Le Brésil est avec l’Inde Le pays faisant face à la Chine, son omega, son yang.
Sous prétexte familial (cause noble), nous venons Brigitte et moi d’interrompre l’hiver pékinois (sa pollution), et comblé un rêve d’enfance en nous rendant en ce pays du bois de Brésil. Depuis des mois, nous nous sommes préparés à la rencontre avec ce pays,lisant, rencontrant, écoutant, écrivant, échangeant. Nous avons été puissamment aidés par d’excellents amis – merci, Any, Solange, Marc, Liana, Duda, Malu, Hugo, Haroldo et les autres. Et puis nous sommes partis pour ce territoire de tous les extrêmes. 21 jours dont 4 d’avion –deux aller, deux retour, et encore, à condition de vous soumettre sans pâlir au régime des salles d’attente et salles d’embarquement. Bonjour, jet-lag !
Toujours, durant ce périple, nous avons gardé en tête la Chine, pour comparer ces pays-continents si différents par leur culture, mais égaux en superficie et en espoirs d’avenir. Voici donc mon petit carnet de voyage, suivant nos quatre étapes, São Paulo, Brasilia, Salvador, Rio.
São Paulo
Vu d’avion, le poumon industriel du Nouveau monde latin, consiste en des dizaines de km² de construction sans plan apparent, tissu de maisonnettes d’où émergent en grand désordre les bâtonnets des tours de béton.
Vu d’en bas, le blanc s’alterne avec le vert, celui des jardins autour du parc d’Ibirapuera, et de la jungle qui semble toujours aux aguets, anxieuse de prendre sa revanche.
Contrastes, extrêmes, ce n’est pas ici la douce Europe. Le luxe le plus extravagant jouxte les ruelles délitées, de sites qui, un siècle en arrière, dictaient les élégances. Sur la Praça da Sè, place de la cathédrale, les prostituées de 20 ans en pantalons blancs et hauts de bikini, les visages déjà gercés de désespoir, nuits blanches et humiliation attendent le client, à deux pas des clochards jeunes encore, dormant à même le sol, sans nul souci de leur image, tandis que des hommes indistincts, au regard félin rôdent arme à la main, en quête d’un pigeon à plumer. La violence est ici comme une brume, presque palpable.
Les riches (ou moyen-riches) se protègent. Leurs immeubles à étages sont protégés comme des ambassades, avec double sas d’entrée et gardien débonnaire mais armé. Tout le monde ici a une histoire à raconter d’ « assalto », comme celui de cet homme pressé ayant omis de fermer sa porte dans les toilettes, qui vient d’être braqué en train d’uriner, pointe du couteau sur les reins, allégé de son portefeuille et de sa montre.
São Paulo est la ville mal aimée du Brésil. Les Cariocas (de Rio) la méprisent, en tant que richarde et affairiste, et la jalouse de l’influence dont leur ville a été dépouillée avec son statut de capitale. Ceux de Brasilia la détestent, car elle lui fait de l’ombre, avec ses 21 millions d’âmes qui vivent en club entre elles, élite des affaires, plus riches que les autres, et qui se moquent de son pouvoir à elle –la politique. Tandis que les noirs de Salvador, bien sûr, voit en eux le mauvais souvenir – celle des anciens maîtres esclavagistes qui fouettaient leurs ancêtres sur leurs fazendas de canne à sucre et de café. Tous en cœur vomissent son arrogance de parvenu, son succès – et sa manie quasi allemande, stakhanoviste du travail…
Envers nous pourtant, cette société pauliste ne cesse jamais d’être aimable et souriante, bien élevée et même passionnée de rencontrer d’authentiques européens. Plus encore, quand ils apprennent que c’est de Chine que nous venons. Nous avons été fastueusement reçus en leur villa par Jorge et Liana, intellectuels multilingues amoureux de Paris et de la France. Jorge est professeur en médecine, une sommité mondiale en recherche médicale. Notre soirée s’est passée au jardin, 3 jours avant Noel, autour de verres de Caipirinha, la boisson nationale (Cachaça, citron écrasé, sucre de canne et glace) et de diverses saucisses et pièces de viandes divinement grillées à la churrasqueira privée du domaine. La grillade de Jorge obéit à des règles strictes : aucune marinade n’est de mise, pas plus que les épices qui dénatureraient le goût de la « carne » tendre à souhait, élevée dans les régions sudistes autour de Porto Alegre –parmi les meilleures viandes au monde. Tout au plus un peu de gros sel est saupoudré pour préserver du dessèchement, voire un léger laquage d’eau et de miel juste avant de servir.
Cousine de la nôtre en sa latinité, la langue portugaise est un allié précieux pour deviner les valeurs contradictoires de ce pays. Ainsi, par ici, la « denuncia » est un sport national, où le délateur « donne » à la police le corrompu, par téléphone, avec garantie absolue de voir préserver son anonymat. Ce qui a dernièrement permis à Dilma Rousseff, l’actuelle Présidente, en moins d’un an, de chasser jusqu’à 7 ministres, tandis que plusieurs grands mafieux qui terrorisaient leur « favela » au moyen de leurs bandes armées, pour y conduire leur trafic de drogue, tombaient sous les verrous. Cette « denuncia » est donc une valeur « à l’américaine », partagée aussi par l’Allemagne et l’Angleterre, où la société civile n’a pas honte de livrer les bandits à la police. Mais en même temps, partout au bord des routes, nous sommes avertis de respecter les limites de vitesse par un contrôle radar, ce qui se dit ici « fiscalisation électronique » : usage bien équivoque d’un terme « fiscal » conçu à l’origine pour refléter la contribution citoyenne au denier de l’Etat. Au Brésil, le voilà rabaissé au rang de vulgaire contravention, avec une connotation de répression voire d’abus : émerge alors l’image ombreuse d’un Etat arbitraire ou voleur, d’un malgoverno à l’italienne (ou à la française), en qui le Brésilien moyen n’accorde qu’une mince confiance.
Dans les parcs et les rues, la moitié des gens visibles, souvent de 20 à 35 ans, courent, joggent à s’en crever les poumons, équipés des compteurs et GPS les plus perfectionnés. Moins, par amour de la culture physique, remarque Solange, que sous la dictature de l’image du corps propre, de l’hédonisme, de l’impératif des hanches de guêpe. Sous cette contrainte se pratiquent aussi des millions d’opérations de chirurgie esthétique par an : rectification des seins, des fesses, du visage, liposuccion (qui, à SP, ne coûterait que 60 euros la séance), toutes opérations offertes par les parents pour un anniversaire, ou bien à un an d’un mariage planifié – démarrage du compte à rebours. Ce qui, à mon sens, est une erreur philosophique (refuser son corps vrai, considérer la vieillesse comme une tare, tandis qu’au niveau de l’Etat, le gaspillage est insoutenable. Imaginons le nombre de salles de classes qu’on aurait pu créer, de dispensaires de vraie santé, avec ces milliards d’euros ainsi grillés.
Mais en ce pays de contraste, tous les autres, plus âgés ou bien plus pauvres, sont obèses, en surpoids outrageux, et s’y résignent sans plus de manières –prix à payer pour une alimentation trop riche. Apparemment, le Brésil a été pauvre jusqu’à très récemment, le tournant n’intervenant que vers 2005. Alors, la Chine a commencé à importer du Brésil et de partout ailleurs du minerai de fer, du pétrole, du blé, du soja. Les prix ont explosé. Le Brésil a décollé.
En terme alimentaire, sa réaction est celle de tous les pays jeunes, Etats-Unis compris : dès qu’on en a les moyens, de s’en mettre plein la lampe. Deux restaurants se partagent au Brésil le marché de la faim, deux variantes du « self-service » : les « rodizio » – à prix fixe et à volonté-, et les établissements au « quilo », ce dernier installant une balance au tiroir caisse, afin que chacun paie au poids consommé. L’un et l’autre permettent au citoyen d’ingurgiter des assiettées gargantuesques de vivres et viandes de deuxième qualité, chemin le plus court vers la surcharge pondérale.
Le temps pauliste est bien variable, partagé entre pluie, vent par bourrasques et soleil ardent, mais il ne fait jamais froid. En sus du parapluie, la chemisette, la robette sont de rigueur, ce qui est pour beaucoup dans le sourire des gens et la générosité expansive de cette végétation qui nous entoure, regroupant toutes les essences d’arbres de la Terre, de l’hévéa au flamboyant, à l’hibiscus sans oublier le caféier et le gingko biloba. La même biodiversité se retrouve parmi les hommes, les ethnies du Brésil qui bouillonnent et se fondent au fond des lits, creuset culturel. Le Japonais (1ère communauté hors du Japon) côtoie le Libanais, l’Italien, les Hispanos, les provinciaux, comme les Brésiliens mal-aimés du Nordeste, une source importante d’immigration intérieure. La plupart sont regroupés par clubs (sportifs, chapelles) : pour se défendre en tant que groupe, contre l’impérialisme du « paulistano », natif de São Paulo pur et dur qui conserve tous les pouvoirs sans en rien partager, sauf son sentiment écrasant de supériorité sur les autres…
Je remarque enfin, en cette métropole aux dimensions extrêmes, un goût prononcé pour la culture littéraire et artistique, les beaux arts, l’élégance. Il n’est pour s’en convaincre, que de visiter l’admirable Museu das Artes de São Paulo (MASP), planté en hauteur sur ses pilotis et qui renferme tous les grands noms de la peinture occidentale, de Rembrandt à Picasso. Lors de notre passage, deux grandes expositions très créatives retracent l’histoire de cet art pictural, respectivement dédiées au portrait et aux paysages à travers les siècles. Le savoir– faire des conservateurs n’avait rien à envier au travail des musées d’Europe et d’Amérique. Chapeau, mesdames et messieurs.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui : je vous convie à une petite promenade photo à travers l’univers « paulista », avant de repartir, semaine prochaine, vers Brasilia, la capitale démente créée par des cerveaux visionnaires à travers la jungle neo-amazonienne du sertaõ. «tchau-tchau », comme on dit là-bas !
La couronne de verdure – au loin São Paulo, la Mégapole
Parc Ibirapuera
Art contemporain dans le Parc
Avenida Paulista
Publier un commentaire
frederique
12 janvier 2012 à 18:39ah ah ah bravo c’est extra…. bise à vous