Bonjour, je vous écris depuis le train CRH 2012, Taiyuan-Pékin, en provenance de Pingyao où nous venons de passer le week end. Un train tout neuf, à la pointe de la technologie chinoise, qui tient ses promesses, raisonnablement confortable. Dans sa livrée blanche, ce train pousse des pointes gaillardes à 239km/h, mettant les 530km entre les deux villes à 3h et demie lâ²une de lâ²autre. Ce qui nâ²atteint pas ⲓencore- les vitesses du grand frère français, allemand ou nippon En fait, ce « TGV » nâ²est quâ²une version intermédiaire, le temps pour les industries chinoises de digérer cette leçon si vite apprise. Dès maintenant, la ligne Pékin Tianjin pointe à 350km/h, et passé 2010, pour la ligne stratégique Pékin-Shanghai, le ministère des chemins de fer annonce déjà des vitesses commerciales de 480km/h, qui dépasseront celles pratiquées en Europe.
 Il faut le noter : la Chine nâ²a mis que dix ans à dévorer cette technologie et à se lâ²approprier, invitant toutes les firmes productrices de TGV (Alstom, Siemens, Mitsubishi, Bombardier, pour ne nommer que les principaux)  à sâ²installer et concourir sur son territoire, leur achetant ce quâ²elle ne savait pas encore faire, quelques rames en plus par ci par là , négociant sauvagement pour obtenir en échange le transfert partiel ou total des droits de propriété. Voire copiant pur et simple, quitte à modifier un peu, en jouant sur les solutions mises au point 30 ans plus tôt par chacun de ces rivaux mondiaux. Cela semble désinvolte – mais un siècle avant, que faisions-nous, entre Français Allemands Belges et Anglais, à nous piquer les petits secrets de nos locos ou filatures à vapeur ? Tel est le sort de toute technologie mature, de voir sâ²effriter sa valeur de revente, inversement proportionnelle au nombre de pays qui la maîtrisent: seule une technologie exclusive, permet à son maître dâ²en négocier la distribution du fruit ou du service (et non lâ²octroi de la licence). Tout le reste est « peine perdue ».Â
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En même temps que lâ²outil nouveau, arrive le service. Câ²est pour la Chine une rupture culturelle. 10 ans plus tôt, les chemins de fers chinois ne passaient pas pour le lieu le plus raffiné du monde, ni le plus propre. Mais à présent pour chaque wagon, une préposée jeune et souriante, en bel uniforme, hante avec pelle et balayette ou bien un grand sac poubelle, pour traquer le mouchoir souillé, le journal déjà lu, les reliefs de pique-nique, avec une serpillière pour humidifier le sol. Résultat : le train est nickel, jusquâ²aux toilettes qui offrent en option le protège-selle en papier jetable. Ce personnel est dâ²ailleurs suréquipé : avenante mais très ferme, la contrôleuse des billets est branchée en direct par son casque émetteur avec le policier du bord, en renfort en cas de pépin. Elle surveille aussi et ajuste les bagages dans les filets, quâ²ils ne se déplacent ni ne chutent lors des vibrations, qui sont fortes une fois passée la barre des 200km/h.Dernier détail qui nâ²est pas très typique en ce pays : ce train communique beaucoup, pour faire la publicité du groupe sur les écrans de TV, et pour réactualiser à tout instant les données du voyage, la température intérieure et extérieure, la prochaine gare et bien sûr, la vitesse.
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Pingyao, cÅ“ur de la plaine du Shanxi, bassin du Fleuve Jaune. 500.000 habitants dont moins de 20% dans lâ²agglomération-même. Pour les lecteurs qui lâ²ignoreraient, Pingyao est une cité médiévale, une des quatre encore dotée de ses murs que les rois puis les empereurs établissaient partout à travers le pays, pour résister aux invasions ou guerres de conquête si bien décrites dans des romans comme « les trois royaumes ». Les trois autres étant Xiâ²an (Shaanxi), Nankin  (Jiangsu) et Shangqiu (Henan). Elle est la perle du Shanxi, pierre précieuse de vieilles briques et tuft sculpté dans son écrin de murailles, admirable témoignage d’un âge d’or d’humanité qui nous rappelle notre propre destin, sans se confondre à lui : deux cultures et voies de croissance pour l’humanité (deux parmi mille) : deux cordes à l’arc tendu du génie humain tendu vers son avenir.
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Au fil des millénaires, la ville a donc préservé sa muraille, drapée de brique cuite vers lâ²extérieur (pour résister aux opérations de sape), crue vers lâ²intérieur. Millénaires, car les travaux ont débuté en 800 avant notre ère. Sur la crête du mur, à 10m de hauteur, on trouve tous les 100m une guérite et tous les 250m une tour corps de garde, et huit poternes dont celles nord-sud-est-ouest. A lâ²intérieur, toute la ville est ordonnée selon des valeurs sacrales et cosmogoniques incluant les espaces des Dieux, des ancêtres, les axes pour le trafic humain et ceux pour les méridiens. Comme le fut aussi Pékin, avec aux points cardinaux les temples taoïste et bouddhiste (ce dernier aujourdâ²hui disparu), confucéen et militaire (si, si, il y a un temple aux Dieux des armes), le palais administratif et le « yamen », tribunal. Aux bords des rues étroites, les maisons sont pour la plupart de brique, aux larges espaces de fenêtres aux petits carreaux dans leur mosaïque de bois, et aux toits de tuile demi-ronde grise, isolée des rudes hivers par une épaisse couche de torchis de paille.Pingyao porte en soi une énigme : comment cette ville qui porte partout les stigmates dâ²une prospérité séculaire, avec son art, sa statuaire, ses multiples édifices publics et ses maisons bourgeoises, palais aristocratiques aux multiples courées (le film « les lanternes rouges » de Zhang Yimou lâ²Ã©voque bien : le palais où fut tourné ce drame de harem, se situe dans la région de Pingyao) ⲓ comment cette ville donc, a-t-elle à ce point perdu entièrement sa richesse et nâ²en porte plus que les stigmates ?
Jâ²ai une réponse en tête, qui devrait valoir pour beaucoup de lieux de Chine, que ce soit dans lâ²Anhui (Huangshan), le Sichuan (Dujiangyan) ou le Hebei (Cangyushan). Depuis bien avant le Christ jusquâ²au XVIII. Siècle, la Chine fut riche de son artisanat, mis au point et transmis au fil des générations, mettant en valeur les richesses locales avec une faible dépense en matières premières, énergie et beaucoup de bras. Métiers simples et ne nécessitant pas une grande formation théorique ou scientifique, même si leur savoir-faire exigeait de longues années de formation: soieries, porcelaines, fonderie, ébénisterie, travail du bois et du bambou. On produisait, on échangeait (par jonque, par caravanes) on sâ²enrichissait de province à province. Puis au XIX., arrive lâ²Europe, avec lâ²industrie : câ²est pour la Chine la fin de son monde antique. Là , il faut des ingénieurs, donc des universités, écoles etc, que le pays n’a pas -encore. Une vision du monde nouvelle, expansionniste, capitaliste, que la Chine ne pourra rejoindre qu’au bout de deux siècles et au prix d’efforts et souffrances inouïes. Mais après tout, ce sont six ou huit siècles de moins que nous mêmes, européens. Tous les parents savent çà : les seconds enfants de la famille, boivent et dévorent le savoir acquis péniblement acquis par le premier. Ils le rattrapent, en copiant ssur lui.
Et puis il faut de lâ²eau. Or, nous dit notre logeuse, Pingyao, le Shanxi, cette Chine du centre-nord nâ²en a pas, dâ²eau. Ceci lui a évité la pollution ⲓ mais lâ²a aussi privé petit à petit de toute matière à vendre, lâ²a doucement mais sûrement étranglé.
Pire : la seule chose dont dispose la province, est le charbon ⲓmais le gouvernement socialiste privilégie la ville sur la campagne, la côte sur l’intérieur, et lui distribue ce trésor du Shanxi à prix dilapidé, maintenant sa caisse vide. Aussi la ruine locale est inévitable et pathétique. Les briques des maisons sont creusées par le vent. Les toits tombent. Pour une maison restaurée, 20 sont en triste état et deux sont des épaves inhabitées. Quand une maison tombe, tout se récupère, les tuiles, les briques, (celles qui sont encore bonnes, celles marquées dâ²un tampon en biscuit, identifiant leur dynastie dâ²origine), que lâ²on stocke un peu partout, le long des murs et dans les courées, pour plus tard, à tout hasard. Car on sait quâ²en cas de travaux immobiliers, on n’aura pas les moyens dâ²en acheter des neuves.
A Pingyao, la moitié des maisons sont propriété de lâ²Etat : décimées, endettées ou parties pour la côte, les familles ont disparu, laissant sur place le squelette du foyer ancestral.
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Reste à Pingyao son passé. En 1986, la ville, pour sa beauté et la pureté de ses lignes, son histoire lisible à travers ses rues (son musée vivant) a été classée patrimoine de lâ²humanité par l’UNESCO. Immédiatement, elle sâ²est mise au travail pour repaver ses plus grandes rues, restaurer ses temples et édifices, pour imposer la zone piétonnière, ouvrir partout des dizaines de musées sur les thèmes les plus divers ⲓ religieux, administratif, de métiers. Et puis en 2000, elle a lancé son festival international de la photo, dont elle inaugure, ce week end, la 9ème édition.
Et croyez-moi, cela vaut le déplacement, moins pour les clichés exposés, que pour le rassemblement des gens et leur enthousiasme. Deux personnes sur trois portent un appareil ⲓpresque toujours digital, souvent dâ²un certain prix. Ils se prennent en photo les uns les autres, afin de remporter le trophée de la meilleure image saisie en cet espace et durant ce temps. Nous avons dû être pris quelques centaines de fois en 48 heures, capture de choix, des étrangers.
Dâ²autres participants sont les professionnels, chinois, ou étrangers, qui traitent lâ²endroit comme une bourse ou un salon. Car un enjeu immense se profile, à travers des groupes comme Xinhua, Quotidien du Peuple ou PixPalace (France), qui veulent placer toutes les photos professionnelles prises chaque jour en Chine ou dans le monde, chez tous les clients potentiels (journaux, TV, éditeurs), en basse définition pour leur permettre de consommer davantage de photos et de les commander pour recevoir instantanément, cette fois, la haute définition et la licence dâ²utilisation.
On voit aussi, venu de tout le pays, des centaines de petits exposants amateurs, la plupart journalistes, enseignants ou autres, qui sont venus présenter une 20aine de leurs clichés, sur des thèmes aussi différents que le problème de lâ²eau, lâ²ornithologie, les vieillards ou leur ville natale. Voire dâ²universités entières, ou de clubs de photos de tout le pays, qui sont au rendez vous. Le PIP (comité organisateur) leur a alloué gratuitement une allée dans un temple, hôtel ou monastère. Leur « danwei » leur a offert les frais de voyage. Et ils sont là pour défendre leur art, leur région, leur avenir. Bons enfants, souriants, tous prêts à tout pour obtenir deux minutes de votre attention. Souvent, ils viennent de ville qui ressemble à Pingyao, mais qui nâ²a pas eu sa chance. Et en bons défenseurs de leur région, ils vont très loin pour nous convaincre de venir voir. Lâ²auberge où nous nous sommes posés pour déjeuner, abrite lâ²exposition d’un groupe de photographes amateurs de la ville de Shangqiu : un des leurs, grand et beau gars pose sur notre table une bouteille dâ²alcool blanc quâ²il nous décrit comme le meilleur de la ville, pour nous inciter à venir la découvrir.
De même, sur une place, une troupe de monstres masqués, annoncés par des étendards de guerre antiques, manient vivement les tambours : ce sont les « coloratura drums » de Xiangfen, dont les tons verts, noirs, rouges et jaunes dâ²opéra traditionnel annoncent les vertus guerrières. Une jeune femme mâ²initie en quelques minutes à leur endroit : leur ville à eux aussi est chargée de millénaires et dâ²architecture antique, musée vivant légué. Et en plus, ils ont le site préhistorique de villages sur pilotis au bord de leur fleuve, qui est le plus vieux dâ²Asie, plus vieux que Zhoukoudian, le site de lâ²homme de Pékin. Un policier en uniforme me sourit lui aussi, de toutes ses dents déchaussées, dans lâ²espoir de me convaincre. Tous sont montés, tôt le matin, dans le bus affrété par la mairie pour avaler les 180km qui les séparent de Pingyao. Ce soir, croyons-nous, ils seront de retour.
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Ainsi, tout Pingyao sâ²est faite belle et fait la fête ⲓ et la caisse- avec ses milliers dâ²hôtes dâ²un jour. Sur la muraille, et dans la zone piétonnière où seuls en fait de véhicule, les vélos passent, câ²est le crincrin, les ventes de colifichets ⲓ tout mur libre de la ville affiche des dizaines de posters hâtivement apposés, puis décollés par le crachin intermittent.
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Revisitant le temple taoïste, je détaille avec ravissement des statuettes de dieux humanoïdes dâ²un mètre de hauteur, dédiées aux signes du zodiaque chinois (serpent, tigre, dragon, lapin, bÅ“ufⲦ). Le temple n’a pas encore été restauré : des portes cloutées immenses sont détachées de leurs gonds et pourrissent doucement sous la protection fautive de leur grand toit. Tout comme des morceaux de statues de bronze qui devaient mesurer quelques mètres dâ²envergure. A lâ²intérieur non éclairé, à lâ²aide de ma petite lampe, je devine des fresques Ming. Devant un autel apparaît un moine taoïste dans sa tenue traditionnelle, guêtres et pantoufles noires, pantalons bouffants, vareuse tabac boutonnée par devant, coiffe en mitre dâ²Ã©vêque. Lâ²homme au sourire de miel, épée cachée derrière (câ²est un proverbe chinois qui parle de traitrise) me tend trois batonnets dâ²encens, mâ²aide à les allumer. Par politesse, je ne refuse pas. Il mâ²invite à me prosterner sur le reposoir à genou, devant une statue divine. Je lui fais remarquer que je suis chrétien ⲓ « aucune importance », me dit-il, toutes les voies dâ²adoration mènent au ciel ». Puis il plie un morceau de papier jaune tamponné dâ²Ã©carlate, le fourre dans mes mains jointes, les entoure dâ²une étole dorée, se met à réciter une incantation à vitesse grandiose, et qui nâ²en finit pas. Il touche à plusieurs reprises ma tête, en signe de bénédiction, et finit par me faire ouvrir un livret en plusieurs pages, pour une prédiction de mon sort, qui finit toujours invariablement par une promesse dâ²excellente santé, de richesse, et de succès en général.
Le fin mot arrive. Il me sort un cahier de passage des visiteurs : Geert van L., Netherlands, 200 yuans. Jonathan B., UK, 100 yuans, Alessandro F., Italia, 500 yuans, etc, avec une place libre, comme par hasard, tout en bas de la page. Il mâ²invite à inscrire à mon tour mes coordonnées, tout en donnant « ce que je voudrais , en toute liberté ». Jâ²ignore si ces braves prédécesseurs se sont réellement faits piéger à payer des aumones si extravagantes, jusquâ²Ã un mois de frais de vie moyen local, ou si le charlatan a recopié des noms sur une page avec des dons fictifs pour inciter à la dépense. Je remplis ma ligne, tout en le prévenant que je compte régler mon effort à un niveau bien moindre, et lui sors un billet de 10 yuans : le moine et son acolyte ne tentent même pas de réprimer une exclamation de mépris ou de dépit. Et je conclus lâ²entretien par cette petite phrase, qui les laisse échec et mat : « les Dieux ne regardent pas le montant, mais la franchise du cÅ“ur : tout don sincère est agréable au ciel » !
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A la semaine prochaine ⲓ et comme dâ²habitude, vos commentaires mâ²iront droit au cÅ“ur. Si je ne réponds pas, ce qui est fort mal, câ²est que jâ²Ã©cris et travaille beaucoup.
Pour tous les Pékinois, ou de passage, je vous donne rendez-vous à ma conférence sur le Tibet, jeudi prochain, le 24 septembre, à 20h30, au centre culturel français,
Le Tibet, entre éternité et éoliennes,
Une promenade à travers le pays des neiges
Sur fond des merveilleuses photos de Laurent ZylbermannÂ
Quâ²on se le dise !
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annie
29 septembre 2009 à 23:19tout site touristique a ses marchants du temple !!! en chine comme ailleurs
Nina_Tool
27 septembre 2009 à 00:03beaucoup appris
Julia Lentilles
31 août 2010 à 03:37Une lecture intéressante et de belles photos. Merci