Partis ce dimanche à une petite dizaine, avec Laurence, Olivier et leurs enfants, ainsi qu’Héloïse notre fille, et Julien, jeune ami, en équipée bouffée d’oxygène, vers une de ces centaines de vallées et collines entourant Pékin.
Cette fois-ci, renonçant à nos succès garantis de toujours, nous partions à l’aventure, en quête de l’inconnu. il faut dire que tous ces sites que nous pratiquons depuis depuis 20 ans, parfois disparaissent et se délitent, comme la « piscine olympique », ou la « petite yougoslavie » (du fait de tous ces nationaux qui s’y retrouvaient le dimanche pour faire leur barbecue, boire leur bière et slibowic, ou bien, comme la vallée des truites ou Huanghuacheng. Certains sites s’équipent, passent insensiblement au système fric, laissant au sol les bouts de verre et détritus de picnic, deviennent impraticables, pollués par le tsunami touristique de bien-être au petit pied.
Cette fois-ci nos pas se tournaient vers la grande vallée de Hong Luo Hui Yuan, à Huairou, aux trois petits cloitres de Chaoyangsi, que Naiming, amie taiwanaise, en fine connaisseuse, nous avait recommandés.
Comme toute la région, il s’agit de montagnes au climat sec la plupart du temps, dont la couverture végétale se remet en place suite à un vif effort des autorités et des villageois : pins, gingkos, genre platanes, paulownias.
La gardienne à l’entrée du site récemment ouvert, exigea de nous le paiement d’un billet, mais se montra étonnamment coopérative, acceptant de transiger à 4 entrées (les « adultes »), fermant les yeux sur les 6 « enfants » dont trois de 17 et 23 ans. Ce détail, déjà, en fait, était typiquement bouddhiste. Car sur les sites tenus par l’Etat, ou par les villages, on ne cède rien, l’argent est primordial.
Puis vers les monastères, une surprise nous y attendait, sous la forme de versants soigneusement entretenus, de sentiers parfaitement balisés, d’une herbe plantée régulièrement au sol, d’une bambouseraie tout le long du petit torrent aménagé. Partout des panneaux engageaient le visiteur à respecter le site, mais d’une manière non autoritaire ou comminatoire : « prévenir l’incendie, cela commence en moi-même« , plutôt que « prévenir l’incendie, tout le monde est responsable » !
Puis voici, au terme d’une brève bifurcation, la première construction, le « couvent ». Il frappe par sa petitesse, la pauverté des matériaux, et sa réalité : c’est un lieu de vie, dont l’unique chambre est fermée par un humble cadenas, les affaires (sous-vêtements, couvertures, brosse à dents) proprement rangées sur les matelas, derrière la porte vitrée. Selon la tradition, les piliers, le toit est rouge, le sol de pierre grise (c’est la seule partie ancienne), les murs de brique recouvertes d’enduis. Pas plus de 5 personnes habitent le lieu à présent désert.
Nous continuons et bientôt arrivons au site principal, précédé selon la tradition d’un escalier, d’un portail. L’intérieur est à peine plus grand, composé de deux terrasses, la première consacrée à l’habitat, la seconde aux exercices et à l’étude. A la supérieure, la chapelle, rutilante de faux or et de pourpre, l’inévitable statue de bouddha, mais aussi une vingtaine de pupitre bas, et de petits matelas destinés à accueillir les étudiants accroupis en position du lotus.
Le lieu est désert, à l’exception de Ruhui, l’aspirante, que nous surprenons prenant le soleil dans la cour, en lotus sur un fauteuil (position sans doute moins confortable qu’elle ne paraît), les jambes protégées du froid de novembre par une couverture. Petite, avenante, elle se relève vite pour nous faire les honneurs du site, et sans nous envahir, nous expliquer l’esprit du lieu.
Ruhui est son nom bouddhiste. Du lundi au vendredi, elle est institutrice, et s’occupe de deux classes d’élèves dans une école pékinoise. Elle est mariée, mais ne veut pas d’enfant, et à l’évidence, son mariage compte peu pour elle, comme une convenance, ou une protection sociale. Sa vraie vie est ici. Ruhui nous explique que les 20 moines habitant ce lieu, gros ermitage plutôt que monastère, sont comme chaque fin de semaine dans le très grand bâtiment tout moderne, aux toits bleus que nous avons croisé en bas dans la vallée. En train de dispenser des cours gratuits de tout un tas de chose, comment faire, comment servir, comment boire le thé, quelles bonnes manières, comment maîtriser sa colère, ses fous-rires ou généralement, toutes ses émotions négatives ou dévorantes. comment atteindre le juste milieu de soi-même et du monde, à la mode bouddhiste. En ce lieu, on peut aussi être logés « au prix que l’on veut », voire gratuitement. Tout est dans l’enseignement.
.Ruhui au temple de Chaoyang (Huairou)
Nous apprenons que cette vallée a été remodelée, paysage et habitat, par les frères et les villageois assistés d’artisans locaux, payés par les dons des fidèles, avec une rallonge par le village en mal de développer sa vocation de tourisme rural et de week-end. L’Etat n’est pour rien dans cette renaissance de sites religieux qui existaient depuis des siècles, en liaison avec un ordre originaire du nord du Hunan. Et ces bouddhistes nouveaux se sentent une mission urgente de reboiser l’âme humaine, comme ils ont aussi reboisé la colline, de redonner aux gens des formes gracieuses et le sens de la compassion, y compris pour soi-même. Ainsi, le geste du lotus, ce salut les deux mains jointes posées sur le sternum, signifie, dit Ruhui, donner confiance, avant tout à son être intérieur. Ru Hui rêve elle même de quitter la vie mondaine, d’entrer dans ces ordres – mais « pas maintenant, et pour l’avenir, seul Bouddha sait – dans mon coeur« .
Les fidèles seraient jusqu’à un million dans Pékin, sur 15 millions de population, et les moines et nonnes atteindraient déjà 10.000, progression remarquable, si l’on sait qu’en 1987, quand nous sommes arrivés, les religieux cloitrés ne devaient pas dépasser quelques centaines, entre lamaïstes du temple des lamas, taoïstes du Baiyunsi, et une poignée d’autres.
Toute cette conversation se déroule dans la salle commune de la terrasse inférieure, autour d’une immense table basse carrée, celle des frères bien sûr, derrière une minuscule tasse de très bon thé que Ruhui nous remplit inlassablement. Nous nous quittons, enchantés les uns de l’autre, et de l’excellent échange.
A la semaine prochaine !
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pere annie
19 novembre 2008 à 21:02comme toujours , une vraie bouffée d air pur le blog d Eric.!!!
Une vraie reflexion sur le sens de la vie
Ballèvre
20 novembre 2008 à 15:30Comme quoi, même après 20 ans de Chine, on découvre encore des endroits inexplorés et inattendus ! Une rencontre incroyable avec une jeune enseignante prête à faire découvrir une religion, un art de vivre et offrant gratuitement sa gentillesse… Un vrai régal de lire tout cela sous la plume d’Eric Meyer !
Julien
4 décembre 2008 à 15:36Un commentaire, un peu tardif certes, mais n’est il pas communément admis que le temps en Chine possède une tout autre dimension?
Un commentaire donc, disais-je, mais de qui? Et bien du »jeune ami » mentionne au début de ce récit; récit que dis-je? Tant il est vrai que sous la plume de notre cher Eric tout récit, quel qu’il soit, prend une tout autre tournure, plus féerique, bien que décrivant des faits réels, comme une certaine manière de dépeindre la réalité sous une autre lumière, plus belle, plus vraie…
Et donc un commentaire, oui, mais pour dire quoi? Et bien tout simplement pour vous conseiller – oui vous lecteurs téméraires et persévérant qui osez aller au bout des choses – de prendre le temps de découvrir un autre visage de la Chine a quelques dizaines de kilomètres seulement de la capitale, de faire l’effort d’aller vers ces humains comme vous et moi et qui cependant poursuive une vie très différente de la notre.
Tout simplement prendre le temps de réapprendre a prendre le temps et d’ouvrir son esprit a l’inconnu, d’ouvrir son coeur a la magie…
Allez-y!!
Horace
15 décembre 2008 à 14:07Il faut arreter la masturbation mentale hein les cocos ! On a compris, sous la plume de Maître MEYER, le fait le plus banal devient inoubliable, et en plus, c’est vraiment trop un expert, il connait la Chine mieux que votre mère ! C’est vrai que sortir un peu de Pékin ca change hein !
« une vraie reflexion sur le sens de la vie » haha mdr !!!