi les problèmes intérieurs;

[3] miner le potentiel de développement de l’île, par une isolation, plutôt qu’une trop dangereuse invasion.

NB: un hebdomadaire de l’APL qui venait d’ enfreindre la consigne de silence, publiant un plan d’attaque (200.000 chalutiers et 2M hommes à bord, bombes à neutron, lasers anti-missiles) a été suspendu pour 2 semaines.

Pendant ce temps, Chen Shui-bian tente de monter son gouvernement de coalition, avec comme 1er Ministre, le prof. Lee Yuan-tseh, prix Nobel. Il invite Pékin à sa cérémonie d’intronisation, tandis que le Parlement pro-pose des liaisons directes avec trois petites îles (Quemoy, Matsu, Penghu)…

Sur le fond (1):

 le principe de  yi guo liang zhi (1 pays, 2 systèmes) perd du terrain, du fait de la diversification de l’échiquier politique dans l’île (le Président n’y fera plus ce qu’il veut, comme hier Lee Teng-hui), et du retrait de l’armée comme force politique.

Sur le fond (2):

 le message de la victoire de Chen a été reçu 5/5 en Chine, par le »Parti de la Démocratie » (dissident): « ce que les Chi-nois de Taiwan peuvent faire, ceux du Continent le peuvent  aussi… C’est la 2de fois en 5000 ans que des chinois élisent leur leader (la 1ère= en 1996 avec Lee Teng-hui, ndlr) … Preuve d’une démocratisation irréversible et modèle ouvert à la Chine, qui a avec Taiwan une communauté de destin ». En clair: la réunification passe par la réforme politique, (dixit Ren Wangding, leader du PD, ndlr) basée sur l’exemple du DPP taiwanais!

 


Joint-venture : A New York, BP-Amoco achète du Petrochina

• 5 à 7MMUSD: telles sont les prévisions de prêts de la Banque Mondiale en Chine d’ici 2003.

Un effort en déclin, par rapport à l’ époque (avant juillet 1999) où la Chine figurait dans la catégorie "pays du tiers monde". Ceci se traduira par des interventions sur des projets moins massifs.

Dans sa programmation, la Banque mondiale (BM) se conforme étroitement aux nouvelles priorités publiques : effort porté à l’Ouest, dans des projets de transport et de désenclavement, de services sociaux et de défense de l’environnement.

NB 1: la Chine demeure le 1er récipiendaire de la BM.

NB 2 : le projet de Dulan (Qinghai), cause d’une grave polémique depuis juin 1999 (et d’un schisme entre directeurs de la BM) est toujours à l’étude – c’est à dire dans les tiroirs.

 

• 370MUSD: montant du prêt de la CIEB à CSHIC et CSITC, chantiers navals, pour la livraison de cinq supertankers à l’Iran.

Ce montant en crédit export et assurance crédit constitue un nouveau record en Chine.

Expression de la concurrence dans le secteur, face à d’autres fournisseurs comme Corée ou Japon.

 

• L’entrée en Bourse de New York de PetroChina (véhicule boursier de CNPC), commence par un incident: Goldman/Sachs,le souscripteur, a annoncé à ses clients l’appel du groupe (pour 3MM USD initiaux) avant le feu vert de l’organe de tutelle).

"Faux départ" qui pourrait imposer aux deux groupes des remboursements du titre, en cas de chute du cours. Un autre fait vient toutefois à la rescousse de l’"offre publique initiale":

 BP-Amoco qui veut participer à l’exploitation des gisements du Bassin du Tarim, à l’installation du gazoduc de 4200km Xinjiang-Shanghai, et du terminal GNL de Shanghai, se dit prêt à acheter 20% des parts, pour jusqu’à 1MMUSD, moyennant la formation d’une JV avec PetroChina de distribution de gaz naturel en Chine de l’Est.

A noter que Petrochem (Sinochem), également candidat à une cotation à NY pour un montant équivalent, vient de signer un contrat avec trois structures de défaisance plus une banque, qui la libère de 3,6MMUSD de dettes.


A la loupe : La bicyclette déraille

L’image d’Epinal de l’industrie chinoise est cel-le du vélo, ce fameux "ye olde Raleigh" increvable et démodé, cloné par des marques comme Flying Pigeon (Tianjin) ou Phoenix (Shanghai) à 200 M d’exemplaires, en vaillant service à travers les fondrières du pays.

Pourtant, le vélo est en chute libre, frappé par l’obsolescence des usines et la concurrence de l’étranger (tel le taiwanais Giant, via sa JV à Canton).

On vient d’en avoir une idée en Foire de Shanghai. Durant ce rituel rendez-vous de Printemps, Forever a vendu pour 1MUSD. En 1999, il avait produit 1M de cycles, dont 300.000 exportés (10MUSD).

Cache misère: l’usine n’a tourné qu’à 1/3 de sa capacité, en dépit de nouveaux modèles, pliants, VTT à amortisseurs etc.

Problème n°1 apparent : les dettes triangulaires, entre fournisseurs, producteurs et acheteurs. L’absence de cash empêche le groupe d’investir dans l’innovation.

Pour le 1er semestre 1999, Forever annonce, pour la 3ème année, des pertes (près de 200 MY sans parler de 100 MUSD de dettes). Ce, en dépit de sa cotation en Bourse de Shanghai (le 15/03, ses titres A et B étaient en hausse, allez savoir pourquoi).

Phoenix le cousin germain shanghaien se porte un peu mieux, exportant 50% de sa production en 1999 (pour 60MUSD), et enregistrant un meilleur score durant la foire (3MUSD) : question de conjoncture, les pays voisins (Japon!) commencent à racheter.

Sur le marché intérieur, la question de fond n’est pas abordée : avec la pollution et la priorité absolue donnée dans les villes à l’automobile, le vélo, comme moyen de transport, est dépassé – d’autant que les distances vers le travail, l’école etc. se rallongent.

Tandis que sa vocation revisitée en Occident, comme outil de détente et de sport, n’est pas encore valorisée en Chine: les grands groupes doivent encore, pour survivre, faire leur mue!

 


Argent : L’électroménager prend ses marques

• Décrétée par Zhu Rongji en mars 1998 lors de son accession à la charge de 1er Ministre, la réforme du logement devait faire passer les loyers, de leur niveau symbolique à celui du marché.

Impopulaire, elle avait été remisée, sacrifiée à l’impératif national n°1 de stabilité sociale.

Elle réapparaît dans Pékin: au 1er Avril, les loyers seront triplés (3,05Y/m2) et uniformisés, entre HLM de la mairie, de l’État et des EE. Unifiés aussi, les 90Y de prime, pour adoucir la pilule aux locataires. Une forêt de barèmes différents disparaît – mais pas celle des qualités, très variables, d’immeubles à travers la ville.

Deux exceptions demeurent : celles des  tongzi" (HLM "communautaires" à WC et cuisine partagés), et celles des usines ruinées ne payant plus leurs ouvriers depuis des lunes.

 

• En Chine comme ailleurs, l’espace internet, voit une effervescence de firmes"start-up", "B2B", alléchées par les gains de ce marché inépuisable d’avenir.

Commencent à apparaître cependant, dans ce concert d’espoir, les 1ères fausses notes: l’absence de réglementation, et l’obsession publique de maîtriser avant tout le développement de la toile sous les angles politique et étranger, laissent toute latitude aux fraudes.

Répondant au nom insolite de "Force d’enquête KGB", un club d’autodéfense vient de surgir à Shanghai, peuplé d’internautes grugés, ayant acheté des produits déficients, piratés ou un rien trop "virtuels". Avec le soutien de la Cie de vente par internet Eachnet, 100 fraudes ont été documentées en quatre mois, et leurs au-teurs, dénoncés sur le site de KGB.

 

• Haier, Galanz, Little Swan… Groupes électroménagers jaillis du néant dans les années ’80, atteignent aujourd’hui des tailles "mondiales" grâce à la protection du marché intérieur et aux transferts de technologie. L’entrée de la Chine à l’OMC, les contraint en’2000 à entreprendre une nouvelle révolution, dont le groupe cantonais Kelon (réfrigérateurs, climatiseurs) offre un bon exemple : 4 vice-présidents (politiques) sont remplacés par trois experts jeunes et compétents (tel le Hkgais Li Guoming, 43 ans), qui vont refondre les divisions "management", "marketing" et "R&D".

De cette réforme, le signal d’alarme est venu en 1999: production et ventes avaient augmenté de 25% (à environ 1MMUSD), mais les profits n’avaient crû d’un maigre 6% (76MUSD), que grâce à une baisse de taxation octroyée aux firmes à haute technologie.

 


Pol : Démarrage du 5. recensement

• La Chine entame son 1er recensement en 10 ans à Shanghai, qui a quatre mois pour vérifier l’état civil de ses 14M de résidents et de son million de migrants.

Au dernier sondage, la Chine recensait 1,16MM d’âmes. Elle en compterait 100M de plus, 69% de ruraux et 31% de citadins, 25% d’enfants (-de 14 ans) et (fin 2000) 7% de 3e âge (+ de 65 ans), ce qui, au passage, fait accéder la Chine au club des nations "vieillissantes".

 

• Chaque année à l’ONU à Genève, depuis 1995, la Chine a prévenu, grâce au vote de ses nombreux alliés du Tiers Monde,tout débat sur l’état de ses droits de l’homme.

Washington vient de déposer une nouvelle motion critique et croit meilleures ses chances de succès,suite au durcissement chinois vis à vis des différentes formes de dissidence, dont le Falungong. Pékin prend ce risque au sérieux, en condamnant sur tout les fronts la tentative US, mais aussi en acceptant de fournir à une fondation US des détails sur huit prisonniers d’opinion : "geste de bonne volonté", commente un fonctionnaire US, "destiné à prouver sa tolérance".

 

• L’an passé, 9474 femmes et enfants auraient été kidnappés et vendus; 6900 autres auraient été "sauvés".

Imprécises, les données sont fort en deçà de la réalité – 9 rapt sur 10, perpétrés dans des villages incultes, ne sont jamais dénoncés.

Seule certitude des autorités : la tendance est en hausse, expression d’un recul de la légalité dans les campagnes, et d’un "manque à marier" de plus en plus poignant. Du fait de la pratique des naissances sélectives, l’enfance chinoise compte 118 garçons pour 100 filles.

Dernière tentative pour enrayer l’extension du fléau : le MSP crée deux bases de données nationales, celle des signatures ADN des parents de kidnappés, et celle des fiches d’identité des disparu(e)s, cette dernière étant accessible sur internet.


Temps fort : La réforme des banques, par les cornes!

Sur les 724 MMUSD d’épargne en banque, les fonds publics occultes pourraient faire 30%, répartis sur des comptes privés pour échapper à l’impôt.

La BPdC prend par les cornes cet obstacle à tout assainissement du secteur bancaire, en exigeant, chez toute banque commerciale (publique ou privée), pour tout compte nouveau, le nom réel du déposant.

Prudence: la tutelle craint la fuite des capitaux, par ex. vers les 40000 micro-coopératives de crédit rural (150 MMUSD de dépôts en décembre 1999). Aussi, jusqu’à "plus tard dans l’année", la mention du n° d’ID restera facultative.

Outre un nombre certain de rattrapage d’impôts, on attend de cette mesure un renforcement du marché de la carte de crédit, en panne faute d’un fichier à jour des CV bancaires des titulaires. Ce travail de fond mettra des années à donner ses fruits : le temps d’assurer l’identification des comptes existants et l’interconnection des réseaux.

Autres actions préparatoires au choc de la concurrence étrangère (de l’OMC!) :

[1] l’ICBC signe avec Huarong, sa structure de défaisance, l’accord de transfert de ses hypothèques industrielles, dont 12MMUSD (le plafond garanti par l’État) de mauvaises dettes.

Bénéficiaires: 400 EE (dont Sinopec et ses 13 filiales, cf rubrique "JV").

NB: aucune garantie n’existe, sur la capacité de Huarong, à long terme, d’écouler ces dettes, ni sur celles des EE à éviter de contracter de nouvelles ardoises.

[2] ICBC déploie son service "on-line", ouvrant accès aux firmes à ses services (prêt, dépôt…) dans 100 villes d’ici fin ‘2000, y-compris auprès de 224 filiales et agents de la SAIC (partenaire de VW et de GM);

[3] la BdC quant à elle, mise sur le service au client privé, promettant davantage de transparence dans le coût des opérations et des primes au personnel, actuellement "vampirisé" par des banques privées comme Minsheng.

 


Petit Peuple : Coup de Jarnac nuptial

•A Qingyang (Heilongjiang), en dépit du soleil radieux sur la steppe, ce dimanche de février commençait bizarrement pour Zhang Jianguo.

Il n’avait pas compris pourquoi Wang Lin, qu’il devait épouser un peu plus tard, le faisait venir la chercher si tôt. Et, sur place, voilà qu’elle le prenait en aparté, et tirait de sa robe écarlate un papier – un contrat !

Cette jeune femme forte revendiquait

–          la maison des parents (l’hérita ge),

–          que le jeune couple soit libre des 10000Y de dettes de la belle-famille.

Désarçonné, Zhang appela ses parents, deux heures de palabres s’ensuivirent, suite à quoi les Zhang cédèrent – non sans soupirer « ! » qiguanyan ("la femme porte la culotte"!): les pétards, les gongs, le palanquin, les deux villages rassemblés attendaient – pas question de perdre la face.

• Durant la session de l’ANP, le Journal de la Jeunesse reçut cette plainte d’un village: son école était aux mains d’une bande d’imbéciles! Frappés par le ton insolite de la requête anonyme, le quotidien dépêcha ses limiers, qui trouvèrent que les auteurs n’étaient autres que les "simples d’esprit": les instituteurs, qui n’avaient trouvé d’autre moyen pour alerter le monde sur leur sort pitoyable, n’ayant touché leurs faméliques émoluments depuis près d’un an. À l’Assemblée, des élus ont vertueusement proposé le paiement automatique des instituteurs à 100% et dans les temps. La motion est à l’étude.

 

 


Rendez-vous : Chine – Europe – le marathon final?

•27 mars Pékin : Négociations.(finales ?) avec l’Union Européenne pour l’entrée chinoise à l’OMC.

•27/28 Pékin : Colloque International "Chine 2010" (du Conseil d’État sur le 10e Plan et les perspectives d’investissement.)

•28-31 Pékin : Salon Auto (Équipement. et Maintenance)