Bonjour à vous, à toi, ami lecteur, et veuillez excuser cette longue coupure de mon blog, son impardonnable silence. Il a pour cause dix délicieuses journées de découverte de la Birmanie, un des pays les plus surprenants du monde, qui mâ²a offert un saut dans un passé dâ²avant le moteur électrique.
Un monde où nos techniques perdent droit de cité, et tant bien même aurais je cherché à correspondre à travers la « toile » de lâ²internet, jâ²eus été bien en peine de le faire : le seul ordinateur rencontré sur mon périple, dans le hall dâ²un petit hôtel de Mandalay était vieux de dix ans, chauffait après 20 minutes, refermant alors sa lucarne crachotante et aléatoire sur certains sites lesquels évitaient studieusement ma messagerie.
La Birmanie est un  pays de fleurs, de villages, montagnes et rivières. Elle compte aussi, pour près de 50 millions dâ²Ã¢mes, des millions de carrioles à cheval ouvragées, dont le niveau de richesse sâ²Ã©value au cerclage des roues : teck simple pour les pauvres, fer du forgeron pour les moins pauvres, caoutchouc plein pour les « riches ». Très strict, à 100% respecté, le règlement prévoit en fait deux routes : celle de gauche asphaltée pour les véhicules à moteur, et la piste de droite en pur sable ou terre, où les charrettes hippomobiles sâ²enfoncent copieusement en saison sèche, promettant lâ²embourbement irrémédiable à la saison des pluies à partir de mars. Les vrais riches, citadins ou militaires roulent en voitures sur la route de gauche, donc, et lâ²arriération se reconnaît au fait que la plupart des volants sont à droite, dévoilant un âge du véhicule antérieur à 2001, du temps où la Birmanie, ex-colonie de sa gracieuse Majesté, roulait à gauche. Depuis, on a changé de côté,
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mais les conducteurs, faute de moyens, nâ²ont pas fait faire le même mouvement au volant , ce qui altère leur vision et leur sécurité. La taxe arbitraire de 400% sur les véhicules importés nâ²arrange rien bien sûr. Il paraît quâ²elle serait en voie de disparition, sous la pression des jeunes hommes dâ²affaires retournés de lâ²Ã©tranger après 22 ans dâ²exil (depuis 1988, quand les militaires confisquèrent à la « Lady » Aung San Suu Kyi le pouvoir issu des urnes).
Plus encore que les dissidents que jâ²ai pu rencontrer sur place, ces entrepreneurs revenus dâ²Europe ou dâ²Amérique mâ²apparaissent les plus intéressants des Birmans éduqués, car ils ont ont dépassé sans les trahir, les idéaux de leur jeunesse. Ils apportent le seul sang neuf, la vraie nouvelle donne dont a besoin le pays : de la technique, des idées nouvelles, et la certitude simple que la Birmanie a un avenir. Les Birmans souffrent plus de leur isolement mondial que de la dictature. Plus de lâ²humiliation de devoir se taire face aux adjudants qui viennent perquisitionner chez eux la nuit, et du manque de foi en eux, que de la faim ou de besoins matériels directs. Lâ²avenir de ce pays, pourtant existe, et il est brillant – c’est ce que j’ai cru deviner. Ceux qui le savent le mieux, à part les généraux de la junte, sont les Thaïs, qui partagent avec eux une frontière de 2 à 3000km de longueur, du nord vers le sud. A lâ²Est, en Thaïlande, tout est développé, riche, souvent pollué et parvenu au maximum actuel possible de mise en valeur. La Thaïlande fait du surr-place, comme nous-mêmes. A lâ²Ouest Birman, tout est en friche, avec une population pauvre et disciplinée, travaillant dur, suivant ses techniques ancestrales claniques et pré-industrielles, pré-monétaires, qu’elle est encore la seule à n’avoir pas oublié. Ce qui est une richesse, par les temps qui courent, richesse de la différence et de l’unicité, dans les arts de la laque, du bois sculpté, du cuir, de l’argenterie, de la poterie, du fer forgéⲦ
Thaïlande et Birmanie : deux univers aux chances géomorphiques identiques au départ, dont lâ²un a dâ²abord mangé son pain blanc et sâ²apprête à manger le noir, et lâ²autre vice versa. Je vous joins, ci-joint, quelques photos. Si vous en redemandez, on vous mettra aussi quelques clips vidéo méritant le déplacementⲦ
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Depuis de nombreux mois, je voudrais faire dans ce blog des critiques de livres sur la Chine, car jâ²en lis beaucoup, de qualité inégale, aux perspectives variées, mais qui tous offrent des clés sur ce pays, son présent ou son passé. Ou à tout le moins, un bon moment à passer.
Je commence par « ma vie en rouge » - Une femme dans la Chine de Mao, de Zhang Zhimei, chez VLB, au Québec. Câ²est un livre magnifique qui a vu le jour en langue française par le plus grand des hasards, à commencer par une interview à Radio Canada et le soutien de Jules Nadeau, un de ces hommes au Canada qui porte lâ²idée de la Chine et la vulgarise au profit de la société canadienne francophone. Jules, mon vieil ami avait lu « Foxspirit », le texte anglophone original paru une dizaine dâ²années plus tôt. Foxspirit, ou « lâ²esprit du renard » est en culture chinoise l’âme de la femme sans corps, sorcière qui cache sous la robe une longue queue rousse. Rejetée par la société, maltraitée et ostracisée, elle est pourtant aussi indestructible par la puissance de son souffle. Câ²est grâce à l’effort de Jules Nadeau quâ²a pu être traduite et éditée cette belle leçon dâ²Ã©nergie vitale.
Zhang Zhimei y conte lâ²histoire de sa vie. Avec le recul du temps, elle montre la formidable inégalité parmi les hommes (surtout les femmes), et combien le succès ou bonheur dâ²un être dépendent de peu de chose : du temps et du lieu de sa naissance, et de la qualité de la société où il fait ses premiers pas. Le livre monter aussi l’envers de la médaille : plus l’on est maltraité et plus l’on apprend à résister. Dans une Chine si catastrophique, à une époque si délétère, Zhang Zhimei a su déployer une énergie inextinguible et la volonté dâ²assurer sa survie, voire davantage : lâ²expression de soi, sans laquelle la vie ne vaut pas la peine dâ²Ãªtre vécue.
« Zhimei » signifie « arrêtez les filles ». En 1935, le père sâ²Ã©tait vengé sur le nourrisson vagissant qu’elle était, de lâ²incapacité de son épouse à lui offrir un héritier mâle (le couple en était à sa huitième fille). Par la suite, quand elle alla en classe, vaguement honteux de lui avoir légué ce nom si ridicule et chargé de haine, le père nâ²avait voulu se déjuger que dans les détails, convertissant le caractère ï¼å¦¹Â«Â mei » féminin en celui de ç¾Â«Â mei » pour la beauté. Le nom absurde était transformé en « arrêtez la beauté ». Mais après que la jeune Zhang eut choisi de changer æ¢le « zhi » dâ²Â « arrêter » pour è celui dⲠ« iris blanc », il refusa toujours obstinément de respecter ce choix: pour ce père, comme pour dâ²autres sous nos contrées, lâ²enfant était sa propriété, sa projection, et ne pouvait avoir dâ²existence propre hors de sa propre volition.
Autre aspect monstrueux dans la destinée de Zhang Zhimei, le hasard voulut quâ²elle fréquente une excellente école de la rue Wangfujing, au cÅ“ur de Pékin : lâ²académie catholique du Sacré cÅ“ur des Franciscaines, ordre mariste. Dans la glorieuse tradition des ordres religieux, tout en dispensant un enseignement de fer, de la plus belle qualité, ces sÅ“urs françaises avaient sacrifié entièrement leurs valeurs aux intérêts des âmes tendres qui leur étaient confiées. Et câ²est ainsi quâ²en 1949, Zhimei et ses camarades se retrouvèrent à 14 ans agnostiques ⲓ non converties de force au christianisme-, et dotées dâ²un anglais parfait. Avec un tel bagage, ces filles étaient seules parmi des centaines de millions dâ²enfants à pouvoir affronter le tsunami révolutionnaire qui sâ²abattrait sur eux, et ne pas sâ²y noyer, c’est-à -dire garder lâ²autonomie, les yeux ouverts, la capacité de jugement propre dont elles avaient hérité.
Un dernier détail terrible qui allait conditionner son existence, était le CV de son père, qui avait été quelques années banquier au Japon, ce qui vaudrait à toute la famille, le qualificatif de « traître à la patrie » : bonne chance dans la vie, petite « arrêtez les filles » !
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La suite ressemble assez à un film déjà vu, aux témoignages de cette époque : entre « Prisonnier de Mao » par Jean Pasqualini et « Cygnes sauvages » de Jung Chang.
Les souffrances indicibles, la faim, le froid, les procès politiques, les habiles menteurs, qui savent mieux que tous hurler avec les loups et orienter leur feu destructeur vers les plus faibles ou les moins adaptables. Zhimei a pourtant ce fameux bagage, qui lui permet dès lâ²Ã¢ge de 16 ans dâ²Ãªtre recrutée à la Compagnie dâ²import export, puis envoyée dans les années 50 en Allemagne de lâ²Est. Avant de se faire rattraper par les délations, accusations, procès populaires, la prison. Elle nous montre comment elle assure sa survie, notamment en choisissant, parmi les hommes qui la courtisent, celui au meilleur profil communiste apparent, plutôt que le plus créatif et charmant.
Mais « ma vie en rouge » (titre décidément plus pâle et moins beau que lâ²anglais, « Foxspirit ») a une autre vertu qui met ce livre à part. Devenue enseignante, envoyée pour son châtiment à Harbin, elle ne nous cache rien de son calvaire, ni des petites compromissions, désarrois et lâchetés de sa vie réelle. Et notamment, comment elle fut contrainte par un supérieur à se donner à lui, et céda, par lassitude.
Comment, plus tard, mariée avec enfants, elle rencontre Daniel, premier assistant dâ²anglais à son université ⲓ un Canadien. Le bonheur de renouer avec la liberté intellectuelle, lâ²oxygène retrouvé de la pensée propre, les retrouvailles avec des facultés mentales comme lâ²humour, perdues en Chine depuis 30 ans, font bientôt convertir la relation en liaison. Sans tricher, Zhimei avoue comment elle est admise « comme une sÅ“ur » par Martha, la femme de Daniel, comment bientôt elle sâ²insinue entre les deux membres du couple, puis accepte, sur les sollicitations de Daniel, de vivre cet amour qui triche.
Les amants rêvent d’un double divorce, puis de remariage sur place, suivie d’émigration/retour au Canada. Mais au début des années â²80, ces choses là ne se font pas comme cela. Daniel est contraint de retourner au pays où, au lieu de la faire venir, il lâ²abandonne pour retomber dans les bras de sa femme ⲓ tandis que Zhimei, déjà divorcée, est déconsidérée. Finalement, par hasard, alors quâ²elle est au bord du gouffre, elle trouve sur le rebord de sa fenêtre un courrier oublié, quoique salvateur,  lâ²administration canadienne qui comme la justice, mout si lentement le grain de la vie et lui octroie un visa, trois ans plus tard, lâ²envoyant au Kingâ²s College de Halifax (Nova Scotia) où elle émigre, refaisant sa vie.
Câ²est ainsi quâ²insensiblement, au portrait idéal, digne dâ²autant dâ²admiration que de plainte, de lâ²héroïne victime dâ²un totalitarisme et se battant pour la liberté, se substitue celui dâ²une femme en chair et en os, assumant ses désirs autant que ses décisions, et prête à payer le prix et prendre les risques liés à un amour véritable, au-delà des unions de survie et de raisonⲦ Un livre à lire, dâ²un être vrai.
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Merci à tous de réagir à ce message ⲓ sur la Birmanie, ou sur « ma vie en rouge » :  rien que pour me prouver que mon long silence sur ce blog, ne mâ²a pas privé de votre compagnie complice, qui mâ²est précieuse !
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chantal billes
22 mars 2010 à 07:12La lecture de cet article « souvenir birman » m’interpelle après la lecture d’un article du journal Sud-Ouest intitulé Birmanie, le pays forteresse, article dont la lecture a provoqué chez moi malaise et indignation. Point par point toutes les phrases et les mots qui m’ont choqués et interpellés.
-« 70% des birmans n’ont aucune conscience de la dictature, arriérés mais hors de la misère , vivant d’agriculture et d’artisanat antique… »Sur quels critères pouvons nous traiter des populations d’arriérés? certes nous aurions beaucoup de difficultés à mener la vie de certaines ethnies qui vivent en autarcie au rythme de traditions anciennes, que ce soit dans l’état shan ( au village de Wan Nyat les villageois ont refusé que l’eau arrive au pied de leur maison et ont gardé le point d’eau à l’entrée du village, autre culture, autre comportement difficile pour nous occidentaux de comprendre) ou dans les montagnes autour de Kengtung ou dans l’état chin autour du Mont Victoria.
tissage, sculpture, poterie… ne sont jamais catalogués en France et en Europe comme artisanat antique mais ont leur lettre de noblesse en tant que savoir-faire. Deux mondes, deux visions, l’une positive, l’autre négative…
-« L’arriération et la foi donnent à ce pays… » je ne comprends pas , pour ma part en trois semaines au Myanmar j’ai rencontré beaucoup de birmans qui avait un quotient intellectuel certainement supérieur à 80…je vous renvoie à la définition de ce mot.
– moines et armée birmane: « ce sont deux armées qui tiennent la Birmanie et non Myanmar son nom officiel, pouvoir moral et pouvoir des mitraillettes« , il me semble que ce terme armée appliqué aux moines est impropre, certes le bouddhisme imprègne le pays et une forte majorité de la population y adhère en toute liberté et pour certains en conservant le culte des nats.
– » le régime s’achemine lentement vers un partage du pouvoir … » je me permet de mettre en doute les opinions des milieux expatriés de Rangoon, car il s’ avère à travers diverses informations parvenant en Europe, que la loi sur sur l’enregistrement des partis politiques oblige la LND à choisir entre exclure Aung San Suu Kyi de ses instances ou être dissoute, les religieux sont aussi exclus. Dans ce cas où sera le partage du pouvoir?
Une précision sur la manière de pêcher des Inthas, ils utilisent une nasse conique en bambou tressé, qu’ils plongent au fond du lac et a
Moirez
8 mars 2010 à 15:03Ce qui m avait aussi beaucoup frappe en Birmanie , c etait la mainmise de l armee sur l activite economique; c etait tres visible en allant de rangoon vers le rocher d or ou on longe d interminables installations appartenant a l armee; du cote de l afrontiere avec la chine , il parait que c est aussi tres visible ( traffic de pierres precisuses entre autres ).
Merci pour les photos d Inle lake et autres endroits superbes !
Francois Moirez
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Renata
25 mars 2010 à 03:19Images magnifiques de ce beau pays que j’ai eu la chance de parcourir un tout petit peu – envie d’y revenir est bien forte, l’envie d’y voir du Grand Changement l’est encore plus ! Alors oui, j’en redemande, des photos et aussi des vidéos … Merci beaucoup.Renata
Renata
25 mars 2010 à 04:02Bien le Bonjour Eric,
j’ai honte – je ne vous ai pas salué non plus, viens seulement de lire les échanges.
Je suis « en gros » d’accord avec vous, mais hélas pas aussi optimiste, je pense plutôt comme Chantal, concernant le régime au pouvoir : un jeune ami rencontré à ma guest-house – me voilà « suivie » de près, tant que possible ! Et mon ami est actuellement recherché par la Junte, pour avoir fréquenté des Occidentaux (fréquenté un peu aussi le parti de DASSK), il a même du changer de nom. Je suis assez inquiète !
Quant à la différence si criante entre la Thailande et la Birmanie, on la retrouve, moins importante, mais quand même, lorsqu’on se rend de la Thailande au Laos, ou au Cambodge … quoique dans ces deux pays cela change, petit à petit. Mais c’est un retour en arrière, parfois de beaucoup. Il ne faut pas oublier que la Thailande n’a jamais connu de conflit, de guerre, de bombes … de génocide, comme celui des Khmers Rouges et celui, en cours, de la Junte Militaire ! Donc la Thailande a pu depuis longtemps se concentrer sur le développement des infra-structures et du tourisme.
Il m’est difficile de faire une analyse, comme vous le faites, après seulement 2 semaines passées entre Rangoon, Inlay et Bagan ; je suppose qu’il faut être habitué à cela.
La Junte Militaire traumatise encore beaucoup de monde, on la voit partout, que ce soit dans les Pagodes (Inlay) ou dans le train, qui fait le tour de Rangoon en 3h (que je conseille vivement de prendre) : un étranger ne peut pas monter dans n’importe quel wagon, il lui faut être surveillé – mais ils en oublient que du coup, l’étranger peut, lui aussi, observer, quand les militaires passent ramasser un petit billet de chaque vendeur de légumes, se nourrissent à l’oeil, font peur à de jeunes filles, qui montent et s’aperçoivent trop tard de leur présence … grand sourire forcé, mais la peur dans les yeux.
J’ai fait des rencontres très touchantes et dois dire que, pour moi aussi, ce pays est magique ! (J’ai pas mal vadrouiller en Asie).
J’ai rendu visite récemment à des amis Birmans réfugiés en Thailande, donc de l’autre côté de la frontière, et chez mon amie j’ai passé une soirée entière à voir des reportages des Karens en fuite … cela se passe de commentaire ! C’est dramatique ! Un génocide, et pas seulement pour cette minorité là.
Donc, oui, il faut y aller, en individuel, pour ne pas (trop) soutenir avec nos sous la Junte Militiare, mais montrer au peuple Birman notre Amour pour eux et pour leur beau pays !
Merci pour cette belle citation de « Céline ». Profitons ! Profitons aussi de notre liberté pour promouvoir la leur ! Inexistante !
Renata