Le Vent de la Chine Numéro 7

du 12 au 25 février 1996

Editorial : L’année lunaire du Rat, sous le signe de la morosité !

UNE ANNEE DU RAT DIFFICILE ! La fête du printemps lunaire, le 19 février, s’approche, sous le signe de la morosité.

Selon la tradition, cette première année du cycle dodécennal est toujours difficile, émaillée de calamités – les rats, affamés, quittent leurs trous pour ronger tout ce qu’ils trouvent, détruisant les récoltes.

Les rats, cette année, seront les prix qui monteront en flèche, à commencer, notent les experts, par ceux des céréales, des matériaux de construction, et des transports urbains (pour ces derniers, +25% en moyenne depuis janvier).

A cette fête nerveuse et déçue, le gouvernement se prépare par des moyens exceptionnels : seuls 40% des « immigrés intérieurs » auront le droit de rentrer chez eux pour le « chunjie« .

A la fois pour alléger le fardeau des transports publics (rien que pour l’aviation, 3600 vols spéciaux en 50 jours), et pour réduire le ressentiment des campagnes face au « luxe » des « nouveaux riches ».

Cette année, le flux de l’exode rural est suivi par un réseau informatique à travers l’ensemble du territoire – 30 millions de migrants sont fichés.

 Les marchés regorgeront de marchandises rares, à prix subventionnés – réveillon populaire garanti.

Mais dans ses commissariats de quartier, la police a reçu consigne de « redoubler d’effort pour sauvegarder la stabilité« , notamment face aux mafias qui recommencent à pulluler : l’ambiance n’est pas à la légèreté!

 


A la loupe : MARS, UN MOIS INCOMMODE POUR PEKIN!

En mars, la Chine compte plusieurs échéances internes importantes: la session de l’Assemblée Nationale Populaire (début du mois); la visite de Boris Eltsine avec un spectaculaire rapprochement sino-russe attendu, (après la vente de 72 nouveaux chasseurs bombardiers supersoniques Su 27); et les élections présidentielles à Taiwan (le 23), que Pékin observera de très près.

Mais à l’étranger trois autres échéances s’annoncent pour elle pleines de risques :

Genève, le Sous-Comité Droits de l’homme de l’ONU pourrait pour la 1ère fois dans son histoire, épingler la Chine;

à Oslo, le Comité Nobel risque de nommer Prix 1996 de la Paix Wei Jingsheng, le dissident n°1, en camp pour 14 ans (Pékin a maladroitement fait pression contre les "Nobel");

– une réunion "spéciale-Chine" de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), convoquée à la demande de Pékin, devrait apporter des critiques américaines sur la faiblesse de la lutte chinoise contre le piratage industriel, et sur l’interdiction de vente d’informations économiques par l’étranger à des firmes chinoises (réveil d’un monopole qui viole les principes de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce))…

 


Joint-venture : Mc Donnell Douglas accuse la Chine de piratage

Ø Mc Donnell Douglas se plaint d’une forme très spéciale de piratage: des équipements à haute précision, destinés à la fabrication de pièces d’aviation, ont été détournés – MDD soupçonne pour la production d’armements. MDD exige des explications et le retour immédiat des outils à leur usine!

Ø "bip": le ministère des PTT vient de choisir comme norme nationale le système Motorola-flex, et ATT vient de remporter le contrat pour une ligne fibre optique de 3600 km, installée le long de la nouvelle voie ferrée Pékin Hong Kong!

 


A la loupe : ‘LA GUERRE DE TAIWAN N’AURA PAS LIEU’

Le Président Jiang multiplie les efforts pour convaincre l’A.P.L. (Armée Populaire de Libération) de ne pas se lancer sur Taiwan avant 1998 : attaquer l’île, rendrait ingérable le retour de Hong Kong à la Chine en juillet 1997.

 D’ici là, en cas de guerre, 200 000 Hongkongais "voteraient avec leurs pieds". D’autres voix se sont élevées contre l’aventure militaire: celle du Secrétaire Provincial du Fujian, voix des milieux d’affaires de toute la côte, qui voient le tarissement des investissements taiwanais irremplaçables.

Et Washington aurait rappelé, pour la 1ère fois, ses "obligations"" en cas d’attaque.

Enfin, l’assassinat (fait rarissime) d’un haut dignitaire, à son domicile, provoque la rumeur d’un règlement de comptes politiques: Li Beiyao était, entre autres fonctions, Président du "Kuo Min Tang", version continentale, miniature du Parti au pouvoir à Taiwan!

La contre-attaque des "colombes" semble avoir abouti: Pékin dément préparer des exercices armés au large de Taiwan, et le régime nationaliste ne note aucune concentration de troupes suspecte…

Mais l’alerte a été chaude, et -morale de l’histoire!- elle expose la fragilité du Président de la République, qui est aussi, sur le papier, Patron de l’A.P.L. (Armée Populaire de Libération)!

 


Argent : Le projet de grand canal Est – Ouest accepté

Ø Depuis lundi 5, le trafic s’est fort amélioré dans Pékin: minibus et Beijing Jeeps ne peuvent plus circuler qu’un jour sur deux, en fonction du dernier chiffre de leur plaque.

Victimes de la mesure : les millions de banlieusards!

Ø Infrastructures: le projet d’un grand canal Est-Ouest a été adopté en Conseil d’Etat, de Tianjin à Yili (Xinjiang, en passant par Pékin, Datong, Baotou, Yingchuan, Urumqi. Le premier tronçon, 1700 km, sera financé par emprunt remboursable un an après ouverture.

Ø D’ici 15 ans, l’usine de matériel ferroviaire de Changchun veut se lancer dans la production de wagons de TGV (vitesse maximum = 300 km/h). Cette usine, la plus grande en Chine, a déjà 17000 wagons classiques à son actif.

Ø Recul de l’Etat sur le projet de réforme des firmes d’Etat, pourtant une des priorités nationales: Li Peng réaffirme dans un discours récent, l’interdiction de licenciements massifs, tant que le pays ne disposera pas d’un système complet de sécurité sociale, de caisses de retraites et de chômage.

Ø Assouplissement partiel depuis 1 mois des règlements des postes vers l’étranger: le poids maximum des imprimés passe de 2 à 5 kg, celui du colis de 20 à 31,5 kg, et tout colis vers Hong Kong, Macao et Taiwan peut désormais inclure une lettre.

Ø Très dense calendrier des expositions, presque toutes internationales, dans Pékin en mars : notamment celles du bâtiment (5-8), du cuir et de la chaussure (5-8), l’expo nationale de la coiffure et des cosmétiques (8-12) des techniques graphiques et du multimédia (12-15),la foire sino-thailandaise (5-10), l’expo de la pêche (12-15), l’expo des caoutchoucs et matières plastiques (19-23), celle du matériel et des techniques agricoles (19-23), celle de la menuiserie (outillages et produits du bois – 21-25) celle de l’aliment et de son emballage (20-24), l’expo municipale des produits cosmétiques (28-31), sans oublier celle des chemins de fer "modernes" (29 mars-2avril)

Ø Parmi les milliers de produits sur lesquels on attend une baisse des taxes à l’importation au 1er avril: les pièces auto vont jouir de coupes jusqu’à 75% -afin de rendre le marché local concurrentiel avec l’étranger.

Exemple : boites de vitesses, arbres de transmissions et freins, de 80 à 20%, et les petits camions diesel, de 50 à 25%!

Ø Inauguration en avril de la tour la plus haute de Chine: à Shenzhen, la tour Shun Hing Square, 384 m.


Pol : Les juristes s’interrogent sur l’euthanasie

Ø Corruption : dans sa guerre -perdante- contre la corruption, l’Etat vient de décider une priorité nouvelle: les premiers corrompus à frapper, seront ceux de la justice et de la finance -Banque, Bourse, immobilier, investisseurs!

Ø Néonazisme : nié par les pouvoirs publics, mais le patron du restaurant Jiawu a bel et bien été arrêté à Pékin pour avoir professé son admiration envers Hitler et Mussolini, "grands esprits du Siècle", dont les portraits ornaient son établissement!

Ø Shanghai: des milieux de juristes lancent une pétition pour la libéralisation de l’euthanasie. Déjà une loi nationale existe, réduisant le droit de convoler et d’enfanter pour tout Chinois souffrant d’un handicap mental ou moteur.

Ø Contrôle d’Internet : Xinhua avoue que des "dizaines de milliers" de scientifiques de l’Académie des Sciences et de ses 102 instituts de recherche communiquent à travers le monde via Internet, libres de toute censure.

 


Temps fort : De Charette à Pékin – une amitié prometteuse, mais chère payée!

Le Ministre français des Affaires Etrangère a réussi son pari de convaincre Pékin d’inscrire la France sur la liste de ses amis.

Premier Ministre Li Peng et Président Jiang ont tout fait pour "donner de la face" à leur hôte, avant la visite de Li en avril à Paris.

Désormais pour le Quai d’Orsay, le mot d’ordre est "objectif Chine", et "c’est à Pékin que se défend l’emploi français"!

Autant que la France, la Chine avait besoin de ce rapprochement pragmatique, à cause de ses relations médiocres avec USA, Angleterre et Japon, et pour faire face aux échéances difficiles de mars (v. ci-dessous).

Pour les firmes françaises, cette embellie arrive au bon moment pour en tirer profit maximum : en 2 ans, leur nombre à Pékin a doublé (de 100 à 200), et les Français recensés sont passés de 2000 à 2400.

Des nouvelles priorités d’investissement se dégagent : agro-alimentaire, systèmes anti-pollution, où la France a ses filières.

Et le ministre se dit "très optimiste" sur les chances européennes d’obtenir à court terme un gros contrat Airbus (20 + 10?), ainsi que la coopération pour la construction d’un avion de 100 places.

Mais la visite du ministre français ne comporte pas que du positif -deux points négatifs peuvent être identifiés :

[1] La "retenue" de Mr. de Charette sur tout sujet risquant de gêner la Chine.

L’apparente autocensure sur les problèmes des droits de l’homme, sur les risques d’action militaire contre Taiwan, ainsi que la décision de Paris quant à la livraison possible de 550 missiles "Mistral" de Matra à Taiwan…

En terme d’indépendance d’analyse, « l’amitié » se paie au prix fort: tout le dialogue se déroule selon les termes dictés par Pékin, donc sur base inégale.

[2] Paris a suivi l’exemple de Bonn, dans le choix d’une alliance à long terme avec la Chine. Mais face à ce pays au poids toujours plus écrasant, du point de vue de l’Europe, où est la solidarité, et où est l’Union?