Le Vent de la Chine Numéro 16
Neuf jours et six villes après son arrivée aux Etats-Unis, Zhu Rongji a conclu son périple, passant au Canada, enrichi de (Niuhao), taureau Angus de 15 mois et 680 kg, issu des labos de biogénétique de l’université de l’Illinois.
Bilan de cette mission de tous les dangers : Zhu a su faire face aux détracteurs des Droits de l’Homme, aux divers lobbies anti-chinois, alternant simplicité, humour pince sans rire, et déclinant inlassablement ce message : « la Chine n’est pas l’ennemie des Etats-Unis ». Ce faisant, il a affaibli la lame d’opinion hostile à son pays Outre Pacifique. Ce qui, par les temps qui courent, n’est pas un mince résultat.
Sous l’angle de l’accès à l’OMC, c’est, en apparence, l’échec, et Zhu faisait montre d’une déconvenue – sincère ou non. Les concessions offertes (Zhu affirmait, le dernier jour, que les problèmes étaient réglés « à 99% »), n’ont pas suffi aux yeux de Bill Clinton, qui craignait, non sans raisons, qu’un accord trop rapide ne franchisse pas le cap du Congrès. Clinton a quelques demandes techniques, d’une pertinence contestable (telle la latitude pour les Etats-Unis d’appliquer des rétorsions commerciales à la Chine, une fois membre). Mais on voit bien, et Clinton le chuchotait au téléphone mercredi 14 à son nouveau FOB *: tout ce qu’il veut, est gagner « deux à trois mois » !
Aux dernières nouvelles, il n’aura tout au plus que deux à trois semaines : Zhu annonce (depuis Ottawa) que le deal sino-américain serait conclu et signé ce mois-ci à Pékin. Idem, à Bruxelles, le Vice-Président de la Commission Européenne Sir Leon Brittan affirme, quant à cet accès chinois, qu’on est à deux doigts d’une « conclusion rapide et positive ». Ce que cela veut dire : fin avril, les négociateurs de la Rue de la Loi montent à Pékin, et croient (au vu des concessions erga omnes offertes à Washington) en la possibilité de conclure eux aussi, sans plus attendre, « leur » accord bilatéral avec la Chine. Sur le podium du 1er arrivé, ils pourraient être «battus», par les Canadiens, à Ottawa, durant la visite de Zhu Rongji – les jours à venir.
*FOB: Friend of Bill!
Le 15 avril 1989, décédait Hu Yaobang, en pleine session du Politbureau. Ex-Premier Secrétaire du Parti Communiste Chinois et dauphin (réformateur) de Deng Xiaoping, Hu était en disgrâce depuis janvier 1987. Théoricien fertile, il avait inventé le mot d’ordre : « du monde extérieur, essayez tout : ce qui marche, appelez le ‘socialisme’ ».
Hu s’était aussi monté visionnaire par son essai de protéger l’identité tibétaine. Très respecté, sa mort avait déclenché protestations, occupation de Tian An Men et Printemps de Pékin. L’anniversaire de sa mort est donc le premier d’une série sensible cette année. Toute commémoration a été interdite, même dans la ville – totalement inconnue – de De’An (Jiangsi).
Hu n’est pas pour autant en disgrâce posthume – Jiang Zemin a rendu visite à sa veuve en février, et son aîné a été promu vice Président du Front Uni du Parti. Plusieurs campagnes démarrent simultanément : le rappel des 12000 verdicts invalidés en 1998 (tentative de rendre la justice plus crédible), l’annonce d’une réforme des statistiques fiscales, et un appel au peuple, à critiquer les fonctionnaires corrompus (ces 2 mesures, pour prouver le sérieux de l’Etat à poursuivre son opération « Mains propres »), et un rapport-fleuve prouvant les progrès des Droits de l’Homme en Chine…
Ce rapport n’est pas sans lien avec le vote cette semaine à l’ONU, d’une résolution des Etats-Unis, critique contre Pékin. Mais il évoque aussi, en même temps que toutes ces campagnes, la nostalgie officielle, de suivre Hu Yaobang dans son plus beau succès – se faire aimer !
AstraZeneca (Suède/Grande Bretagne), N°1 mondial des industries biochimiques, fait son entrée en Chine, avec une Joint venture (à 80%) d’un coût de 85MUSD à Nantong (Shanghai), qui produira 6000 t par an du principe actif de Gramoxone, son herbicide sélectif déjà bien connu dans le pays. D’autres usines clientes vont conditionner et vendre Gramoxone à travers la Chine. Le marché est de 450 MUSD par an, en croissance de 20% /an depuis 5 ans.
Suite à l’accord « Aviation » entre Chine et Etats-Unis (cf VdlC n°15), les trois transporteurs américains actifs en Chine, peuvent déposer leurs demandes de lignes nouvelles (8, d’ici 2000) : depuis n’importe où aux Etats-Unis, vers Shanghai, Pékin, Canton et deux autres villes chinoises – au choix de l’administration fédérale.
A Pékin avec son Premier Ministre et 40 grands patrons industriels, la Reine Beatrix des Pays-Bas a facilité la signature de 17 contrats, pour 175M USD:fournitures d’équipements de dragage (IHC Holland), 80000 panneaux solaires résidentiels (Shell Solar Energy), et 2 licences bancaires pour ABN Amro(Shanghai) et Mees Pierson (Pékin). La Haye fait à Pékin ce « don » princier de 1,5MUSD d’équipements GPL pour véhicules et stations services.
NB : un contrat de 5MMUSD est imminent, à Shenzhen – la Royal Dutch Shell y serait favorite !
ABB et Siemens ont de quoi se réjouir, ayant emporté pour 420MUSD de contrats d’équipements pour acheminer vers la côte une part de l’électricité produite par le barrage des Trois Gorges. Avec une capacité de 4200Mw, en 2003, cette ligne à haute tension sera la plus performante du pays.
Ceci dit, le barrage, ces derniers temps, est critiqué. Morgan Stanley, la banque d’affaires, a failli, quelques jours durant, quitter sa Joint venture à Pékin, la CICC (China International Capital Corporation), pour des raisons dites en rapport avec la participation de la CICC au projet.
En Chine même, la polémique gagne, dans la presse de haut niveau, avec une franchise inégalée dans l’histoire, pour un projet fétiche du gouvernement précédent. Stratégie & Management (S&M), début 1999, analyse le dossier du relogement du million de paysans concernés, notamment dans le canton de Yungang : c’est, selon S&M, l’impasse totale.
Raisons profondes : depuis toujours, des investissement centraux très insuffisants, sur une région parmi les plus pauvres de Chine, à qui l’on demande sans compensation adéquate d’abandonner le peu qu’elle a – sa terre arable, pour aller s’accrocher à mi-hauteur, à des pentes de 35°. L’avenir n’a rien à offrir : le développement, l’électricité iront ailleurs, entre Jiangsu et Shanghai, qui ne paient rien ou presque.
Bilan : corruption galopante, colère des expropriés, re-tour clandestin, refus de coopérer… C’est la mise en place d’une bombe sociale qui, une fois détonée, coûtera cher à réparer. S&M remarque que le Barrage, situé sur le haut cours du Yangtzé, n’aurait rien pu faire pour alléger les crues de l’été dernier (parties du court moyen). S&M conclue par une proposition inédite:réduire de 30 m de hauteur ce barrage, prévu pour160m (le plus grand du monde), réduire de moitié (à 0,5M) la masse des gens à reloger, et de 2,8MMUSD l’investissement total (en valeur 1993). Mais n’est-ce pas déjà trop tard?
7M d’employés d’Entreprises d’Etat, en 1999, vont xia gang – chômer. 1M de plus qu’en 1998, 14%, qui coûteront, en indemnités, 24,5MMY. Le taux de chômage officiel est bas (3,1%, pour 11,5M), mais ne prend pas en compte les centaines de M de désoeuvrés ruraux, ni ceux encore dépendants de leur Entreprise d’Etat ou ceux non-inscrits aux centres de réemploi. *
NB : les aciéries Shougang, « porte avions » de la capitale, ne paient plus depuis 2 mois des dizaines de milliers de métallos. Le cas, à travers la Chine, n’est nullement isolé.
En 1995, la CAAC escomptait d’ici 2000 une croissance du trafic passagers de 13% par an. La crise, détournant les chinois de l’aéroport vers la gare, a réduit la courbe à 7,5% en 1997, et 6,3% en 1998. Pour la première fois, en 1998, China Southern a vu son chiffre chuter de 7,6%, à 11,85MMY. Tout comme China Eastern et d’autres, elle réduit sa flotte et se sépare de 5 Boeing en leasing. Les 2 groupes, et les autres, espèrent limiter leurs pertes à moyen terme, en s’interdisant toutes commandes nouvelles, et la guerre des tarifs.
Producteur de charbon et de gaz, Qingxu, Entreprise d’Etat du Shanxi, tentait de récupérer, en cour d’appel, l’ardoise de la ville de Datong, d’un montant de 18MY,en souffrance depuis 1995. Qingxu livrait son charbon par ses propres trains, sur les rails de la compagnie « nationale ». Juste avant la comparution, cette dernière lui notifia l’interdiction de rouler – c’était la faillite, à moins de transiger hors-tribunal, à 10 M Y. Bon prince, Datong versait 1M de plus au PDG, « de la main à la main », si le groupe retirait sa plainte. L’ennui, pour Datong et ses chemins de fer, est que Qingxu était trop malade pour survivre à ce coup – et pour se taire. Affaire à suivre !
Un MD-11 de Korean Airlines (fret) s’écrase le15 avril près de Shanghai, 6mn après décollage : 9 morts, 33 blessés sérieux. Tout de suite après, la direction de Korean Airline (KAL) faisait état d’explosions à bord, et évoquait la « grande probabilité » d’un attentat fomenté par la Corée du Nord.
Il est cependant une autre explication possible : avec 9 incidents graves en 11 ans, le bilan « sécurité » de KAL est médiocre – le transporteur venait d’ailleurs d’annoncer le recrutement de 50 pilotes étrangers, afin de rehausser le niveau des compétences… Delta Airlines, en tout cas, le partenaire yankee, n’a pas perdu un instant pour faire son choix, en dénonçant sur l’heure son accord de vols conjoints avec KAL.
Pékin met en demeure, en date du 1er .avril, les provinces de ne pas prendre la fête nationale du 1er octobre pour prétexte à 5 mois de ripailles et d’investissements somptuaires aux frais du socialisme. Ce genre de dépenses immodestes, risquant d’ « insulter à l’éminente dignité du peuple », surtout en cette période où se multiplient les faillites, et de provoquer une intolérable tension sociale. Pas de défilés ni de banquets donc, sauf à Pékin : qui fêtera pour les autres, invitant la nuit du 1er octobre 500 000 hôtes triés sur le volet ! Le budget de la fête municipale – nationale est secret – mais ce sera grandiose !
Soucieuse de tout ce qui touche à la Nation et à ses symboles, l’Administration de Supervision Technique et de la Qualité a tranché, sur les drapeaux: depuis avril, ils ne doivent plus être que de fibre naturelle, coton ou soie. L’acrylique s’usant et se fanant plus vite aux intempéries. Les coutures apparentes seront également bannies, pour les mêmes raisons d’endurance. Seule exception tolérée : l’étendard de la Place Tian An Men, dont la taille l’obligera à souffrir les ourlets.
Hier (cf n°15), divers chiffres économiques incitaient le Vent de la Chine à envisager la fin de la « croissance subventionnée », et sentir le souffle de la relance. Mais depuis, l’arrivée des mauvais bilans du 1er trimestre, ne laissent au VdlC d’autre choix que de tourner :
[1] la croissance janvier mars était de 8,3%. Celle de janvier- juin, est pronostiquée à 8%, celle du second semestre à 6%.
[2] les prix de détail, en mars, ont chuté de 0,9% sur février, de 3,2% sur 12 mois.
[3] le chinois ne dépense plus. En 2 mois, de janvier-février, son épargne aurait égalé celle de janvier-juin 1998. Les comptes entreprises atteignent fin mars 3200MMY, soit + 17,4% en 1 an, et les dépôts privés, 5800MMY, soit + 18,8%.
[4] les banques, de même, rechignent à prêter: leurs prêts, fin mars, atteignent 8800MMY, soit…+ 0,2% en 1 an!
[5] l’exportation a chuté – ce n’est pas une surprise! – atteignant une valeur négative : – 3,6% sur un an, avec 14,9MMUSD en mars. La presse se console en précisant que la courbe s’adoucit : la chute était de moins 10,8% en janvier, et – 10,2% en février.
[6] par contre, les imports reprennent très vifs : + 22% (14,4MMUSD). Ainsi, ne demeure plus qu’un mince excédent commercial : 0,5 MMUSD, face aux 3,58 engrangés en 1998.
Tout cela inclinant les experts à penser que malgré ses réticences, le pouvoir va en être réduit à user des expédients actuels : la baisse des taux d’intérêt,et l’emprunt pour projets d’infrastructures. Justement, 9 grands chantiers, bloqués pour irrégularités, viennent d’être remis sur leurs rails, et deux banques, Everbright et CDB (China Developpment Bank), s’apprêtent à lancer pour 3,5MMY d’obligations.
La conclusion que tire pour sa part le VdlC de ces avatars successifs, étant que la Chine reste fondamentalement en récession, avec des signes avant-coureurs d’embellie.
Médecin à Guozhou (Anhui), M. Zhang (I) porte plainte contre M. Zhang (II), agriculteur, et réciproquement : depuis le 19 janvier, la femme de Zhang (II) gît sous un tas de terre, dans la cour de la maison de Zhang (I), ce qui lui fait du tort – la maison étant également son dispensaire. (II) réclame 300Y, pour enterrer dignement sa légitime, que (I) a envoyé ad patres par une erreur de diagnostic. Le dédommagement réclamé, estime le fermier, est « moins cher que pour acheter un chien » (sic). Mais, choqué, le praticien ne veut rien savoir, et préfère plaider.
A un an et demi, Xie Kaidi est la vedette de Maoming (Canton) : il connaît déjà 2800 caractères, 160 poèmes des Tang et 80 mots d’anglais. Ses parents, tous deux autodidactes, le gavent chaque jour de 20 nouveaux pictogrammes, et espèrent atteindre les 5 000 avant sa deuxième année. Leur angoisse : l’entrée du petit génie en maternelle où, au contact du commun des petits mortels, il risque la régression mentale !
Pékin et Canton, en culture populaire, ne s’apprécient que modérément. Après sondage, ce quotidien pékinois publie neuf raisons –du point de vue nordique, et pas d’une bonne foi imbattable – pour dénigrer la métropole méridionale :
[1] on y « perd le nord »;
[2] pas de bistrots, que des restaurants;
[3] trop de moustiques;
[4] les cantonais parlent le putonghua (mandarin) comme des vietnamiens;
[5] limitée à 4 rues principales, Canton est un «trou»;
[6] les cantonais n’ont pas encore découvert qu’il existait une chaîne de télévision nationale;
[7] leur football est vraiment trop nul;
[8] la neige, connaît pas;
[9] les rues sont infranchissables (avec leurs hordes de voitures, autant que Tianjin et Shanghai réunies).
Dans notre galerie des nouveaux petits métiers, celui de Li Qiuzhong, de Zibo (Shandong) est spécialement louable : il est recouvreur de dettes. Li pratique son office, non pas, comme en Europe, suivi d’huissiers et de pandores, ni comme à Hong Kong, aidé de truands menaçant de vous trancher un doigt, mais avec différents outils plus fins, travaillant sur le registre de la perte de face :
[1] portant uniformes (impeccables) et fanions, ses hommes viennent poliment prier le débiteur de s’exécuter.
[2] le lendemain, ils reviennent, et collent un dazibao à sa porte, le dénonçant à la vindicte de la rue;
[3] si rien ne marche, ils reviennent jouer une aubade au gong au récalcitrant: le succès est fulgurant – taux de récupération des impayés, de 80%.
En Asie comme ailleurs, les mystères de l’âme humaine sont d’une insondable complexité. Mais qu’est ce qui pousse des gens, à travers toute la Chine, à se ruer chez Huang Huiqiong dans le Guangxi, ou chez Liu Huiming (Shan-dong), pour acheter, moyennant jusqu’à 10000Y par personne, des araignées de reproduction ?
Les petites annonces font miroiter des fortunes à faire, sur ces universités (!) qui rachèteraient à prix d’or (!!) la progéniture, pour leurs expériences scientifiques. Bien sûr, quand on téléphone, avec des cageots pleins d’insectes, tout ce qu’on reçoit des acheteurs putatifs, est l’expression d’une grande surprise. Au 9 avril courant, le trafic des escrocs était toujours florissant : nulle loi ne réprime, en Chine Populaire, le commerce des arachnides (communs) !
25 – 29 avril, Pékin : China Med 1999
25 – 28 avril, Shaoxing (Zhejiang) : Foire textile
26 – 28 avril, Pékin/Shanghai : World Economic Forum – le VdlC assurera un numéro spécial.