Rarement on a vu époque moins faste pour Canton, notoire pour ses excentricités, son génie du commerce et un hédonisme exacerbé par son luxuriant climat. Ayant de longue date l’oeil sur l’égotiste province, le pouvoir avait dès 1998, imposé le transfert à Pékin de son premier , tongxiang (« fils du pays »), le Secrétaire du Parti Xie Fei (depuis lors « malade » et sous enquête pour corruption).
A présent, la plus forte reprise en main dans l’histoire post-maoïste est en cours, suivant un scénario sophistiqué, signé Zhu Rongji (inspiré par une « semaine de repos » sur place en février). Canton est le laboratoire, mais les mesures seront étendues au territoire national. Si elles réussissent, la Chine, en quelques années, pourrait juguler son fléau de la corruption !
En matière de contrebande, une ville est épinglée – Zhangjiang – où plus de 100 douaniers, compromis dans une affaire de 10MMY étaent couverts par le chef du Parti : il a été suspendu, les cadres ont été doublés, (c’est à dire remplacés) par des collègues de l’extérieur, et une nouvelle règle de la jilüjiancha (Commission de vérification de la discipline du Parti Communiste Chinois), prévoit, pour tout cas de corruption majeure, la mutation du Secrétaire du Parti local, pour laisser travailler les enquêteurs, libres de toute interférence. Ce qui apporterait, si la procédure est adoptée, une silencieux, mais vigoureux début de réforme politique !
De toute manière, coupables ou non, d’ici deux ans, tous les chefs et sous – chefs cantonais, politiques, judiciaires et policiers seront remplacés par des « mandarins » : c’est la fin de la « cantonese connection ». C’est ainsi qu’à Shenzhen, Pékin arrivent un maire et un Secrétaire du Parti nouveaux (ce dernier, Huang Liman, homme de confiance de Jiang.
Sous l’impulsion du nouveau chef du Parti Li Changchun, la campagne contre les sanhai (« trois vices », drogue, prostitution et jeu) bat son plein. Deux villes sont épinglées : Panyu (où trop de politiciens de Hong Kong ont été vus récemment dans des lieux équivoques),et Leizhou, juste nettoyée de ses sanhehui, (triades), au prix de nombreuses arrestations de gangsters et de cadres complices.
A 57 ans, Shao Ruicai, ex-étoile montante de Canton (ville), Directeur des finances, est depuis janvier un homme fini, en prison pour fraude. La presse l’accuse d’avoir humilié l’appareil : sic transit gloria mundi !
Le dossier des media locaux contre leur ex-leadership, comporte (au moins) 2autres charges : avoir laissé les firmes, en 1998, « évader » pour 1,6MMY de cotisations – retraite (10%), et les villages frauder le planning familial, atteignant en 8 ans une croissance démographique nette de plus de 12% – soit 40% de plus que la moyenne nationale…
Lors du Plenum de mars de l’Assemblée régionale, notamment suite à la faillite du groupe GITIC (Guangdong International Trust and Investment Corporation) effrayante et humiliante pour l’opinion, de nombreux élus « régionalistes » ont « lâché » leur pouvoir sudiste : la voie était libre pour la reprise en main complète, exigée par le Premier Ministre.
Tout se passe comme si Pékin et Canton s’accordaient pour nettoyer les Ecuries d’Augias, les ententes mafieuses et illégales, pratiques vécues désormais comme un luxe insoutenable. C’est ainsi que la crise asiatique est mise à profit par le tandem Jiang Zemin et Zhu Rongji,à travers le « cas Canton »,pour réaliser un double objectif, rêvé et inaccessible depuis 20 ans : reprendre le contrôle des provinces (rétablir ce levier du pouvoir),et endiguer la corruption. Pour Zhu, c’est, avant de reprendre ses réformes verticales (administrations, logement, Entreprises d’Etat) bloquées depuis 6 mois, le grand débroussaillage horizontal. Pour Canton, coincée entre cette purge et la dépression, plus sévère chez elle qu’ailleurs (Canton étant, dans le pays, l’espace le plus avancé et le plus comparable aux « petits dragons» voisins, y compris dans ses exports et ses investissements périlleux, style « bubble economy »), c’est l’ouragan et pour des années sans doute, la fin de l’insouciante arrogance.
Sommaire N° 14