De samedi à dimanche, vers minuit, la pluie commence – comme la veille, à même heure. Mais cette fois, pour de bon. La nuit de vendredi avait vu des heures de crachin, et une chute de température de 15° à 9°. Celle d’hier soir vit une nouvelle dégringolade à zéro ou presque, et donc la neige. Et pas n’importe laquelle : visez un peu le spectacle, au petit matin. Une chute de très gros et abondants flocons, virevoltant dans l’absence de vent. Et là, quand le temps s’y met, il le fait en grand. A 15h, la lame neigeuse diminue, mais tombe encore.
En bas de chez moi en me levant, jJ’ai vu ce matin un minot de 8 à 10 ans emmitouflé, chaudement habillé, en train de jouer dans l’espace-enfants. Il était seul. Avec application et presque rage, il tâtait de toutes les machines une à une, tobogan, pont de singe, explorant systématiquement cette nouvelle géographie physique de toundra glissante, glacée, immaculée. Je l’ai d’abord plaint, d’être si seul dans ce froid, sans nul copain avec qui partager tout cela. Et puis ensuite, j’ai trouvé le vrai vocable pour le décrire : il était fort, impérial dans sa solitude, et s’amusait comme un roi en son royaume exclusif, à dialoguer avec ses rêves. Regardez un peu…
Je me suis aussi amusé à suivre la neige dans le ciel et les arbres, et les vélos filant sur leur piste embrouillassée.
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C’était un temps parfait pour Halloween, fête païenne pas même ancienne, venue d’Amérique, mais qui gagne chaque année en puissance, vendant l’idée de valeurs idéales de l’enfer, concurrrençant les angelots du paradis. Déjà sur le coup du soir, des petits étaient montés, déguisés, d’étage en étage pour obtenir des gens une poignée de bonbons sous le sésame de « trick or treat ».
Puis vers minuit, la suite se passait à l’ex-usine n°706 d’électronique, immense hall industriel bétonné offert à la Chine dans les années ’60 par la république démocratique allemande, au coeur d’un espace industriel « 798″ aujourd’hui reconverti en centre d’arts contemporains. Comme espace ludique et de réception, le lieu a déjà ses lettres de noblesse, ayant été choisi l’an dernier comme site de la fête offerte aux communautés par Nicolas Sarkozy lors de son passage. Vue la faible estime dans laquelle le tiennent les Chinois, dis-je dire au passage, ce n’est pas demain la veille que nous risquons de le voir revenir.
Ce soir, c’était la Yen Party, fête récurrente à travers Pékin (chaque mois or so), cette nuit dédiée à Haloween, la fête des sorciers et des maudits. A l’intérieur : des milliers de gens très jeunes, dont la moitié déguisés (surtout des étrangers) et l’autre moitié non (surtout les chinois). Le prix du billet, apparemment, ne posait aucun problème à cette population de teenagers à 35 ans max : du genre qui sortent même tous les soirs, y laissant 200 à 500 yuans quotidiens sans y penser.
Thème imposé, parmi les déguisements, on avait pas mal de sorciers et sorcières aux chapeaux pointus cabossés, et des squelettes et blessés aux bandages sur le crâne et larmes sanguinolentes. Un thème qui recoupait assez bien l’inquiétude latente, universelle liée à la récession. Dans la même veine, on avait bon nombre de cornes de Lucifer revues et corrigées par la technologie pour clignoter en rouge, relevant ainsi le maquillage des demoiselles.
L’imagination dans les autres costumes n’avait pas de bornes : collants argentés et surtout dorés aux filles (jupes très courtes pour mettre les jambes en valeur), tenues de soldat grec ou romain, soldats napoléoniens, audacieuses tenues de policier chinois (du genre qui si on vous trouvait en portant une en rue, vous rapporterait quelques jours de prison et l’expulsion subséquente), pirates et garçons de café, moines bouddhistes et puis surtout (pour les éphèbes européens) : le caleçon de bain ou le maillot d’Hercule de foire. Ce qui, vu le froid, la pluie et la neige qui les attendait à la sortie, devrait avoir procuré bien du boulot aux toubibs à l’hôpital ce matin, au rayon grippe (H1N1) et angines (après les farces et attrapes).
La musique tonitruait comme il se doit. Sans être bégueule, je questionne le terme de musique pour cette série monotone de percussions sourdes et physiquement incommodantes, si « whoof » qu’elles en vibraient dans la poitrine. Les disk jockey ajoutaient en contrepoint une mélodie étouffée de guitares et orgues électroniques. Les milliers de jeunes, le plus souvent en groupes, dansottaient entre eux sur place, presque sans bouger du chef ni des membres, se dandinant d’un genou sur l’autre. Sans parler (le boncan les libérait de cette astreinte). Joyeux sans doute, et semblant à l’aise, sous le canon de cette si spéciale discipline. Faisant la queue pour acheter mes tickets de boisson (par cartes de 50 yuans, non remboursable – l’organisation était assez efficace et très directive, faite pour des masses), j’avais rencontré un jeune torse nu et chapeau chinois qui se disait français, de l’université Tsinghua : il semblait un timide en train de se libérer de sa timidité par l’alcool et la danse. On s’était quelques secondes liés d’amitié, avant de nous reperdre dans la foule, nos tickets une fois en main.
Décrire l’érotisme ambiant, est incontournable. Des petites scènes çà et là avaient été ménagées, pour permettre aux courageux de se montrer. Sur chacune, 7 à 8 jeunes s’y trouvaient, garçons et filles, et dansaient à la provoque, comme des cuillères dans leur tiroir. L’un d’eux se livrant au strip du pantalon d’une main, tout en tenant sa partenaire de l’autre. Je réalisais que cette jeunesse-là n’était pas nous, pas ma génération, même au même âge. Une profonde évolution s’était poursuivie au cours de ces décennies, où le rapport garçon-fille était normalisé et dédramatisé pour devenir plus immédiatement partenaires et complices. Tout en dédiabolisant le rapport au corps, qui pour nous, demeure affaire si secrète et complexe.
Tournant mon regard, j’observais le public. Il est peut être utile de noter que sur ces estrades, il n’y avait –encore- aucun chinois. Pourtant, la jeunesse littéraire et artiste est renommée pour son audace et ses provocations : mais pas ce soir. Par contre, les observateurs étaient à 90% locaux, médusés, le regard plein de surprise et d’admiration. A l’évidence, ces jeunes européens ou américains créaient une norme, un idéal auprès de leurs frères et sœurs de la même génération. On peut imaginer que dès qu’on aurait de nouveau l’usage de la parole, libéré de la magie maléfique du lieu, il y aurait de la critique, féroce même, contre l’impudeur de cette exhibition. Mais il y aurait aussi envie de suivre cet étranger dans cette voie, et le courage de le faire, sans aucun doute, un peu ou bien plus tard. En fait, ce que je sentais dans ce contact, était une complicité. L’un jouait pour montrer, plus que pour jouir. O plutôt jubilait de la stupéfaction de l’autre. Lequel émettait les ondes encourageantes de sa satisfaction, d’un ravissement peut-être, de se voir montrer le chemin d’une libération nécessaire et plus très éloignée.
Autrement dit, et pour conclure, j’essaie de m’imaginer la réaction du dissident classique, d’un Wei Qingsheng peut-être, ou d’un Liu Xiaobo (qui est en prison) face à ce spectacle. D’un gars sur la soixantaine ou dix de moins, ayant lutté et réfléchi toute sa vie aux conditions et formes et l’émancipation future. Je soupçonne fort qu’il serait perdu et très choqué face à la fête d’hier soir. Plus encore peut-être que le policier, ou le haut cadre du Parti qui, pragmatisme et expérience aidant, ne s’étonnerait plus de rien et laisserait aller tout et n’importe quoi (il n’a d’ailleurs fait rien d’autre, hier au soir), tant que la provocation lui permettrait de sauver la face, et son pouvoir.
En somme, ce que je voyais hier soir au Yen sous prétexte d’Halloween, enterrait tout le monde de l’ancienne génération. La Chine n’en finit jamais, de « du passé, faire table rase ».
L’avant dernière question ultime étant de savoir si ce que je voyais, hier soir, était la Chine. Et la dernière, pourquoi absolument personne, à ce que j’ai vu, ne portait de masque… médical anti-H1N1 : il y avait de quoi, dans cette fête belle mais insoucieuse créer un formidable bouillon de culture, et aucune autorité sanitaire ou quoi, ne semblait s’en préoccuper…
A la semaine prochaine, et pourquoi ne pas laisser un petit commentaire, sur ces lignes hâtives? (ci-joint : deux vues de san litun, de notre étage, vue rarisssime au point d’être historique (neige un premier novembre) .
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Annie
4 novembre 2009 à 00:02Apres les Mac DO , Halloween et la Techno…..la Chine a bien changé en 10ans!!
jeanne
4 novembre 2009 à 15:34Puis-je penser que, la Chine faisant, au figuré, un peu, beaucoup, la pluie et le beau temps sur la planète, elle peut assurer la neige maintenant ?
J’imagine qu’un jour de 15 aoüt, petit dérèglement du calendrier, un père Noël international, blanc de neige, chaussera des raquettes de chez les Attikameks, sur la place Tian an Men, devant un parterre de chinois, tous habillés Cardin ?
c’est bien en 70 que Lévi Strauss, ce grand homme, parlait du risque d’uniformisation planétaire ?
En attendant…
merci Eric pour l’originalité de tes billets, et la photo des deux élégants masqués…que je reconnais bien !